Saccage du journal «Les Echos» : l’État absent

par pierre Dieme

Bamba Kassé, Sg du Synpics : «Un déplacement est plus
symbolique qu’un communiqué de presse»
L’un a marqué son indignation dans un communiqué tandis que l’autre est resté aphone. Au finish, ni le ministre de la Communication encore moins le ministre de l’Intérieur n’ont posé les pieds au siège du journal «Les Echos» mis à sac lundi. Une absence qui frise le manque de considération des autorités à l’égard de la presse.

L’attaque du siège du journal Les Echos lundi n’a suscité le déplacement d’aucun membre du gouvernement sur les lieux. Ni le ministre de la Communication encore moins son collègue de l’Intérieur n’ont mis les pieds à Castors pour redonner le moral aux journalistes de ce canard privé et leur assurer du soutien de l’Etat. Dans cette affaire qui a provoqué une vague d’indignations au-delà des frontières sénégalaises, le ministre de la Communication s’est juste contenté d’un communiqué pour condamner ces actes perpétrés par des membres supposés de la communauté des Moutarchidines.
«J’ai appris avec une forte indignation doublée d’une peine profonde l’attaque ce lundi 3 août 2020, du siège du journal Les Echos et le saccage du matériel de travail par un groupe d’individus. Ces actes irresponsables auraient pu aboutir autrement à une situation beaucoup plus grave. Tout en exprimant mon entière solidarité au directeur de publication et aux travailleurs, je condamne fermement de telles dérives qui n’honorent pas leurs auteurs et qui ne peuvent aucunement être tolérées. Le Sénégal est un Etat de droit où la liberté de presse est un acquis fondamental consacré par la Constitution. Je demeure convaincu que les suites appropriées seront réservées à la plainte déposée pour que les auteurs de ces actes répréhensibles soient traduits devant la justice», avait écrit Abdoulaye Diop, ministre de la Culture et de la communication.
Le ministre de la Commu­nication mesure-t-il la gravité des faits ? Quand l’un des fondements d’une démocratie est menacé, l’autorité ne doit-elle pas se lever pour servir de bouclier ? Banalise-t-elle cette affaire dont la gestion pourrait déterminer la considération que les uns et les autres auront des médias ? Dès les premières heures suivant cette affaire, le ministre de la Culture et de la communication était appelé à descendre symboliquement sur les lieux pour témoigner de la solidarité du gouvernement au-delà d’un communiqué. Pourtant, en pleine progression du Covid-19, Abdoulaye Diop s’est permis une tournée chez les artistes il y a quelques mois. Il avait aussi visité certains médias.

Les regrets du Synpics
Les artistes sont-ils dans l’esprit du ministre plus considérés que les journalistes ? Si les médias du service public (Aps, Rts, Le Soleil) avaient été attaqués, aurait-il la même réaction ? «C’est avec regret que nous apprenons que le ministre de la Communication ne s’est pas déplacé. Il n’a pas daigné faire le déplacement. Ce n’est pas du tout encourageant parce que nous pensons qu’il y a des symboles à préserver dans une République. Un déplacement pour marquer sa solidarité est beaucoup plus symbolique qu’un communiqué de presse. Bien que le ministre de la Communication ait porté la voix du gouvernement par voie de communiqué de presse», a regretté Bamba Kassé, secrétaire général du Synpics, joint hier en début de soirée.
Quid du ministre de l’Intérieur ? Aly Ngouille Ndiaye n’a même pas communiqué sur la question en tant que garant de la sécurité des citoyens. Pourtant dans les affaires Ndengler et Sandaga récemment, le ministre de l’Intérieur s’est transporté sur les lieux pour épauler son collègue de l’Urbanisme, Abdou Karim Fofana. En France, référence en termes de gouvernance au Sénégal, le ministre de l’Intérieur se déplace au moindre incident. (Attentats, attaque de Charlie Hebdo, incendie Notre Dame, mouvement des Gilets Jaunes…). «On n’a ni vu ni entendu le ministre de l’Intérieur, c’est aussi regrettable. Je l’ai informé personnellement sur cette affaire. On s’attendait à ce qu’il se déplace même s’il n’est pas le ministre de tutelle. Il faut lui concéder ça. Cet incident a été géré par les forces de sécurité avec professionnalisme. Mais ç’aurait été encourageant pour la presse d’entendre une vague d’indignations de la part des autorités de ce pays», souligne Bamba Kassé.
En Conseil des ministres mercredi dernier, le président de la République a «condamné la recrudescence des actes de vandalisme dont les auteurs doivent être sanctionnés de façon exemplaire conformément à la loi». Mais le Secrétaire général du Synpics n’est pas trop convaincu par cette allusion de Macky Sall. «J’espérais une petite phrase dans le communiqué du Conseil des ministres pour condamner ce qui s’est passé. Quand on défend la liberté d’expression sur le plan international, il faut aussi le faire dans son propre pays», a estimé M. Kassé. La conclusion à tirer de l’attitude du gouvernement est que les journalistes doivent prendre leurs responsabilités, selon le patron du Synpics. «Le personnel politique ne se prononce pas souvent sur les questions de principe. Ils (les hommes politiques) font peut-être des calculs électoraux. Se prononcer sur certaines questions de principe, c’est marquer son adhésion à certaines valeurs. Ne pas le faire, c’est encourager en silence la recrudescence de ces actes. C’est aux journalistes de savoir qu’ils ne comptent pas assez pour certaines franges de la société», conclut Bamba Kassé.

SOURCE PAR BABACAR GUÈYE DIOP

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