«Les pénuries d’eau ne prendront fin qu’avec l’entrée en service de l’usine de KMS3», selon l’ancien DG de la Sones

par pierre Dieme

Ingénieur, ancien directeur général de la Société nationale des Eaux du Sénégal (SONES, société de patrimoine), consultant de la Banque mondiale, Mamadou Samb « Delco », acteur majeur de plusieurs réformes importantes de l’Etat dans le secteur de l’Eau, est bien placé pour parler des pénuries qui frappent la capitale. Il se livre à un diagnostic sans complaisance de la situation et propose des solutions. Il se prononce aussi sur ses relations avec le président de la République ainsi que sur son engagement politique…

M. Mamadou Samb, le secteur de l’eau semble poser de manière constante beaucoup de problèmes au consommateur sénégalais. Entre pénuries constantes, un changement d’opérateur rocambolesque ou la qualité de l’eau qui laisse à désirer, quelle est votre appréciation ?
 Je vous remercie pour cette question à multiples facettes. Ce qui est patent, c’est la réalité du déficit en eau de la ville de Dakar. Un déficit qui est la conséquence d’un grand retard d’investissement constaté depuis 2010 et, en même temps, d’une augmentation exponentielle de la demande. En 2012 ce déficit avoisinait les 45000m3/jour, ce qui avait conduit à la mise en place d’un Plan d’urgence (2012-2015) pour le contenir à travers un important programme de réalisation de forages sur les 3 ans avant la construction d’une station de dessalement de l’eau de mer en phase intérimaire programmé initialement pour 2017. Cette unité devait permettre de contenir et absorber le déficit jusqu’en 2018/2019 qui devait voir la réalisation de l’usine de Keur Momar Sarr (KMS) 3. Du fait des retards dans l’exécution de ce programme d’urgence et aussi de la non disponibilité des études environnementales pour le dessalement, force était de constater que, malgré quelques réalisations çà et là, le déficit en eau de Dakar restait réel et persistant. 
C’est dans ce contexte, et pour éviter d’exacerber la situation, que le Président a instruit le gouvernement de rapprocher la réalisation de l’usine de Keur Momar Sarr 3 et de supprimer du même coup la réalisation de la phase intérimaire. Nous sommes donc aujourd’hui suspendus à la mise en service de KMS3 (fin 2020 ou plutôt fin du 1e semestre 2021) en espérant que la pointe de chaleur hivernale ne mette à nu l’important déficit que j’ai évoqué. Il s’agit d’un déficit structurel mais résiduel dont, pour la première fois, nous connaissons le terme c’est-à-dire dans 6 à 9 mois. Il est donc impératif de le gérer en toute transparence avec les populations en arrêtant d’invoquer à chaque fois des arrêts d’usine (Ngnith ou KMS) voire des réhabilitations hypothétiques de forages. Rappelons qu’une telle situation, le pays l’avait déjà connue en 1995 avec un déficit de plus de 80000m3/jour. 

« Un des paradoxes de l’approvisionnement en eau potable de Dakar réside dans le fait que le taux de gaspillage de l’eau reste encore trop important »

A l’époque, en attente de la mise en service de KMS1 par le Projet sectoriel eau, l’Etat avait lancé une forte campagne d’économie d’eau pour sensibiliser les consommateurs afin d’atténuer l’ampleur du déficit. C’est encore possible aujourd’hui de faire une campagne similaire car chaque m3 économisé réduit d’autant l’écart de production. Un des paradoxes de l’approvisionnement en eau potable de Dakar réside dans le fait que le taux de gaspillage de l’eau reste encore trop important en raison notamment des réseaux des particuliers non surveillés, du rejet sauvage d’eaux par les industriels sans aucun recyclage pour une réutilisation partielle, du traitement tertiaire encore hypothétique dans les stations d’épuration et d’autres facteurs. Il serait donc souhaitable de se pencher sur cette question en symbiose avec les populations concernées pour prendre différentes mesures telles que la revitalisation des programmes de recherche de fuites par le fermier ; la revue de paramètres de maîtrise des pertes sur le réseau en vue d’obtenir des gains de rendement ; le lancement de campagnes d’économie d’eau en rendant possible la remise à niveau des réseaux publics particulièrement sujets aux pertes d’eau (Administrations, écoles publiques, hôpitaux, structures grosses consommatrices d’eau comme les casernes, les universités, les ports aéroports, etc.) Car, certes, des efforts ont été faits pour la réduction de la facture d’eau de l’Etat mais beaucoup trop reste à faire. 

Si l’on vous comprend bien, Monsieur le Directeur, l’entrée en service de KMS3 devrait constituer la fin du calvaire pour les populations de Dakar confrontées à une pénurie d’eau sans précédent… 
Assurément, car avec un apport théorique de 200000m3/jour le déficit serait ainsi résorbé en laissant une capacité de production nette de 150000m3/jour. Et c’est là qu’il est important de réfléchir sur l’utilisation à bon escient de cette capacité excédentaire de sorte à éviter de placer encore Dakar dans la même situation seulement au bout de quelques années. Une chose est sûre : les programmes de forages et de réhabilitations devront être absolument maintenus pour une bonne maîtrise de la forte croissance de la demande et ceci malgré la marge excédentaire résultant de la mise en service de KMS3. Ce sera aussi l’occasion de s’attaquer au problème de la qualité de l’eau constamment décriée par les populations. 

A mon avis, une partie de l’excédent devrait être utilisée pour organiser l’arrêt des forages responsables de la forte teneur en fer, ce qui permettrait l’élimination du phénomène et clore le débat sur la qualité de l’eau quand on sait que le problème de la présence de nitrates dans l’eau a été réglé par la neutralisation et la réaffectation des forages de Thiaroye vers les zones maraîchères. Il appartiendra ainsi à l’Etat de définir les modalités de réutilisation des eaux issues de ces forages pour la promotion et l’extension des périmètres maraîchers et horticoles et de faire en sorte que ces eaux souterraines soient exclusivement affectées au maraîchage, ce qui n’écarte pour autant les piquages par lesquels ils étaient alimentés par les ressources de l’ALG. 

Extrait entretien avec Le Témoin

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