Certainement, contraint et forcé, le président de la République du Mali, Ibrahim Boubacar Keita, a annoncé dans la soirée d’hier mardi 18 août, à la télévision (ORTM1) sa démission de ses fonctions, de même que «toutes les conséquences de droit : la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du gouvernement».
Une décision qui survient quelques heures après le déclenchement d’une mutinerie au camp militaire de Kati situé à 15 kms de Bamako et qui s’est soldée par son arrestation et celle de son Premier ministre Boubou Cissé. Un coup de force qui ne devrait étonner aucun observateur et qui s’inscrit dans la logique de la situation quasi-insurrectionnelle que connaît depuis 2012, ce vaste territoire doté d’une superficie de 1, 24 million de kilomètres carrés qui en fait respectivement le 8ème et 24ème plus grand pays d’Afrique et du monde .
A peine sorti d’une crise politico-militaire de plus de 18 mois le voilà de nouveau en pleines zones de turbulences. Une rébellion sans précédent menée par des Touareg du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), sans occulter Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), un des groupes jihadistes qui avait pris d’assaut la ville de Tombouctou en détruisant tout sur son passage.
Paradoxalement, ni le déploiement des 10.000 hommes de la Minusma (Mission de l’ONU au Mali), ni les 3 000 de l’opération militaire française «Barkhane» et/ou l’intervention de l’armée française «Serval» pour chasser des djihadistes liés à Al-Qaida ne parviendront à faire revenir la paix dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest.
Au contraire ! Rébellions et Djihadistes finiront par échapper au pouvoir central. De Chef de l’Etat d’un vaste territoire, Ibrahima Boubacar Keïta était devenu ou presque, président de la République de la seule capitale : Bamako.
La situation va empirer avec des islamistes qui ne cessent de grignoter le territoire malien. Face à cet état de fait, le Quai d’Orsay a étendu la «zone rouge» à Kayes, Ségou et Sikasso, notamment la ligne Bafoulabé-Koulikoro-Morila qui est «formellement déconseillée» à aux ressortissants français. Pendant ce temps, IBK, en plus de la rébellion, faisait face à une autre crise politique. Des représentants du Mouvement du 5 juin (M5) avaient fini par « intensifier » leurs marches de protestations en indexant « son échec dans la gestion de la crise économique, la corruption présumée notamment celle de la classe dirigeante et l’échec de la résolution d’un conflit jihadiste de longue date ».
Autant dire que tous les signes avant-coureurs étaient réunis surtout face à l’impuissance dont a fait montre la Cedeao. Un échec retentissant de l’institution et de ses Chefs d’Etat qui n’ont rien pu faire, nonobstant le déplacement de certains d’entre eux, dans la capitale pour rencontrer les protagonistes. Il s’en suivra des communiqués qui n’ont finalement pas eu l’effet escompté.
L’IMPUISSANCE DE LA CEDEAO
Si l’institution sous-régionale a su peser de tout son poids pour faire restaurer l’ordre constitutionnel et surtout le respect de la volonté populaire en Gambie et en Guinée-Bissau, la CEDEAO n’a pas eu le même succès au Mali. On attend de voir le sort qui sera réservé à ses menaces et autres mesures contre les putschistes après la démission de IBK.
Rappelons que face à Yahya Jammeh, dictateur sanguinaire de Banjul, à la tête de la Gambie depuis 1994, la commission de la Cedeao, réunie le 12 avril 2012, sous la présidence de Désrié Kadré Ouedraogo avait donné un dernier ultimatum ; pour accepter de céder le pouvoir et de quitter le pays, faute de quoi la force envoyée par la CEDEAO entrera en action. 7 000 hommes issus de cinq pays (Sénégal, Nigeria, Ghana, Togo, Mali) avaient été alors mobilisés à cet effet pour mener à bien l’opération «Restaurer la démocratie». La suite est connue. Adama Barrow sera installé sur son siège. Jammeh va bénéficier d’un exil doré à Malabo.
En Guinée-Bissau aussi, la CEDEAO avait exigé le «rétablissement immédiat de l’ordre constitutionnel pour permettre la poursuite du processus électoral en cours jusqu’à son terme» qui a débouché à l’élection de Umaro Sissoco Embaló.
L’organisation régionale avait rappelé «cet acte flagrant de défiance vis-à-vis du principe de «tolérance zéro» de la Communauté pour la prise du pouvoir par des moyens inconstitutionnels, tel qu’inscrit dans le Protocole additionnel sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance, ne saurait rester impuni car en franchissant ce pas, les militaires ont délibérément et en toute connaissance de cause placé la Guinée Bissau au ban de la Communauté de la CEDEAO.
Toutefois, au Mali, elle est restée dans une posture menaçante comme ce fut le cas le 27 mars 2012, quand elle a brandi l’arme embargo «diplomatique et financier», si la junte ne rétablissait pas l’ordre constitutionnel.
Après la parenthèse Amadou Haya Sanogo, instigateur du coup d’Etat de 2012, les militaires reprennent à nouveau le pouvoir dans un pays affaibli, divisé, menacé de toutes parts.
Une situation d’autant plus inquiétante qu’elle se produit dans une zone ouest-africaine qui vit des lendemains très incertains avec notamment les velléités des présidents de Guinée Conakry et de Côte d’Ivoire à vouloir briguer un troisième mandat. C’est une lapalissade de dire que le Burkina Faso est plus que jamais fragilisé par des exactions djihadistes qui ont fait plus de 1 500 morts et plus d’un million de déplacés depuis cinq ans.
En Côte d’Ivoire, des dinosaures politiques ont décidé de réveiller de vieux démons qui sommeillaient dans un pays qui peine à cicatriser ses plaies. Henri Konan Bédié, (86 ans), Laurent Gbagbo (75 ans) et un président sortant, Alassane Dramane Ouattara (78 ans) se crêpent le chignon.
Last but not least, au Sénégal, Macky Sall, entretient le flou avec son «ni oui, ni non», pour briguer un troisième mandat.
Et dire que pendant ce temps, les violences djihadistes, mêlées à des conflits intercommunautaires, qui touchent le centre du Sahel, ont fait au total 4 000 morts au Mali, Niger et Burkina Faso en 2019, selon l’ONU. Le feu couvre en Afrique de l’Ouest et les flammes débordent de toutes parts.
Par Abdoulaye THIAM