« Moi, je sais que je n’ai rien à me reprocher et je suis vraiment droit dans mes bottes. Cette situation ne m’ébranle pas. Je n’ai pas fait quelque chose d’irrégulier. Je suis dans la protection des espèces, comme le veut la mission qui m’a été confiée. C’est dans cette préservation de ces espèces-là que le transfert a été fait », voilà la réponse froide que le ministre de l’Environnement et du Développement durable, Abdou Karim Sall (AKS), a servie le 9 juillet dernier aux journalistes de la RFM qui l’interrogeaient sur la mort des trois oryx algazelles. « Etre droit dans ses bottes »signifie « Garder une attitude ferme et déterminée, sans plier. Avoir la conscience tranquille (même à tort). » Jamais une seule fois dans son discours, le ministre AKS ne s’est désolé ou choqué de la mort de ces bêtes. Au contraire, il a fait montre d’une arrogance blessante qui se le dispute avec son sadisme mortifère. Au moment où l’on s’attendait à des actes de résipiscence, voilà que le ministre braconnier se contorsionne dans un reptilisme discursif pour se disculper du crime écologique qu’il a commis avec la complicité du directeur des parcs nationaux.
Le décret n° 2019-794 du 17 avril 2019, relatif aux attributions du ministre de l’Environnement et du Développement durable est extrêmement clair : La Direction des Parcs nationaux, la Direction des Eaux, Forêts et Chasses et de la Conservation des Sols, et l’Autorité nationale de Biosécurité, sont placées sous l’autorité directe d’AKS. Ainsi, ce dernier doit veiller à la protection des espèces les plus menacées, et a autorité sur les parcs nationaux et les aires protégées. Dans l’exercice de ses compétences relatives aux établissements classés, il mène l’instruction des dossiers.
Ainsi, un AKS qui doit être le premier protecteur de notre faune et de notre flore mais qui, malheureusement, est leur premier et vil agresseur. En transportant nuitamment des oryx algazelles (6, 8, 18 ???) dans des conditions nébuleuses, désastreuses, qui détonnent avec la législation nationale et internationale en matière de protection des espèces menacées de distinction, le ministre a commis un crime environnemental passible d’une sanction judiciaire.
Selon le règlement intérieur des parcs nationaux et des réserves de faunes du Sénégal en conformité avec le Code de chasse et de la protection de la faune (Loi n° 86-04 du 24 janvier 1986 et le Décret d’application n° 86-844 du 14 juillet 1986), « les activités ci-après sont formellement interdites dans les aires protégées : la recherche, la poursuite, le piégeage, la capture de tous les animaux, la destruction de leur gîte ou nids, le ramassage des œufs, sauf autorisation spéciale et nominative délivrée par le ministre chargé des parcs nationaux uniquement à des fins scientifiques ou de prophylaxie humaine ou animale ». Dans le cas de AKS, il ne s’agit ni de recherche scientifique ni de prophylaxie humaine mais d’un simple banditisme environnemental qui a fini par un écocide.
D’abord en tant que ministre de l’Environnement, son éthique devait l’empêcher d’user de toute action le plaçant dans une situation prêtant à un conflit d’intérêts. Dans l’affaire des gazelles Oryx mortes durant leur transfert ou leur capture, il y a un conflit d’intérêts dans la mesure où AKS est placée dans une situation, où il est à la fois juge et partie (incapacité de traiter de manière objective et neutre un dossier où son intérêt personnel est en jeu).
Ensuite, la ligne de défense d’AKS semble très fragile quand il déclare avec morgue : « On ne me les a pas offertes ; je ne les ai pas achetées. Ces gazelles oryx restent la propriété de l’État avec un protocole en bonne et due forme avec le gérant de la ferme, comme ça s’est passé partout au Sénégal. Les Sénégalais qui sont capables aujourd’hui de nous aider à préserver et à protéger ces espèces-là, sont les bienvenus. Ils peuvent signer des protocoles, si nous vérifions qu’ils peuvent les accueillir et les recevoir dans d’excellentes conditions. »
Nous mettons au défi le ministre de publier les termes de ce protocole qui autorisent de disposer de ces espèces protégées. Et si l’on en croit le Dr Cheikh Dieng, à part les réserves privées de Bandia et Fathala où l’Etat ne voulait aller à l’encontre de la loi, aucun protocole ad hoc n’a été signé avec des exploitants privés. Donc qu’il nous dise à part les réserves privées sus-évoquées, quelle autre ferme, abstraction faite de la sienne et de celle de cet autre ministre hors-la-loi qui a bénéficié illégalement de deux autres oryx algazelles, abrite des espèces en provenance de nos parcs !
D’ailleurs, l’éminent juriste Seybani Sougou, estomaqué, indique que les citoyens sénégalais sont en droit d’exiger d’AKS, le document retraçant la régularité de la procédure avant de lancer une série d’interrogations : « Qui est le demandeur ? Qui a été saisi ? A quelle date ? Qui a donné l’autorisation du transfert, qui est le signataire et quels en sont ses termes ? »
Il faut noter qu’à ce jour, aucune preuve formelle (document écrit) n’a été donnée quant à la régularité de la procédure menée, à part des déclarations biscornues dans la presse. Il appartient au ministre de fournir à la presse le document d’intérêt public (qui doit tout retracer), puisque trois gazelles Oryx, qui appartiennent à une espèce protégée, sont mortes durant ce transfert clandestin.
Pour Seybani, évoquer la régularité de la procédure ne suffit pas. Encore faudrait-il fournir un document qui permettre d’attester que le cadre juridique choisi est parfaitement légal et que toutes les conditions administratives ont été respectées. Or, lorsqu’il a été interpellé sur le transfert des gazelles Oryx, le maire de Ranérou a révélé que le transfert a été fait nuitamment pendant le couvre-feu sans que les autorités locales n’en soient informées. Ce transfert clandestin bat en brèche la thèse officielle selon laquelle la procédure a été respectée.
En sus le ministre, qui dit vouloir mettre les bêtes en question dans de bonnes conditions, ne sait même pas, avec ses agents, les dispositions qu’il faille prendre pour assurer une bonne capture et organiser leur translocation dans des conditions optimales. Aucune expertise de police sanitaire n’a été effectuée, ni aucune expertise vétérinaire avant l’embarquement pourtant recommandées en pareille circonstance. Edmund Flach, spécialiste vétérinaire européen en gestion de la santé des zoos, pathologiste de la faune sauvage, ancien agent vétérinaire du zoo de Whipsnade, déclare qu’« une manipulation sûre de l’oryx algazelle nécessite une contention et que cela peut passer par une immobilisation soit physique, soit chimique et la combinaison médicamenteuse la plus commune, et qui demeure la plus fiable, est un mélange d’étorphine (M99) et de xylazine. »
Lorsqu’il s’agissait d’introduire des bêtes sauvages en 1998 dans la réserve de Bandia, la gazelle dama de la réserve spéciale de Guembeul et le cobe defassa (une grande antilope à poils mi-long gris-brun foncé) du Parc National du Niokolo Koba, furent capturés par télé-anesthésie avec la même procédure chimique de Flach.
Les conditions de transports désastreuses des animaux entravés, entassés et convoyés clandestinement pendant le couvre-feu dans des pick-up comme on a l’habitude de le voir impitoyablement avec les moutons de Tabaski ne sont pas étrangères à la mort de certains d’entre eux.
Si en 1999, les huit Oryx en provenance de la réserve de Hai-Bar en Israël réintroduits au parc de Guembeul du Sénégal et transportés dans un conteneur unique n’ont subi aucun dommage lors des 50 heures de route, c’est parce que toutes les conditions requises pour la translocation des algazelles ont été respectées.
Le ministre Abdou Karim Sall, propriétaire de la réserve, le signataire de l’autorisation placé sous son autorité et le directeur des parcs qui a organisé le transfert illégal des gazelles au point de commettre un crime environnemental doivent être limogés de leurs postes et poursuivis judiciairement. Qu’il reste droit dans ses bottes immaculées, mais qu’il restitue à la nation sénégalaise les bêtes qui ont échappé à la mort ! Qu’il paye pour la mort des malheureux animaux et qu’il nous édifie sur le nom de cet autre ministre braconnier qui détient frauduleusement dans sa ferme des oryx algazelles !