Sénégal: Adieu la souveraineté !

par pierre Dieme

Son peuple trinque, ses pilleurs s’amusent. Telle est la réalité d’un pays, atteint d’une malédiction des ressources dont les retombées de sa manne petrogaziere, lui filent sous le nez, qui perd abondamment son sang et voit ainsi sa souveraineté lui échapper. C’est la non-enviable situation du Sénégal, en cette année ou tant d’indépendances nationales africaines, comme la sienne, sont sensées célébrer leur soixantenaire. Au milieu du silence de sa classe politique, toutes obédiences confondues, de ses élites de tous bords, de sa presse à son patronat, qui peut douter que le Sénégal, déjà plongé dans une faillite multiforme, n’est plus qu’une terre dont les dépouilles, les bijoux de famille, sont partagées au grand jour sans que ses populations aient un traitre mot à dire dessus ? C’est, peut-on penser, un remake qui commence ici à l’échelle nationale d’une histoire que l’on croyait révolue depuis 30 ans et dont la portée était devenue continentale.

Champ clos Souvenez-vous. Nous sommes au milieu des années 1970. Et de sa voix nasillarde, l’alors Président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouet-Boigny sortit une de ses phrases dont il avait le secret pour décrire l’état du continent. “L’Afrique, assure-t-il, est désormais le champ clos des rivalités idéologiques entre l’Est et l’Ouest”. Pour contrôler ses ressources naturelles, ses géographies, ses votes à l’organisation des nations-unies (Onu) et les esprits de ses peuples, les grands protagonistes etatiques qui se battent pour le leadership mondial avaient planté en Afrique les termes de leur conflit. Qui ne voit dans la saga autour de la cession avortée des parts de la firme pétrolière écossaise Cairns Energy à Lukoil, celle de Mikhaïl Khodorovski, le plus célèbre détenu Russe et l’un des oligarques enrichis par le Kremlin à la fin de la guerre froide?

Ce qui est en jeu tourne autour des symptômes d’un enjeu plus vaste: la réactivation d’une guerre économique entre un monde Occidental qui se reconstitue bon an mal an autour d’une Amérique Trumpienne, belliciste en diable, et le reste du monde qui lui conteste son hégémonie et se trouve réuni autour de la Russie et de la Chine. Que la firme indépendante Australienne Woodside se soit soudain résolue à racheter les parts de Cairns dans un exercice de préemption arrêtant net le rêve de Lukoil, c’est-à-dire celui de renaissance du nouveau Tsar russe, Vladimir Poutine, de pousser ses pions en Afrique de l’Ouest, en profitant du farm-out (le retrait) des écossais du champ de Sangomar et de ses annexes, était l’expression de ce qu’en diplomatie on appelait naguère le grand jeu. Plusieurs questions viennent à l’esprit. Qui a poussé Woodside à débourser les plus de 200 milliards de francs cfa pour bloquer l’entrée de Lukoil dans le champ pétrolier Sangomar ?

Qui lui a donné le confort, ou fait le prêt, pour rivaliser avec les russes dont on sait qu’ils ont les poches profondes et ne rechignent pas à corrompre des officiels africains? Certains diplomates sénégalais qui vadrouillaient ces temps-ci à Dakar y faisaient quoi ? Comme s’ils avaient été sommés de s’y rendre pour faciliter le farm-in, l’entrée des russes dans le projet, au nom de commissions, corruptrices, déjà reçues ou promises! Que le Secrétaire d’état américain, Mike Pompeo, par ailleurs ancien patron de la CIA, l’agence de renseignements de son pays, soit venue voici 8 mois au Sénégal, n’était pas anodin. Outre la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue, ses préoccupations tournent autour de la corruption des officiels africains par les puissances émergentes toxiques (Russie, Chine, Turquie, Iran…) et le positionnement géopolitique de son pays dans la nouvelle guerre économique, sur fond de Covid19, qui est déjà lancée.

Ce n’est pas hasard qu’il se soit assuré l’implantation de firmes americaines du génie civil, comme Bechtel, qui sont des excroissances de la CIA. Tendance lourde C’est dire qu’avec la saga autour du champ pétrolier Sangomar se confirme une tendance lourde dont la portée ne semble pas avoir été mesurée par les pauvres et limités dirigeants du Sénégal, en commençant par un Macky Sall, dont les capacités conceptuelles semblent se limiter à mordre à l’hameçon de la petite corruption qui leur est tendu. Ce que les américains disent par la voie dans Australiens est ceci: nous avons à l’œil tous ces officiels sénégalais corrompus qui se croient plus malins. L’argent qu’ils prennent des Russes, de Timis ou des Chinois, nous en avons la traçabilités, leur disent-ils…

Ce n’est d’ailleurs pas hasard que le haut responsable de Cairns qui m’a filé en exclusivité hier l’information sur l’échec du farm-in des Russes n’avait pas hésité à me dire que les américains n’attendent que le retrait des hydrocarbures du Sénégal de leur dernière entreprise, Cosmos (après ConocoPhillips), pour mettre en œuvre les termes impitoyables de leur FCPA, leur foreign corrupt practices acts) qui punit, y compris hors de leur juridiction, la corruption des officiels étrangers. Il fait remarquer que la Britannique petrogaziere BP est elle-même dans l’œil du cyclone pour s’être empêtrée dans le champ gazier Grande Tortue unitisé entre le Sénégal et la Mauritanie. C’est un projet corrompu, souffle mon interlocuteur. Que les américaines et l’écossaise Cairns se sortent du bourbier des hydrocarbures du Sénégal n’est donc pas seulement le signal d’une guerre geoeconomique classique. Les nouvelles normes de gouvernance seront appliquées pour tuer les imprudents rivaux.

Du reste, qui n’a pas noté la soudaine timidité de la française Total dont les patrons savent qu’ils sont directement menacés par les excès de leurs missi dominici, Momar Nguer, pour ne pas le nommer, qui se flattait d’être copain-copain avec les autorités etatiques, corrompues, des dirigeants africains, tel un Macky Sall. L’éviction, enterrement de premiere classe, de Nguer du comité exécutif de Total, par sa mise à la retraite, est un signe qui en dit long sur la peur des responsables de la firme de payer les libéralités consenties à des escrocs officiels pour s’imposer sur un marché africain au mépris des règles de la transparence exigées par les bourses et opinions publiques capacitées par la rugissante, imprévisible, techtonique des plaques numériques. Dans le grand jeu en cours, hormis les miettes de la corruption, une question se pose à nous sénégalais: what is in it for us?

En d’autres termes: qu’y gagnons nous ? Non seulement, les gens de Cairns, et leurs acolytes, vont se partager, sur canapé de foie gras, vins fins, cigares et cognac, des dividendes de 200 milliards de francs cfa alors que la plupart de ses actionnaires n’ont entendu parler du Sénégal qu’en 2014 avec la découverte des premières réserves d’hydrocarbures, le peuple Sénégalais n’a lui que ses yeux pour pleurer. Il peut de surcroît se demander pourquoi, sachant les réserves prouvées dans Sangomar confirmées, pourquoi l’état du Sénégal n’a pas exercé sa propre preemption pour lever les fonds que le marché lui aurait aisément accordés afin de bénéficier davantage d’une rente à milliards de dollars?

Endormis au volant de l’état, incapables, ignorants, dépassés, nuls, méchants, embourbés dans des querelles secondaires, les gouvernants du Sénégal ont laissé passer une chance inouïe de réclamer une partie de notre souveraineté économique perdue. L’habit d’esclave, hélas, convient à certains. Au détriment d’un peuple qui sortira encore plus fragilisé de la pandémie actuelle: sous l’œil irresponsable de ses leaders, les coups de poignards qu’il a reçus ces derniers jours sont la garantie que son asservissement est inéluctable. Terrain d’une guerre économique planétaire, le Sénégal, désarmé, en est l’agneau du sacrifice dès le début. De quoi pleurer ! Adama Gaye, exilé politique au Caire conseille des multinationales d’énergie investissant en Afrique.

Ps: 1-Savoir dans ce contexte que la raffinerie nationale du Sénégal (SAR) est moribonde entre les mains du corrompu et incapable Serigne Mboup ne peut étonner que les nouveaux nés ! 2- A un officiel Russe me demandant ce que je pensais de l’ouverture par Lukoil d’un bureau au Sénégal et son entrée probable dans les hydrocarbures locaux, m’a réponse lui intimant l’ordre de ne pas encourager des menées corruptrices, suscita une réponse de sa part qui se passe de commentaires: “ce que tu dis est patriotique !”.

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