La CEDEAO contre les peuples

par admin

La médiation de la CEDEAO dans la crise qui oppose les partis d’opposition et les organisations de la société civile du Mali rassemblés au sein du Mouvement du 5 juin – Rassemblement des Forces Patriotiques (M5 –MRP) et le gouvernement de M. Ibrahima Boubacar Keita, cherchait-elle vraiment à mettre en place un consensus entre les deux partis ?

On peut en douter tant les recommandations du sommet extraordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement du 27 juillet dernier font la part belle au président malien.

Le sommet recommande en effet un gouvernement « d’union nationale, sur la base du consensus », dont « 50% des membres seront issus de la coalition au pouvoir, 30% de l’opposition et 20% de la société civile » qui reste donc sous le contrôle du président de la République.

Alors que le Mouvement du 5 Juin – Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP) demandait la nomination d’un Premier ministre indépendant par rapport au président de la République et la démission de ce dernier, on ne fait aucune recommandation pour équilibrer le pouvoir exécutif.

Alors que la répression des premières manifestations, les 10 et 11 juillet dernier, avait fait 11 morts au moins ainsi que l’indique Amnesty International , on se contente de recommander l’ouverture d’une enquête, sans exiger que celle-ci soit indépendante et sans imposer un calendrier pour la présentation des résultats.

Concernant la Cour Constitutionnelle qui avait été le détonateur de la crise en annulant les résultats de 30 bureaux de vote à l’issue des dernières élections législatives de Mars et Avril 2020, on recommande seulement qu’elle soit reconstituée rapidement et qu’elle réexamine les résultats proclamées.

Rien n’est dit pour, par exemple, prévenir une nouvelle collusion avec l’exécutif.

Aussi, le Mouvement du 5-Juin (M5-RFP), refusa-t-il « d’adhérer » à ces propositions qui « ne correspondent absolument pas aux aspirations et attentes exprimées…et portées par l’écrasante majorité du peuple malien ».

Dès lors la médiation s’est enlisée.

Tout consensus devenait impossible.

Est-ce là précisément l’effet recherché par la médiation de la CEDEAO ?

S’agissait-il de casser délibérément l’élan insurrectionnel pour donner au camp du président le temps de regrouper ses forces et de reprendre l’initiative ?

C’est ce qui s’est passé au Togo.

L’intervention de la CEDEAO à travers les présidents Alpha Condé de Guinée et Nana Akufo-Addo en Juin 2017 pour « faciliter le dialogue » entre la coalition des partis de l’opposition demandant la démission de Faure Eyadema et le camp du président n’eut d’autre résultat que de geler les manifestations, de laisser libre cours à la répression, de semer la confusion et de démobiliser les militants. On sait aujourd’hui que c’est pendant la période du gel des manifestations qui a suivi la médiation des chefs d’Etat que les services togolais ont infesté les téléphones des dirigeants de l’opposition avec le logiciel israélien Pegasus et espionné leurs communications.

Le gouvernement togolais refusa ensuite d’appliquer « la feuille de route de réformes » préconisée par la CEDEAO visant à réformer le code électoral et la Commission Nationale Indépendante et organisa ses élections législatives en décembre 2018.  La CEDEAO se félicita pourtant du bon déroulement  de ces élections.

M. Faure Eyadema se fit ensuite plébisciter en Février 2020 pour un 4eme mandat.

De même, voyez comment la CEDEAO est sans réaction face au soulèvement des partis politiques et de la société civile de Guinée contre le projet du président Alpha Condé de s’accorder un 3eme mandat !

Elle n’élève même pas la voix face aux arrestations arbitraires et aux tueries régulières de manifestants. 

Pourtant, le Protocole sur la Bonne Gouvernance et la Démocratie adopté en 2001 et qui sert de cadre aux initiatives de médiation est un outil tout à fait adéquat, observent les analystes comme le  Centre d’Etudes Stratégique de l’Afrique (C.E.S.A) un think tank du département de la Défense des Etats-Unis.

Ils mettent plutôt en cause le pouvoir exclusif du président en exercice et de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement dans le fonctionnement de l’organisation notamment en matière de médiation. Toutes les décisions dépendent entièrement des inclinaisons des chefs d’Etat et en premier lieu du président en exercice qui prend toujours en compte l’intérêt bien compris de chacun de ses pairs.

Si bien que l’organisation fonctionne effectivement comme un syndicat.

Au Mali aujourd’hui, comme au Togo hier, le peuple qui s’est soulevé contre le pouvoir en place se sent trahi par la CEDEAO.

Comment dès lors aider les Maliens à sortir de la crise pour restaurer l’Etat et faire face à l’islamisme et au séparatisme ?

Les sociétés civiles de chacun des Etats de la région pourraient faire pression sur leurs chefs d’Etat respectifs pour initier une médiation qui prendrait en considération les demandes du M5-RFP.

Une lettre ouverte de la société civile du Sénégal dans ce sens devrait être adressée au président Macky Sall.

La société civile du Sénégal et celles des autres pays de la CEDEAO devraient aussi exprimer ouvertement leur solidarité aux partis et organisations de la société civile membres du M5-MRP et les encourager dans leur combat.

Car en fait, c’est le rapport des forces sur le terrain qui est déterminant.

On l’a vu avec l’insurrection populaire qui a renversé en quelques heures le régime de Blaise Compaoré en Octobre 2014.

PAR L’ÉDITORIALISTE DE SENEPLUS, ALYMANA BATHILY

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