Ces rendez-vous ratés de Macky !

par pierre Dieme

Les travers de la riposte étatique contre la pandémie de Covid-19 au Sénégal, ayant débouché avant-hier sur le déconfinement total alors que le nouveau coronavirus tend de plus en plus ses tentacules avec son lot ascendant de contaminations et de morts, ne sont que les toutes dernières manifestations d’une gestion de l’Etat encore en mal d’efficience. Huit années après la deuxième alternance, le Sénégal est ainsi toujours en quête d’un «modèle de démocratie efficace» fondée sur une gouvernance politique gagnante pour les populations. Focus sur les rendez-vous manqués de la deuxième alternance qui prouvent à quel point le président Macky Sall dont l’élection, le 25 mars 2012, avait suscité une grande lueur d’espoir est encore loin des engagements de rupture pris devant le peuple sénégalais et du modèle gagnant promis au Sénégalais lambda.

Élu 4ème président de la République du Sénégal au soir du 25 mars 2012, à l’issue du second tour d’une élection présidentielle organisée dans un climat de très fortes tensions marqué par la contestation de la candidature du président sortant, Me Abdoulaye Wade, pour un troisième mandat, Macky Sall suscitait un grand espoir pour la majorité des Sénégalais. Membre du mouvement dénommé M23 (mouvement du 23 juin) qui a été entre le 23 juin 2011 et janvier 2012 le fer de lance de la bataille contre le troisième mandat du président sortant et les «graves les atteintes à la démocratie et à l’Etat de droit notées lors de la gestion du régime libéral, Macky Sall avait pris l’engagement de traduire en acte les conclusions des Assises nationales en signant la Charte de Gouvernance démocratique.

Dans son programme de campagne électorale, «Yoonu Yokkuté» (le chemin du véritable développement), il avait ainsi inscrit plusieurs mesures dont la réforme du Conseil constitutionnel, la rationalisation des dépenses publiques avec la suppression des institutions publiques budgétivores, la promotion de l’Etat de droit, la réduction de la durée du mandat présidentielle de 7 à 5 ans et de la taille du gouvernement. Il s’était surtout engagé à faire passer les intérêts de la nation avant ceux de son parti à travers le slogan «la patrie avant le parti» et aussi la mise à l’écart de sa famille dans la gestion des affaires publiques.

UTILISATION EFFRÉNÉE DE LA JUSTICE À DES FINS POLITIQUES CONTRE SES ADVERSAIRES 

Sur le plan politique, notamment la relation entre le pouvoir et opposition, le président n’a cependant pas fait mieux que ses prédécesseurs. Sous son magistère, on a même noté de graves atteintes à l’Etat de droit avec la traque de certains leaders de l’opposition, une démarche qui avait presque disparu sous le régime libéral de Me Abdoulaye Wade. Engagé à réduire son opposition à sa plus simple expression, le président Sall en l’espace quatre années a réussi à fixer très haut la barre des emprisonnements de ses adversaires politiques. Le délit d’offense au chef de l’État de ses adversaires politiques dont on n’avait plus entendu parler depuis la condamnation de l’actuel maire de Thiès, Talla Sylla, par le régime socialiste du président Abdou Diouf en 1998, était le principal modus operandi de l’actuel procureur de la République dans cette traque aux opposants du président de la République.

Entre 2012 et 2016, plus de 42 militants du Pds dont presque la totalité des responsables restés fidèles à l’ancien président de la République à l’époque sont arrêtés et placés sous mandat de dépôt pour entre autres délits, offense au chef de l’État, atteinte à la sûreté de l’État, rassemblement interdit, trouble à l’ordre public et détournements de fonds publics. Me El Hadj Amadou Sall, Bara Gaye, Samuel Sarr, Oumar Sarr, Toussaint Manga pour ne citer que ceux-là, ont tous été envoyés à la prison de Rebeuss par l’actuel procureur de la République, à cause de leurs propos sur l’actuel chef de l’Etat, Macky Sall.
 Toujours dans ce registre des dossiers judiciaires dont le traitement répond à un agenda politique, il y a également la réouverture le 20 octobre 2016 de l’affaire du meurtre de Ndiaga Diouf, tué lors de l’attaque de la mairie de Mermoz Sacré-Cœur en 2011. Classé depuis 2012, il a fallu attendre que le maire de Mermoz Sacré-Cœur avec certains de ses camarades de parti commencent à multiplier leurs sorties pour demander le départ de leur formation, le Parti socialiste de la coalition Bennoo Bokk Yaakaar et une candidature socialiste à la prochaine l’élection présidentielle pour voir ce dossier réactualisé par la convocation devant la justice de Barthélémy Dias. Il y a le cas de Khalifa Sall condamné le 30 mars 2018 à cinq ans d’emprisonnement et 5 millions de francs CFA d’amende pour « faux et usage de faux » et « escroquerie pourtant sur les deniers publics » dans l’affaire de la Caisse d’avance de la mairie de Dakar initié contre lui sur la base d’un rapport de l’Inspection générale de l’Etat, d’ailleurs commandité par le chef de l’Etat. Alors même que la Cour de Justice de la Cedeao, dans un arrêt rendu le 29 juin 2018, établissait que la présomption d’innocence de l’ancien maire de Dakar était bafouée dans le cadre de cette procédure, jugeait sa détention arbitraire et constatait la violation de son droit à l’assistance d’un avocat et à un procès équitable. Et c’est sur la base de cette condamnation que le Conseil constitutionnel va s’appuyer d’ailleurs pour écarter la candidature de Khalifa Sall à l’élection présidentielle du 26 février 2019.

LA TRAQUE TRÈS SÉLECTIVE DES BIENS SUPPOSÉS MAL ACQUIS 

Enclenchée depuis 2012 par le nouveau régime du président Sall, la traque des biens supposés mal acquis, présentée comme une demande sociale, fait également partie des dossiers où la démarche du président Sall a plus que surpris les Sénégalais. En effet, sur une liste de 25 personnalités de l’exrégime ciblées dont sept frappées par une interdiction de sortie du territoire national, seuls Karim Wade et ses deux coaccusés, Pape Mamadou Pouye et Ibrahim Abou Khalil Bourgi dit Bibo, ont été jugés et condamnés par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Pour le reste, notamment ceux qui ont par la suite décidé de se rapprocher de la prairie marron et beige de l’Apr pour «aider le président dans la réalisation de sa vision pour un Sénégal émergent à l’horizon 2035», les dossiers sont rangés dans les tiroirs. Pour preuve, Macky Sall lui-même a avoué avoir la haute main sur la traque des biens mal acquis. «Il n’y a pas d’acharnement, sur qui que ce soit. Vous seriez surpris par le nombre de dossiers auxquels je n’ai pas donné suite», avait déclaré le chef de l’Etat dans un entretien accordé à Jeune Afrique. À cela s’ajoute également une politique d’impunité totale à l’égard de certains de ses proches épinglés par les rapports de corps de contrôle comme le premier rapport de l’Ofnac de 2016. En lieu et place d’une sanction contre ces personnalités, pratiquement tous des responsables de l’Apr, le président de la République a préféré prendre un décret pour débarquer l’ancienne présidente de l’Ofnac, Mme Nafi Ngom Keita. Cela, en dépit de sa déclaration le 3 avril 2012, lors de son adresse à la nation sur un ton ferme, «à tous ceux qui assument une part de responsabilité dans la gestion des deniers publics, je tiens à préciser que je ne protègerai personne. Je dis bien personne».

COMPOSITION A REBROUSSE-POIL DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Dans son programme de campagne électorale, «Yoonu Yokkute» (le chemin du véritable développement), l’actuel chef de l’État s’était également engagé à apporter des changements dans la nomination des « Cinq Sages » et à réformer le Conseil constitutionnel en faisant passer le nombre de juges de 5 à 7 dont 3 seront nommés par le président de la République parmi lesquels le Président du Conseil. Pour les quatre autres Sages, l’actuel chef de l’État avait ainsi réparti leur nomination : un par la majorité parlementaire, un par l’opposition parlementaire et deux par le Conseil Supérieur de la Magistrature. Mais, au final, même si l’effectif de cette juridiction est effectivement passé à la suite de réformes constitutionnelles adoptées, lors du référendum du 20 mars 2016, de 5 à 7 membres, le président de la République a préféré maintenir son contrôle sur les personnalités devant siéger au niveau de cette institution chargée de trancher les conflits électoraux.

Ainsi, la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 5 avril 2016 adoptée à la suite de ce référendum dit clairement que le président de la République nomme les membres du Conseil dont deux sur une liste de quatre personnalités proposées par le Président de l’Assemblée nationale.

NON-REDUCTION DU MANDAT PRESIDENTIEL EN COURS DE 7 A 5 ANS

Candidat à la présidentielle, Macky Sall a clamé partout son engagement à réduire la durée de son mandat présidentiel en cours de 7 à 5 ans s’il est choisi par les Sénégalais pour diriger le pays. Devenu président de la République du Sénégal au soir du 25 mars 2012, il a continué à clamer cette volonté de ramener la durée du mandat présidentiel à cinq ans, comme cela avait été arrêté dans la Constitution de 2001 avant que son prédécesseur, Me Abdoulaye Wade, pourtant auteur de cette Constitution de 2001, ne décide de revenir sur cette durée. «Déjà, comme vous le savez, j’ai décidé de ramener à 5 ans le mandat de 7 ans pour lequel je suis élu sous l’emprise de l’actuelle Constitution. Je tiens également à ce que les dispositions constitutionnelles limitant l’élection du président de la République à un mandat de 5 ans, renouvelable une seule fois, soient verrouillées, sans possibilité de modifications» : telle était la formule que l’actuel homme fort de l’Exécutif avait l’habitude de répéter urbi et orbi, durant les trois premières années de son mandat. Cependant, après trois années d’intense communication au Sénégal et devant plusieurs institutions internationales telles la Banque mondiale ou encore devant des chefs d’État étrangers comme Barak Obama, président des États-Unis en visite au Sénégal, Macky Sall a finalement décidé de mettre de côté sa parole donnée pour se conformer à l’avis du Conseil constitutionnel qu’il avait consulté sur cette question. Cela, même si 45 enseignants du droit diront par la suite qu’il pouvait aller outre cet avis des « Cinq sages » qui le défendaient d’appliquer cette réduction de la durée du mandat présidentiel au mandat en cours.

LA RÉDUCTION DE LA TAILLE DU GOUVERNEMENT

 Comme la réduction de la durée du mandat présidentiel, la réduction de l’attelage gouvernemental faisait également partie des engagements phares de l’actuel locataire du Palais de la République. Dans son programme « Yoonu Yokute », le chef de l’État avait promis, une fois porté au pouvoir de gouverner avec une équipe gouvernementale de Rassemblement national de 25 ministres au maximum.

Ainsi, élu au soir du 25 mars, Macky Sall a joint l’acte à la parole en procédant à la nomination dans le premier Gouvernement du Premier ministre, Abdoul Mbaye, 25 ministres dont la plupart était des technocrates. Cependant, cet engagement n’a pas pu tenir face à la dure réalité de la politique du pouvoir puisque six mois après la formation de ce premier cabinet ministériel, le chef de l’Etat lors de son premier remaniement gouvernemental, le 29 octobre 2012, a fait passer le nombre des ministres à 30, puis à 32 ministres en septembre 2013 sous le Gouvernement du Premier ministre Aminata Touré. Mais, avec l’arrivée à la Primature de Mahammad Boun Abdallah Dionne, la taille du gouvernement connaitra une importante hausse avec environ 34 membres, 5 secrétaires d’Etat et un nombre indéterminé de ministres conseillers et de ministres d’Etat auprès du Président de la République. Aujourd’hui, sous le Gouvernement de Dionne 2, certains parlent même de plus de 80 ministres dont 39 ministres avec portefeuilles, des ministres d’États et des ministres conseillers.

MODIFICATION TENDANCIEUSE DE LA CONSTITUTION D’UN GROUPE PARLEMENTAIRE DE 10 A 15 DEPUTES

 La modification du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, le 29 juin 2016, participe vraisemblablement aussi des coups de force réalisés par le régime Sall contre la vitalité de la démocratie sénégalaise. Approuvé par 142 députés sur les 150 que compte l’Assemblée nationale, ce texte est présenté par la plupart des analystes comme une réforme déconsolidante dans la mesure où il fait passer le nombre de députés exigé pour former un groupe parlementaire de 10 à 15 contre le dixième seulement fixé par le régime de Wade. Un quota qui avait d’ailleurs permis, lors de la dixième législature, au Ps et à l’Afp d’avoir leur propre groupe parlementaire. En outre, une autre disposition de cette même loi empêche également tout député démissionnaire de son groupe parlementaire d’adhérer à un autre groupe en cours de législature. Sans conteste, ce texte avait pour objectif non seulement d’empêcher les députés de Rewmi qui venaient de rompre le compagnonnage avec Bby (mouvance présidentielle) de constituer leur propre groupe parlementaire. Mais aussi, de ferrer davantage le groupe des frondeurs du Parti socialiste.
 
COMPOSITION A REBROUSSE-POIL DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL 

Dans son programme de campagne électorale, «Yoonu Yokkute» (le chemin du véritable développement), l’actuel chef de l’État s’était également engagé à apporter des changements dans la nomination des « Cinq Sages » et à réformer le Conseil constitutionnel en faisant passer le nombre de juges de 5 à 7 dont 3 seront nommés par le président de la République parmi lesquels le Président du Conseil. Pour les quatre autres Sages, l’actuel chef de l’État avait ainsi réparti leur nomination : un par la majorité parlementaire, un par l’opposition parlementaire et deux par le Conseil Supérieur de la Magistrature. Mais, au final, même si l’effectif de cette juridiction est effectivement passé à la suite de réformes constitutionnelles adoptées, lors du référendum du 20 mars 2016, de 5 à 7 membres, le président de la République a préféré maintenir son contrôle sur les personnalités devant siéger au niveau de cette institution chargée de trancher les conflits électoraux. Ainsi, la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 5 avril 2016 adoptée à la suite de ce référendum dit clairement que le président de la République nomme les membres du Conseil dont deux sur une liste de quatre personnalités proposées par le Président de l’Assemblée nationale.

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