La sortie de mesures exceptionnelles mises en place dans le cadre de la lutte contre la pandémie de la covid-19 est certes chose difficile. Elle doit prendre en compte des données objectives fournies par la situation médicale et permettant de constater que l’entrée dans un moment de décrue (ou de pic dépassé) a été effective par l’analyse de statistiques. Elle doit également donner lieu à une posture de vigilance permettant de guetter la moindre reprise de cas d’infections comme le vivent déjà plusieurs pays. Elle doit enfin reposer sur une batterie de mesures propres à relancer l’activité économique, en particulier dans les pays les moins nantis où l’appauvrissement s’est accéléré et où la faim déjà guette.
Les paramètres à prendre en compte pour adopter la bonne décision sont donc nombreux, plaçant les gouvernants dans des situations délicates. Et les critiques deviennent faciles lorsque plusieurs choix sont toujours possibles. Mais il est au moins une exigence à réclamer aux décideurs en dernier ressort : faire reposer sur une cohérence forte la sortie de l’état d’exception sanitaire – et parfois d’un état d’urgence qui n’était sans doute pas nécessaire – afin que l’état nouveau, fait de vigilance et de résidus d’exception, soit bien compris pour être largement accepté par les populations.
Au Sénégal, Macky Sall s’est contenté de baisser les bras, de laisser ses compatriotes à leur sort, les privant de cette nécessaire cohérence qui rendra encore plus difficile la tâche d’autres bonnes volontés qui pourraient s’impliquer dans le projet de protéger nos compatriotes contre la capitulation du chef de l’Etat, chef des armées, chef de la magistrature, président du parti contrôlant la majorité à l’Assemblée nationale.
Gouverner demande du courage. Et lorsqu’on en manque, le refuge peut être de la cohérence et de l’équilibre dans sa décision. Cette cohérence peut permettre d’éviter qu’une capitulation ne se transforme en désastreuse déroute mettant en jeu de nombreuses vies.
Un débat peut s’instaurer autour du moment choisi pour lever l’essentiel des mesures qui avaient été prises afin de protéger contre la dissémination du coronavirus par la réduction des contacts. Le pic a été partout retenu comme le bon moment pour desserrer de telles mesures restrictives. Au Sénégal ce pic n’a pas encore été dépassé comme le prouvent les statistiques quotidiennes de ces dernières semaines.
Macky Sall, sous la pression et craignant lassitude et énervement des populations, a retenu l’abandon du combat et le retour à une vie normale. Ce faisant il reste fidèle à sa conception de la gouvernance consistant à privilégier le traitement politicien de toute problématique nationale, y compris lorsque la santé des populations est en jeu. Nous étions pourtant en droit de recevoir de sa part un discours soutenu par une cohérence constructive de crédibilité, et susceptible de provoquer l’adhésion à toute la part d’attitudes demandée à des citoyens désormais livrés à eux-mêmes dans la lutte contre la covid-19.
La première grosse faiblesse du discours du président du 29 juin se trouve dans la citation de statistiques cumulées lorsque l’analyse juste exigeait celle de l’évolution de ces statistiques au cours des dernières semaines pour justifier ou non un allégement général des mesures de poursuite de déconfinement relatif. Il aurait alors ajouté : « malgré tout je décide l’allègement des mesures prises afin de permettre la reprise des activités économiques et éviter plus grande souffrance aux populations démunies. »
Sans perdre de vue l’aspect sanitaire de la crise, la suite de son discours aurait dû porter sur les mesures de vigilance visant l’identification de futurs clusters éventuels par un accroissement des tests de dépistage, et en prévenant les citoyens de possibles mesures restrictives qui pourraient de nouveau s’avérer nécessaires pour contenir une reprise de la propagation de l’épidémie. Pas un mot de tout cela ! Pourtant les populations doivent y être préparées.
La remise en marche de l’économie apparaît dans son discours comme la principale raison du renoncement à la distanciation systématisée et imposée. La bonne logique aurait nécessité que l’on expose immédiatement les mesures phares prises pour assurer la reprise économique. Je lui avais pourtant conseillé de ne pas sortir du mois d’avril sans un conseil interministériel spécial consacré à l’agriculture dont les résultats de fin d’année seront essentiels à notre Nation. Son discours se contente malheureusement d’annoncer de gros chiffres (60 milliards fcfa) sans préciser ni les cultures, ni les intrants en semences et engrais encore moins les régions destinataires concernés.
Nous lui avions également recommandé d’inviter les professionnels des différents secteurs de l’économie à procéder à un diagnostic de leurs situations respectives et à proposer des mesures de leur maintien en activité et du redémarrage de cette dernière. Car il faut bien avoir conscience qu’il ne s’agit pas de relancer mais plutôt de sauver et faire survivre dans l’urgence. En lieu et place Macky Sall annonce que son gouvernement (comprendre ses collaborateurs en l’absence d’un Premier ministre) travaille sur un Programme de relance de l’économie nationale non encore disponible.
C’est le propre des crises d’être révélatrices de l’incompétence. Celle du Covid-19 n’aura pas fait exception à la règle en dévoilant celle de plusieurs gouvernants à travers le monde. Chez nous éclatent au grand jour les deux principaux maux qui les caractérisent sauf en de rares périodes de temps : l’incompétence et l’obsession de l’enrichissement illicite. Pour rappel, en mars 2020, lorsque nous appelions déjà à de premières mesures de protection contre une pandémie qui frappait à nos portes, le premier collaborateur du chef de l’Etat se souciait de faire passer de gré à gré une dépense de la Senelec en poteaux de béton estimée à moins d’un milliard FCFA pour un marché de 36 milliards FCFA. Et tant pis si une véritable gabegie au sein de cette structure impose le renchérissement de l’électricité remettant ainsi en cause la condition première de l’émergence du Sénégal (PSE paragraphes 388 et suivants).
L’Exécutif discrédité, il reste peut-être l’espoir de voir nos députés enfin se décider à revêtir leurs habits de représentants du peuple, et tenter d’être à l’origine d’un sursaut national. L’Assemblée nationale devrait engager une série d’auditions : spécialistes et professionnels de la santé, experts en modélisation mathématiques, économistes, représentants des différents secteurs d’une économie à préserver de l’effondrement, dans le but de proposer des mesures de sauvegarde de vies de citoyens et de reprise économique.
A défaut, puisse Dieu (swt) protéger le Sénégal !
Par Abdoul Mbaye