Civid-19 : Quand l’État se perd dans ses stratégies !

par pierre Dieme

Sans aucune mesure contraignante, les populations relèguent au second plan les gestes barrières. Les vieilles habitudes de salutations et de regroupements refont surface. En conséquence, le Sénégal franchit la barre des 9000 cas de contaminations et décompte 178 décès à la date d’hier, jeudi 23 juillet. Pis, le ministère de la santé et de l’action sociale a trouvé judicieux de limiter les tests de dépistage de Covid-19 aux personnes asymptomatiques. Une stratégie qui s’oppose aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (Oms) et également à l’avis de plusieurs épidémiologistes–spécialistes en santé publique. Entre le flou et le recul, le spécialiste en santé publique, Dr Mohamed Lamine Ly a dénoncé «une démission coupable».

La situation devient insoutenable et le mutisme de l’État est tout aussi inquiétant. Le tableau épidémiologique s’obscurcit jour après jour, alors que les discours d’allègement des mesures restrictives se succèdent.

Rappelons que tout au début de cette pandémie de Covid 19, le ministère de la santé semblait adopter une stratégie qui s’inscrivait sans ambiguïté dans le cadre d’endiguer la propagation de la nouvelle maladie. Et pour y arriver, l’élargissement des tests de dépistages était l’un des arguments prôné par le directeur du Centre d’opérations d’urgence sanitaire (Cous), Dr Abdoulaye Bousso. «Il y a actuellement beaucoup de tests qui sont en cours d’analyse même au niveau de nos laboratoires. Si ces tests sont validés, ils pourront être utilisés et ils nous serviront pour faire une stratégie avancée autour des cas contacts et autour des zones qui sont touchées», avait-il déclaré le 27 avril dernier.

Du même avis, Dr Ousmane Guèye, directeur du Sneips et membre du Comité national de la gestion des épidémies (Cnge) soutenait de ton ferme que «la politique que nous voulons appliquer, c’est d’associer à ce qui est déjà en train de se faire concernant les dépistages des cas positifs à la Covid 19, des tests aléatoires», précisant que «les tests aléatoires consistent à tester toutes personnes qui présentent des symptomatologies similaires et qui arrivent à l’hôpital.

Et également, de fouiller dans les registres pour contacter ceux qui étaient là auparavant et qui présentaient des symptômes similaires. Je pense que cette nouvelle méthode permettra d’augmenter l’éventail, la fourchette de personnes testées». Mais sans aucune explication rationnelle épousant l’avis des épidémiologistes et spécialistes en santé publique, le ministère de la santé a décidé de limiter les tests de dépistages de Covid 19 aux personnes symptomatiques. «Il faut que les populations comprennent que la stratégie a changé et qu’on ne soit pas là à demander des tests. Désormais, les tests se feront sur les personnes symptomatiques et les personnes vulnérables», a justifié lors du dernier point mensuel, Dr Bousso. Une décision dénoncée et refoulée par le Groupe de recherche interdisciplinaire pour le développement (Grid), composé de 29 universitaires dont l’agrégé en épidémiologie et santé publique et président du Conseil d’administration de la mutuelle de l’enseignement supérieur, Professeur Massamba Diouf. «Cette option pourrait davantage rendre les mailles élastiques et laisser échapper des cas potentiellement contagieux avec un risque de propagation au niveau de toutes les franges de la population. Ce qui laisserait «libre cours» au virus, ferait le lit aux cas dits issus de la transmission communautaire et rallongerait la durée de la riposte», a fait savoir le Pr. Diouf. Comme lui, le Dr Mouhamadou Mbengue a d’emblée affirmer que «vous êtes malades ?… Circule on ne teste pas, allez transmettre le virus à vos proches, allez donner la mort! Quel État irresponsable».

On pourrait également citer dans le même spectre d’analyse le spécialiste en santé publique, Dr Mohamed Lamine Ly, qui indique que «sans dépistage, l’épidémie devient souterraine» car poursuit-il, «si on y ajoute le non-respect, tant décrié, des mesures barrières par les populations, la décision de ne pas tester des cas-contacts considérés comme «non vulnérables» relève, si ce n’est de l’irresponsabilité, tout au moins de l’inconscience». Selon la blouse blanche, «le dépistage aidera mieux à contrôler la pandémie, s’il est réalisé dans des réseaux de soins de proximité et non centralisé dans deux grands instituts (Institut Pasteur, Iressef)».

DEMISSION MEURTRIERE POUR UNE IMMUNITE COLLECTIVE

On se rappel des recommandations hors du commun de Dr Moussa Thior sur les ondes de la Radio iTv. «Il faut laisser le virus circuler et arrêter d’ameuter les populations. Dans le cadre d’une maladie comme le coronavirus, les cas communautaires, c’est une très bonne chose, je pèse mes mots. Il faut laisser le virus circuler, ça va contribuer à développer l’effet de protection de masse», avait laissé entendre la blouse blanche, spécialiste en santé publique.
Une position immédiatement désapprouvée par le chef service des maladies infectieuse et tropicale de l’hôpital de Fann, Pr. Moussa Seydi qui explique que «si tous les Sénégalais sont infectés, même avec 1% de létalité, ça fait plus de 100.000 morts». Et d’ajouter : «on dit qu’il faut protéger les personnes âgées mais quelqu’un peut être infecté sans le savoir. De retour chez lui, il ne peut pas prendre de précautions. Nous avons ici un jeune qui était malade, qui a infecté son père qui est décédé (…) Il n’y a pas d’immunité collective. Je suis absolument opposé à cela. Il y a des pays qui l’ont fait et qui l’ont regretté». La directrice de la santé publique, Dr Marie Khémèsse Ngom Ndiaye, n’est pas restée en marge face à ses déclarations de Dr Thior. «Certaines caractéristiques ne sont pas encore connues et il n’y a pas encore de vaccin pour le Covid-19. Voilà pourquoi la stratégie préconisée par le Dr Moussa Thior ne fait pas partie de celles développées par le ministère de la Santé». En dépit de ces multiples contestations, la nouvelle stratégie adoptée par le ministère de la santé semble épouser de tels contours. Même si le port de masque est déclaré obligatoire par l’État, aucune mesure contraignante n’est actée jusqu’à ce jour. Les populations circulent sans masque et boycottent d’une facilité malsaine les gestes barrières.

Un comportement qui a dépité profondément le Colonel Amadou Moctar Dièye, au point d’hausser le ton et de fait savoir que «la réticence des Sénégalais aux masques est due au fait que les gens ne sont pas sanctionnés. C’est pourquoi je pense qu’il faut beaucoup communiquer et sensibiliser mais aussi sanctionner ceux qui ne respectent pas les instructions qui sont données». N’étant pas d’avis avec le ministre de la santé, Diouf Saar, pour qui «il s’agit donc d’une responsabilité communautaire et individuelle de chaque dakarois», le Directeur des Laboratoires au niveau du même ministère, laisse entendre sur les ondes de la radio Sud Fm que, «moi, je ne suis pas de ceux qui disent que la population doit prendre ses responsabilités, cela est certes une bonne chose mais il faut sanctionner les gens qui sortent de chez eux sans masque».

D’ailleurs, Dr Ly conclut qu’en «définitive, en privilégiant le dépistage des patients symptomatiques, le gouvernement met davantage le focus sur la prise en charge curative au détriment des aspects préventifs». En clair, la stratégie adoptée par le ministère semble voiler ses vraies motivations et objectives. Considérant que le ministère de la santé et de l’action sociale qui clamait l’élargissement des tests de dépistage Covid 19 rétropédale pour une régression purement et simplement, qu’aucune mesure contraignante n’est adoptée pour le respect du port obligatoire des masques, entre autres, on pourrait rationnellement conclure que la tactique «d’immunité collective» prônée par Dr Moussa Thior est enclenchée. Même si elle doit coûter des «plus de 100.000 vies» comme le craint le Pr. Seydi, ce gouvernement semble avoir fait son choix. Le même constat a d’ailleurs poussé le Khalife général des Tidianes, Sérigne Babacar Sy Mansour a assené ses vérités à l’État. «Ce qu’on a noté avec le dé-confinement n’est qu’une démission ; alors qu’un responsable ne démissionne pas», a-t-il lâché.

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