Le secrétaire général du Sutsas (Syndicat unique des travailleurs de la Santé et de l’Action sociale), Mballo Dia Thiam, n’a pas tardé à réagir après la promesse du chef de l’Etat, Macky Sall, de recruter 1500 agents de santé dont 500 médecins. Le leader syndical se dit loin d’être emballé par cette décision, car voulant du concret : « On est toujours à l’état de promesses car on a eu avec les gouvernements précédents l’engagement de recruter 1000 agents par an » dit-il en une manière de rappeler, que ces engagements n’ont jamais été tenus. Mballo Dia Thiam dit donc attendre que la promesse faite par Macky Sall soit réalisée pour applaudir des deux mains.
Le Témoin – Le chef de l’Etat a mis fin au couvre-feu et à l’Etat d’urgence. Quelle appréciation globale faites-vous de cette décision ?
Mballo Dia THIAM – C’est une décision qui nous prend de court car avec l’état des lieux qu’il a fait en indiquant que la pandémie a pour épicentres les trois régions que sont Dakar, Thiès et Diourbel, nous pensions que des mesures plus hardies allaient être prises pour mieux confiner le virus et faire en sorte qu’il y ait moins de risque de propagation. Or, contre toute attente, comme d’ailleurs il l’avait fait pour la première fois en annonçant des mesures d’assouplissement, le Président a ouvert toutes les vannes et, de ce point de vue, les risques de propagation s’accroissent. Les populations ont fini de banaliser les masques, pour ne pas dire les mesures barrières, le lavage des mains n’est plus de rigueur. Les masques sont sur la nuque, le menton ou quelque part, les moyens de transport en commun sont en surcharge, sans compter les marchés qui sont bondés de monde. C’est comme si rien n’était et là on ne parle pas des plages ! On ne peut pas comprendre que, dans une situation comme celle-là, on puisse laisser libre cours au virus. C’est comme si le Président avait levé le drapeau blanc car on était en guerre quand même !
C’est comme un général qui lève le drapeau blanc en pleine guerre et qui signe la fin de la guerre laissant les soldats presque aux mains nues. Le personnel de santé, par endroits, n’est pas protégé car il y a un problème de masques, de gants, de gel … La pandémie revêt un caractère communautaire parce que c’est dans la communauté qu’on doit mener la bataille. Or, on ne peut pas mener la bataille les mains nues. il faut se préparer à cela. Dans un premier temps, les malades étaient acheminés dans les hôpitaux, aujourd’hui ceux-ci sont pleins. Les hôtels ne peuvent plus contenir les gens maintenant c’est à domicile que les malades sont traités. Mais dans quelles conditions ? Si c’est à domicile, il faut qu’on change de stratégies. Changer de stratégies demande à revoir les organigrammes, rehausser les protocoles, mettre les maillons qu’il faut. il ne faut pas seulement des déclarations d’intention et on aurait dû anticiper avant de prononcer tout cela. C’est tout ceci qui constitue des inquiétudes pour nous autres personnels de santé car le paludisme est en train de pointer le nez du fait de l’hivernage, la fièvre étant le dénominateur commun entre la Covid, le paludisme, la grippe saisonnière, la méningite et les autres maladies infectieuses.
Donc, vous pensez que la décision de levée de l’état d’urgence a été prise dans la précipitation sans concertation avec les différents acteurs ?
Comme toutes les autres décisions ! En ce qui nous concerne, nous ne sommes membres d’aucun comité de gestion ni au niveau national encore moins au niveau périphérique. Nous ne savons pas comment les décisions se prennent. Mais toujours est-il que le technicien est pris de court par le politique. C’est ce dernier qui prend la décision à la place du technicien. Souvent, les arguments des techniciens sont battus en brèche. C’est comme si c’est l’argument économique seulement qui devrait prévaloir. il est vrai que c’est un argument important mais il faut allier les deux. il ne faut pas faire primer l’économie au détriment de la santé. Parce que même le plan de mise à niveau dont on parle est un investissement. C’est des sous d’autant plus qu’on ne l’a pas encore validé car cela est prévu pour 2020-2024. Avant la fin de 2020, il y a des urgences. Celles-ci concernent la protection des travailleurs, le renforcement des agents de santé communautaire, la communication qui doit se faire à ce niveau et tout ce qui s’ensuit. On ne voit pas venir.
Vous avez l’habitude de dire que le Sénégal est malade de sa santé ; or, le chef de l’État a annoncé le relèvement du plateau technique ainsi que le recrutement de 500 médecins et 1000 agents de santé. Est-ce une bouffée d’oxygène selon vous ?
On a accueilli cette annonce avec beaucoup d’enthousiasme et d’espoir. Nous avons même participé à ce plan quinquennal et sommes d’accord qu’il faut mettre à niveau notre système en comblant tous les gaps infrastructurels, en équipement, ressources humaines et en formation. C’est un plan extrêmement important. Mais pendant qu’on est en train de réfléchir sur ce plan comment doit-on vivre avec ce virus, cet ennemi insidieux ? C’est cela la problématique ! Chaque pays du monde va réfléchir sur l’après Covid 19, va requinquer son système de santé en commençant par la France, les Usa etc. Notre préoccupation c’est qu’au moment où on prend ces décisions (Ndlr, de levée de l’état d’urgence), on constate une flambée de la pandémie au Sénégal, le nombre de morts est multiplié par trois. Un seul mort pose problème à raison de trois morts par jour. Le recrutement a été une revendication non satisfaite. On est toujours à l’état de promesses car on a eu avec les gouvernements précédents l’engagement de recruter 1000 agents par an. Normalement, chaque année, le ministère de la Fonction publique doit recruter autant pour la santé, pour l’éducation, pour la police. La démographie galope et il y a des besoins nouveaux en sécurité, en santé etc.
Il faut les couvrir en créant des infrastructures. On ne peut pas, pour une Fonction publique, se donner le luxe de ne pas recruter pendant 4 ans ou 5 ans et en lieu et place d’avoir des contrats à durée déterminée qu’on reconduit à foison en mettant le personnel dans une certaine précarité, tout comme le système. Nous pensons que c’est une belle opportunité de recruter 1500 agents. On accueille cela avec enthousiasme d’autant plus que le 11 janvier 2019, lors d’une audience au Palais avec la délégation d’And Gueusseum, parmi les problèmes soulevés, il y avait la question du recrutement pour sortir ces contractuels de Cobra, de Jica de la précarité pour les mettre dans la Fonction publique car l’Etat a besoin d’eux. On nous avait promis 600 en fin 2019. Les 600 ne sont pas encore arrivés. Maintenant, si en 2020 on nous dit ce ne sera pas 600 mais 1500 dont 500 médecins cela nous comble de joie. Cela va réduire le gap qui est énorme. Il est supérieur à 5000 agents (…)
Le Témoin