Selon la loi 2014.17 du 02 avril 2014, le Chef de l’Etat est tenu, une fois élu, de faire sa déclaration de patrimoine devant le Conseil constitutionnel. «Le Premier ministre, les ministres, le Président du Conseil économique, social et environnemental, les administrateurs de crédits, les ordonnateurs des recettes et de dépenses, les comptables publics effectuant des opérations portant sur un total annuel égal ou supérieur à 1 milliard de francs CFA», sont eux tenus, de faire leurs déclarations de patrimoine auprès de l’Ofnac.
Tout comme le Président et le Premier questeur de l’Assemblée nationale. Bien qu’étant soumis « au régime de l’effet immédiat », le chef de l’Etat s’est senti dans l’obligation de rappeler, lors du dernier conseil des ministres, que cet impératif s’applique aux membres de son gouvernent pourtant mis en place depuis avril 2019. Au demeurant, tout en confortant l’idée d’une «opacité générale» dans le mode de gestion gouvernementale, il y a que cela interroge en même temps. Quel intérêt en effet, «à part alimenter des palabres à longueur d’ondes, de colonnes, dans les réseaux… ?». Que n’a-t-on besoin d’une telle injonction plus d’un an après le début de cette seconde mandature alors qu’il s’agit d’appliquer la loi tout simplement. Pour tout dire, à quoi sert une déclaration de patrimoine dont on ne connaît ni l’origine ni la consistance en numéraires, actifs, valeurs mobilières ou immobilières ?
Quand on ne peut certifier la sincérité avec le recours systématique et généralisé de sociétés écrans, de prête-noms locaux et surtout étrangers, sociétés offshore et argent planqué dans des pays du Golfe, parrainage d’émirs et leurs familles, champions de telles pratiques de camouflage et de blanchiment?
De qui se moque-t-on quand le chef lui-même a dû rattraper et rectifier sa première déclaration de patrimoine à son arrivée en 2012 ? A leur départ du gouvernement et de l’Etat, ils sortent les mains dans les poches, lestés des énormes ressources auxquelles leur fonction leur a permis d’accéder dans les conditions que tout le monde sait, sans déclaration de sortie. Circulez, y a rien à déclarer, c’est le mot d’ordre appliqué par ceux qui refusent de se prêter à cette mascarade et que l’on cherche à mettre à l’index, alors que les chefs et les institutionnels s’exonèrent allègrement de cette formalité trompeuse.
La preuve que tout cela est du toc, du chiqué, le chef de l’Etat a le devoir de relever ceux de ses ministres et directeurs qui refusent de se soumettre à cette exigence de transparence. Le peut-il ? Le veut-il ? Pourquoi, pourquoi pas ? Question à mille balles. Assurément, au vu d’une telle stratégie, tout laisse croire qu’ «on ne saurait mieux faire dans le saupoudrage, la poudre aux yeux, la diversion … »
Ce pays aime faire dans le dilatoire, dans l’esbroufe, histoire de donner de temps en temps du grain à moudre. Et c’est bien dommage car l’heure n’est point à la diversion encore moins à se jouer des attentes et des espérances des populations. Il urge bien au contraire de corriger nombre de dysfonctionnements qui confortent la mal gouvernance et les manifestations d’incivilités.
A l’instar de cette pluie d’insanités provenant de responsables de l’Apr qui s’est déversée ces derniers jours sur le pays. Le plus concasse dans l’affaire, c’est d’apprendre que « la Mère du parti » est en train de jouer aux bons offices, menant une médiation, appelant les égarés à revenir à de meilleurs sentiments, à enterrer leurs violentes diatribes. Car après tout en politique dit-on, vaut mieux additionner que soustraire. Qu’importe le prix à payer. Dans cette même logique, on pourrait convoquer la mise en liberté provisoire pour cause de maladie d’un responsable du parti au pouvoir, ancien député, alpagué pour être suspecté d’avoir baigné dans un trafic de fabrication de faux billets de banque. Alors que des voleurs de poule se retrouvent pendant ce temps entassés dans des conditions autrement plus difficiles, dans des cellules surpeuplées en ces temps de canicule, lui se la coule douce auprès de ses épouses, recevant des responsables politiques, de son parti et parfois de l’opposition, venus lui témoigner on ne sait quelle solidarité. Au centre de toutes ces tractations se trouve la question de l’accès, du contrôle et de la distribution des ressources, manifestant une fois de plus la conception du pouvoir en vogue.
AVEUGLEMENT
Alors qu’on nous parle de bonne gouvernance, nous abreuvant de slogans du genre « servir plutôt que se servir », les pratiques servies sont par contre bien loin du compte. Oublié qu’on doit mettre toute son énergie au service du pays au lieu de développer moult stratégies de contrôle et de prévarication des deniers publiques. Car pendant ce temps, sans eau courante ni centres de santé, les populations les moins nanties se débattent, en ces temps de pandémie de Covid 19, ne sachant à quel saint se vouer.
Accéder à ces services leur semble en effet relever de la prouesse tant cela découvre les béances de la fracture sociale qui travaille la société sénégalaise. Pauvreté déconcertante faisant face à une richesse insolente, créée de toute pièce, à l’image de cet ancien président de la République qui se glorifiait d’avoir fabriqué à foison des milliardaires. Ce qui en dit long sur le mode de production et d’accumulation kleptocratique et parasitaire de la richesse dans nos pays. Ici, le plus souvent, on ne devient pas riche à la sueur de son front, mais par la proximité entretenu avec le pouvoir. Aussi, ce qui est renversant avec ce mode de gouvernance c’est que précisément, les sapeurs-pompiers de circonstance raisonnent en termes de prébendes à fructifier et sauvegarder. On croirait alors rêver, à force de voir des responsables politiques ne pas prendre toute la mesure des difficultés qui s’amoncellent au-dessus de nos têtes, si elles ne tapent pas déjà à nos portes.
Avec les grands chamboulements qui s’annoncent un peu partout dans le monde au niveau la gestion des Etats, cette année 2020 sera en effet celle de bouleversements majeurs censés appeler à une nouvelle prise de conscience.
Ainsi, selon les prévisions contenues dans la dernière édition semestrielle de la Banque mondiale, le PIB mondial diminuera de 5,2 % cette année. Les chaînes d’approvisionnement ayant été perturbées, l’on s’attend à ce qu’une forte proportion de la population retombe dans l’extrême pauvreté. Il est aussi redouté une récession avec des effets dévastateurs sur la santé et le bien-être des habitants.
La montée du chômage, la baisse de revenus et d’éventuelles pénuries de produits essentiels pourraient par conséquent être une source d’instabilité et peser sur l’activité. Loin de s’en émouvoir, tout à leur aveuglement et leurs calculs d’épiciers, certains responsables politiques semblent plutôt préoccupés par leurs privilèges.
Face à des perspectives annonciatrices de lendemains difficiles, les autorités qui sont censées donner le la s’abîment dans une gouvernance aveuglée par une course habitée par des calculs mus par des intérêts personnels et égoïstes, bien loin des enjeux et défis à relever. Faudrait-il que le pays soit tombé bien bas pour se risquer à ce jeu là! En tout état de cause, il y a urgence à redresser la pente sur laquelle le Sénégal s’engage et dont les insanités évoquées plus haut sont révélatrices d’une décadence annoncée.
CALAME