Il y a des personnalités qui resteront toujours gravés dans la mémoire de l’histoire politique de notre pays comme des monuments de la politique. Ousmane Tanor Dieng, qui a tiré sa révérence le 15 juillet 2019, fait partie de celles-là. Certes, nous n’allons pas, lors de ce premier anniversaire du décès du 3e grand leader du Parti socialiste, verser dans cette nécrolâtrie qui, hypocritement, pousse ceux de ce monde encore en vie à tresser des lauriers post-mortem ressemblant en réalité à une couronne d’épines, pour les morts. Cela dit, il serait malhonnête de ne voir qu’en noir cet homme politique, OTD, qui a inscrit en lettres indélébiles son nom dans l’histoire du PS.
Pour analyser la trajectoire politique de Tanor qui a laissé un héritage difficile à gérer aux socialistes, un parti incapable de se ré-oxygéner depuis sa disparition, il faut remonter aux principaux dirigeants du PS qui, en des moments difficiles, ont su tenir stoïquement la barque brinquebalante dans une mer politique houleuse jusqu’en 2000. Et cela en dépit des coups de Jarnac et de Brutus. Léopold Sédar a enfanté le Bloc démocratique sénégalais (BDS) le 27 octobre 1948 dans un contexte où la Section française de l’internationale ouvrière (Sfio) de Lamine Guèye, maire de Dakar, était très ancrée dans les zones urbaines.
Ce parti politique grandira en opérant des fusions marquées par des changements de noms. Du BDS, il est devenu le BPS (Bloc populaire sénégalais) avant la naissance d’une nouvelle entité appelée Union Progressiste Sénégalais (UPS). Et en 1971, l’UPS ayant adhéré à l’Internationale socialiste, devient le Parti socialiste (Ps). En 23 ans d’existence, les quatre dénominations du parti de Senghor correspondent à des mutations politiques qui se sont traduites par l’élargissement, l’ouverture ou la fusion avec d’autres entités. Le processus d’ouverture du Ps semble avoir connu un coup d’arrêt avec Abdou Diouf, lequel ne songea plus à élargir le parti à d’autres formations politiques. Le président Diouf, une fois à la tête du pays en 1981, s’est attelé à déconstruire la philosophie « expansionniste » de son prédécesseur. Au contraire, il s’adonna à des purges staliniennes au nom de la dé-Senghorisation.
L’esprit de rassemblement, socle fondateur du PS, s’est estompé avec l’avènement de Diouf à la tête du PS. Et en 1996, les ébréchures du PS, constatées depuis le début des années 80, se muent réellement en fracture ouverte avec la fronde des légitimistes dont le chef de file est Djibo Ka. Tanor incarne la rénovation du Parti socialiste qui ne parvient plus, depuis 1984, à impulser de changements en profondeur dans son mode de fonctionnement et à proposer un projet politique en phase avec les attentes populaires. On attendait des orientations politiques et des axes programmatiques sous la supposée ère de rénovation socialiste, finalement on assista à des batailles de positionnement et à un déni du débat contradictoire ayant débouché sur des exclusions de militants de la première heure.
C’était mal parti pour Tanor qui, au lieu rabibocher un parti qui se déchire de jour en jour, faisait usage de la ligne de Diouf qui, en 1981, s’était échiné à enterrer les mammouths et les apparatchiks. Les barons, comme on les appelait. Djibo et ses affidés refusent l’hégémonie d’Ousmane Tanor Dieng imposée lors du « congrès sans débat » de 1996 où rien sur les nouvelles orientations politiques du PS n’a été débattu. Il finit par quitter pour créer l’Union pour le renouveau démocratique (Urd) en 1998. Un an plus tard, en 1999, Moustapha Niasse est exclu pour activités fractionnistes. Il créée l’Alliance des forces de progrès (Afp). C’est le chant du cygne du PS en 2000 avec la défaite du président Diouf à la présidentielle.
Une défaite qui a eu le mérite de révéler la véritable face de leader de Ousmane Tanor Dieng. Le capitaine est toujours le dernier à quitter le navire en naufrage. Quand le navire socialiste tangue dans une mer agitée par les vents de la transhumance, le capitaine Tanor tient solidement le gouvernail. Quelques seconds capitaines et chefs de quarts se rebellent et refusent de le reconnaitre comme le seul commandant à bord du navire socialiste mal en point. Il s’agit de Robert Sagna, Mamadou Diop, Souty Touré, Abdou Khadre Cissokho (qui a opéré un come-back rapide), Moustapha Kâ, Madia Diop, Amath Cissé et Abdoulaye Makhtar Diop qui claquent la porte pour prendre leur destin en main. Entre 2000 et 2012, Tanor peut s’enorgueillir d’avoir tenu tête au Président Wade jusqu’à la chute du régime du tombeur des socialistes. Hélas, son style de management ne lui a pas permis de massifier le PS.
L’érosion électorale s’est accentuée. De la présidentielle de 2000 (40 % des suffrages), en passant par 2007 (13%) jusqu’en 2012 (11%), le parti fondé par Léopold Sédar Senghor en 1948 semble être arrivé en fin de cycle. Le refus de passer la main à la jeune génération et de définir une ligne doctrinale claire à partir de 2012 et les enjeux collaborationnistes avec le parti au pouvoir semblent avoir eu raison du PS. Sa collusion avec le Président Macky au nom du « gagner ensemble et gouverner ensemble » a fini par plomber les ambitions de pouvoir du parti historique de Senghor. La bataille fratricide entre un Khalifa Sall présidentiable et un Tanor souteneur de Macky à la présidentielle de 2019 a atrophié le Parti socialiste qui ne parvient plus à transcender ses contradictions internes.
Toutefois, toutes ces contradictions et remous étaient nécessaires, voire indispensables, pour donner naissance à un nouveau PS, restructuré et conquérant. Mais Tanor et ses inconditionnels n’avaient pas compris cela. Quitte à faire emprisonner tous les opposants socialistes au président Sall avant de les exclure, quitte à sacrifier l’héritage des pères fondateurs, le patron socialiste ne démordait de son soutien fidèle et aveugle à Macky. Ainsi le parti socialiste, qui est né dans le refus d’un suivisme aveugle en 1948, a fini par s’aligner les yeux fermés derrière le parti-biberon du président Macky Sall qui n’avait que quatre ans d’existence lorsqu’il accédait au pouvoir. La capacité de s’opposer a fini par place à la contrainte de soutenir. Et c’est au beau milieu de ce compagnonnage avec le régime de la deuxième alternance que Tanor s’est retiré de ce monde.
Le legs n’est pas fructueux et les héritiers, embourgeoisés et enivrés par les voluptés du pouvoir, ne songent plus remettre leurs costumes d’opposants. La traversée laborieuse du désert de 2000 à 2012 aura eu raison de cette désidéologisation du PS. Aujourd’hui, le Ps s’apparente à un arbre effeuillé, ébranché dont la seule partie visible est le tronc sec qui continue de tenir debout. Un tronc qui continuera sans doute à donner à la jeune génération l’espoir d’une régénération d’autres branches, d’autres feuilles et d’autres fruits qui feront germer un nouveau PS. Que Ousmane Tanor Dieng continue de reposer en paix.
Le Témoin