Ces spéculateurs fonciers sont vraiment sans pitié ! On savait déjà qu’ils sont sans morale et sans foi ni loi mais enfin on était en droit de penser naïvement qu’au moins, ils épargneraient dans leurs viles manœuvres des icônes de la Nation. Des icônes mais attention, qui se meuvent loin de la mare aux crocodiles de la politique ou même des affaires, qui creusent leur sillon sans tambour ni trompettes et, souvent, font flotter haut le pavillon national au fronton des enceintes les plus prestigieuses du monde. Ces icônes sont encore plus à respecter s’il s’agit de femmes qui se battent à la force du poignet ou brillent de mille feux à travers leurs créations intellectuelles mais pas seulement.
Mme Aminata Sow Fall, femme de lettres, auteure de l’immortel « La Grève des Bàttu », un classique de la littérature nationale traduit dans je ne sais plus combien de langues, une dame honorée à travers le monde entier et qui déteste les feux de la rampe, fait partie de ces icônes. Une vraie fierté nationale, unanimement reconnue et qui a contribué à donner à notre littérature ses lettres de noblesse. Mais Mme Aminata Sow Fall ne se contente pas seulement d’écrire de très beaux livres, elle en édite aussi et participe à l’éclosion de nouveaux talents. Elle est une entrepreneuse culturelle mue non pas par la volonté de gagner de l’argent mais surtout par l’amour du livre et des créations de l’esprit. C’est dans ce cadre qu’elle a créé, outre une maison d’édition, des centres culturels dont le fameux Caec (Centre africain d’animation et d’échanges culturels) et aussi le Cirlac, un complexe culturel de référence à Sanar, Saint-Louis, sa ville de naissance, qui lui a valu les félicitations de personnalités venus des quatre coins du monde ayant eu la chance de visiter ou de séjourner dans ce bijou.
L’une d’elles, c’est Mme Christiane Taubira, ancien ministre français de la Justice. Ce complexe, justement, Mme Aminata Sow Fall rêvait d’en construire une réplique à Sangalkam pour y prendre sa retraite. A cette fin, elle avait acquis, dès 1970, un terrain d’une superficie de sept hectares à Ndiakhirate Ndiobène, localité située dans l’actuelle commune de Sangalkam. Son défunt frère, Aliou Dia, ancien directeur du Cadastre, s’était occupé personnellement de tous les plans et aménagements techniques. Elle-même y a creusé un puits et planté des arbres qui ont fini par former une clôture naturelle.
Accaparée par ses multiples activités non seulement au Sénégal mais également dans d’autres continents et se disant que, de toutes façons, ce projet conçu pour sa retraite pouvait attendre, notre distinguée compatriote avait commis l’erreur de négliger son terrain de Sangalkam. C’est une parente qui, au détour d’une conversation un jour, lui a demandé : « mais, ma tante, est-ce que tu as songé à sécuriser ton bien immobilier ? La zone où il se trouve fait l’objet de fortes convoitises et de beaucoup de spéculations foncières ! » Mme Aminata Sow Fall ne se le fait pas dire deux fois. Elle se rend à la mairie de Sangalkam pour essayer de régulariser son terrain. On était en 2016, soit 46 ans après l’achat du terrain.
Première tuile et première grosse douche anglaise. Ses interlocuteurs lui disent que c’est bien faisable mais à condition qu’elle renonce à la moitié du terrain au profit de la mairie ! Elle tique mais, n’étant pas trop obnubilée par les richesses matérielles, elle accepte cette proposition étrange et…scandaleuse. Ce sur un terrain dont la superficie a été réduite comme une peau de chagrin par eux puisque, de sept hectares, ces bons messieurs de la mairie lui ont dit que son bien faisait en réalité 4 hectares, 75 ares et 17 ca. La proposition indécente acceptée, la mairie consentit à régulariser le terrain par un protocole d’accord numéro 007P/SANG/16. Ce n’est pas tout puisqu’elle a exigé, la commune, un paiement de quatre millions sept cent cinquante mille (4.750.000) francs que Mme Aminata Sow Fall a effectué en date du 13 juin 2016 avec la quittance de paiement numéro 0000136 Bornage Numéro 266. Les gens de la mairie s’étaient engagés à prendre en charge les frais de remblai, de terrassement et de bornage mais ils n’en ont rien fait, bien sûr.
Abracadabra, vous n’avez plus de terrain, Madame !
Toujours est-il qu’en juillet de la même année 2016, ils ont délivré à notre icône des Lettres une délibération parcellaire pour 94 parcelles. hélas sans l’aval du sous-préfet adjoint de Sangalkam, M. Marcel Mbaye Thiaw. Le fils de Mme Aminata Sow Fall réussit à rencontrer le chef du Service des Domaines de rufisque qui lui a fait comprendre que la délibération et les plans de la mairie de Sangalkam n’étaient pas aux normes. Par la suite, il obtient une audience avec le maire, c’està-dire le ministre Oumar Guèye, qui lui demande de faire établir un plan cadastral par un géomètre agréé. Quelques mois après, la propriétaire se voit demander de faire réaliser le bornage des parcelles sur le site. Ce qu’elle fait à ses frais.
Après un an d’attente, la mairie produit enfin une nouvelle délibération en date du 16 octobre 2018. Le document dit ceci : « Est adopté le projet de lotissement « ilot A. S. F. » initié par le Maire de la commune de Sangalkam dans le village de Ndiobène (Noflaye) dénommé « ilot Aminata Sow Fall » sur une superficie de 2 ha, 16 a, 33 ca conformément au plan joint en annexe ». hourrah ! hélas, nouvelle douche froide pour la patronne du CAEC et du Cirlac ! En effet, alors qu’elle croyait être au bout de ses peines, le sous-préfet de Sangalkam a, au mois d’août dernier, refusé d’approuver la délibération du conseil municipal dirigé par le ministre Oumar Guèye. Motif : « Le terrain se trouve dans le Pôle urbain de Diack-Sao Bambilor (Noflaye) objet du TF 11361/r ».
Autrement dit, Mme Aminata Sow Fall s’était proprement fait déposséder de son terrain ! Elle n’avait plus rien… révulsée par cette injustice, cette extorsion dont elle venait d’être victime, elle prend sa (très belle) plume pour écrire au président de la république afin de lui expliquer ce qui lui était arrivé et en appeler à son arbitrage. Quelques semaines plus tard, au cours d’une cérémonie à la Présidence, le président de la République, apercevant Mme Aminata Sow Fall est venu vers elle pour lui présenter ses vœux. Puis, sans qu’elle lui ait dit quoi que ce soit, lui a assuré en substance ceci : « J’ai reçu votre lettre, Madame, mais soyez sans crainte : votre terrain vous sera rendu intégralement ». Parole de président de la République ! Effectivement, il a tenu promesse puisque, le 09 janvier dernier, le maire Oumar Guèye a reçu, en ses bureaux alors sis à Dieuppeul, Mme Aminata Sow Fall et son fils pour leur réitérer que leur bien foncier leur sera restitué d’abord parce qu’il n’était même pas sûr que ces pôles urbains (pour la réalisation desquels la grande dame a été « expropriée ») verront le jour mais surtout en raison de ce que l’auteur de « La grève des battù » représente pour la Nation. Une dame qui a englouti tout ce qu’elle gagne depuis bientôt 50 ans en tant que « visiting professor » aux USA, ses droits d’auteur et l’argent qu’elle perçoit dans les conférences qu’elle donne sur les cinq continents, dans ses projets culturels.
Eh bien, depuis son audience avec le ministre Oumar Guèye du 09 janvier 2020, c’est silence radio du côté du ministre-maire. Et Mme Aminata Sow Fall n’a plus jamais eu de nouvelles de ce terrain dont elle a été dépossédée. Comme quoi, le président de la république a beau donner des instructions « fermes », les forces d’inertie sont encore plus puissantes que sa parole ou son autorité. Mais quand même, faire ça à une fierté nationale comme Mme Aminata Sow Fall… Tout fout le camp !
Par Mamadou Oumar Ndiaye