En pleine préparation de l’hivernage, Ndingler est dans l’expectative, à cause de ses champs confisqués au bénéfice du milliardaire Babacar Ngom. Malgré la présence dissuasive de la gendarmerie, les populations, qui vivent presque exclusivement de l’agriculture, promettent de défendre leurs terres au péril de leur vie. Immersion au cœur d’un village abandonné par les pouvoirs publics.
Ndingler, lundi 29 juin. Les rues sont presque désertes. Comme à Wuhan en plein confinement, seuls les gazouillements des oiseaux perturbent le silence de cimetière qui règne sur les lieux. Après quelques coups de klaxon, surgissent, d’une maison en paille, quelques petits enfants âgés entre 5 et 10 ans. En sérère, le chauffeur du taxi-brousse leur demande : ‘’Où se trouve la mosquée ?’’ A l’unisson, les petits, joignant le geste à la parole, indiquent la bonne direction.
A quelques mètres de là , se trouve le modeste édifice religieux, dont le mur perd, peu à peu, de sa blancheur. Une croix accrochée au toit d’un autre bâtiment, situé sur une distance d’à peine 50 m, suscite la curiosité. ‘’C’est l’église du village’’, renseigne notre hôte Mbaye Diouf, avant d’enchainer, le sourire en coin : ‘’Comme vous le voyez, quand nous musulmans nous faisons notre appel à la prière, les chrétiens font résonner leur cloche. Les bâtisseurs des deux édifices étaient inséparables. C’est mon père qui a construit la mosquée.’’ A leur image, les communautés également vivent dans une parfaite harmonie, depuis des siècles. C’est d’ailleurs uni comme un seul homme, qu’ils font face à celui qu’ils considèrent comme un ‘’envahisseur’’. Il s’agit du président-directeur général du Groupe Sedima, Monsieur Babacar Ngom. Un nom devenu tristement célèbre à Ndingler.
A un jet de pierre, à l’intérieur du village, se trouve le ‘’penc’’. Contrairement à l’entrée, ici, quelques notables sont trouvés en train de deviser tranquillement, sous un grand arbre. Assis à côté de Niokhor Diouf, Ibrahima Sène polit avec dextérité la manche de son ‘’hilaire’’. Mais une question le taraude sans cesse. Va-t-il pouvoir récupérer ses terres confisquées, selon lui, par Babacar Ngom ?
Alors que le village a reçu ses premières pluies, certains membres du groupe ne savent plus où donner de la tête. C’est la grande inquiétude pour Niokhor. Qui peste : ‘’Nous ne savons pas si nous pourrons cultiver cette année. Mais nous irons jusqu’au bout dans ce combat. Il faut que Babacar revienne à la raison. Il est hors de question qu’on lui cède nos terres.’’ Très en colère, il ajoute : ‘’Nous ne croyons qu’en Dieu. De notre village, on n’entendait même pas son nom. Il parait qu’il a des milliards et des usines. Nous, on s’en moque éperdument. Nous demandons juste qu’il nous laisse nos terres. C’est notre unique espoir, l’espoir de nos enfants. Avec ces terres, nous avons toujours nourri nos familles. Sans dépendre de personne. Ce n’est pas parce que nous sommes faibles qu’il doit pouvoir venir nous imposer sa force. C’est comme si nous ne sommes pas des Sénégalais.’’
Pour se rendre auxdits champs, il faut se lever de très bonne heure. Ce jour-là , la chance sourit. Un des enfants de Sandock (collectif de 15 villages dont Ndingler), professeur à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, de passage dans le village, propose de nous emmener jusque dans les champs litigieux. Une distance difficile à parcourir à pied. A bord du véhicule 4X4, entre les champs déjà labourés, les baobabs et autres arbustes, il aura fallu entre 20 et 30 minutes pour regagner lesdites surfaces.
Sur place, un comité d’accueil spécial est positionné. Il s’agit de la gendarmerie nationale qui veille sur ce qui est présenté comme la propriété privée de Babacar Ngom. Une propriété dont le périmètre s’étend à l’infini, sans clôture, mais bien délimitée à l’aide d’une tranchée de plus d’un mètre de profondeur sur 0,5 m de large. Yopane Faye, la soixantaine, a du mal à digérer ce qu’il considère comme un affront. ‘’C’est comme si nous étions en guerre. Ils viennent récupérer nos terres et nous imposent les limites à ne pas franchir’’, s’indigne-t-il furax.
Faisant fi de la présence des pandores, l’on enjambe le grand trou et se promène un peu sur le vaste terrain nu. A peine 20 m à l’intérieur, le lieutenant, debout à 50 m, ordonne de s’arrêter. Puis, il se dirige vers les visiteurs indélicats. Courtois, mais ferme dans le ton, il pose une kyrielle de questions. Genres : ‘’Où allez-vous ? Savez-vous que vous êtes dans une propriété privée ?’’, etc. Pour les villageois, il est hors de question d’admettre que ces terres appartiennent au PDG du Groupe Sedima. Avec plein de pédagogie, l’agent, à la tête d’un groupe de 5 éléments environ, invite délicatement les ‘’intrus’’ à sortir du périmètre.
Pourtant, l’arrivée de Sedima dans la zone ne date pas d’aujourd’hui. Elle remonte à 2013-2012. Mais, à l’époque, il s’était cantonné à Djilakh.
Responsable dans le Collectif pour la défense des terres de Ndingler, Mbaye Diouf explique : ‘’Il y cultivait déjà différentes variétés : bassi, maïs, arachide, entre autres. On faisait de notre côté du mil, de l’arachide… Et il n’y a jamais eu de problème, tant qu’il se limitait à son champ. Mais quand il a voulu étendre son périmètre jusque dans nos champs, c’est de là qu’est venu le conflit.’’
Les précisions des proches du milliardaire
Pour leur part, les proches du milliardaire soutiennent mordicus que ces terres n’ont jamais été exploitées par les villageois avant leur attribution à Sedima. Mieux, elles ne leur appartiennent même pas. ‘’Entre ces terres et le village, soutiennent les proches du milliardaire, il y a 6 km. Elles étaient essentiellement peuplées de baobabs, d’arbustes, de broussailles touffues et de bosquets’’. A les en croire, d’importants travaux y ont été entrepris pour aménager et viabiliser le terrain. ‘’Ce fut de lourds et couteux travaux. Parallèlement, la surface a été délimitée et des aménagements d’accueil et de stockage ont été construits à l’intérieur du champ. C’est alors que quelques ressortissants du village de Ndingler ont commencé à cultiver sur une partie (l’aile nord-est) sans aucune autorisation de la Sedima. Cette présence a été tolérée pendant quatre ans, vu qu’elle n’impactait pas encore les activités du groupe’’, soulignent-ils.
Cette version, selon les paysans, est aux antipodes de la réalité. Pour eux, M. Ngom est simplement de mauvaise foi. Il l’est d’autant plus qu’en 2015, lui-même était venu à Ndingler, accompagné notamment de son fils, du communicateur traditionnel Khadim Samb et du maire de Ndiaganiaw, pour négocier avec les gens du village les fameux 80 hectares (voir encadré).
Agée de plus de 70 ans, Yaye Fatou Faye revient sur l’historique : ‘’En fait, ici, les gens vivaient éparpillés. Mon grand-père vivait là -bas. Moi-même j’y vivais avec mon père, avant le mariage. Je peux vous donner les noms de tous ceux qui habitaient là -bas. (Elle les énumère). C’est à cause du tarissement du puits, de la difficulté d’accéder à l’eau que tous les occupants ont déménagé vers le nouvel emplacement. Mais tout en continuant d’exploiter les champs. Si on va là -bas, je pourrais vous montrer la maison de chaque occupant.’’
Au total, ce n’est pas moins de 40 familles qui risquent de ne pas avoir de terres à exploiter cette année, dans ce village qui ne vit que d’agriculture et d’élevage. A tous les coins de rue, les greniers en paille continuent de nourrir certaines familles, un an après l’hivernage de l’année dernière. Pour Yopane Faye, plutôt mourir que de laisser les terres à la Sedima. ‘’Ces champs appartenaient à mon arrière-grand-père qui les a laissés à mon grand-père ; c’est comme ça jusqu’à nos jours. Maintenant, ils me reviennent de droit en tant que chef de la famille. Je cultive là -bas depuis plusieurs années. Je ne peux vous dire combien exactement, mais à l’époque, il y avait Ndiadiane Sène à la mairie de Ndiaganiaw, puis est venu Moussa Sène, Mamadou Diouf, jusqu’à l’actuel maire Gana Gning. Il y a des choses qui méritent même de sacrifier sa vie. Mourir dans ce combat serait une fierté et non une honte’’.