L’impact de la Covid -19 sur les activités des femmes du secteur informel : entre pertes de revenu et abandon ?

par pierre Dieme

La maladie à coronavirus qui a fini de mettre l’économie mondiale à genoux,  a été également durement ressentie  par les femmes travaillant dans le secteur informel. Ces femmes domestiques, vendeuses au marché, ou propriétaires de petites entreprises se sont retrouvées durement impactées par la covid-19, car il leur est quasiment impossible d’acquérir leur gagne-pain sans une présence physique sur leur lieu de travail.

Pour beaucoup de femmes vivant dans des conditions de précarité,  le défi est de survivre au jour le jour. Elles sont employées de maison, femmes évoluant dans les PME ou autres s’activant dans le commerce du sexe. Trois catégories de femmes qui font l’objet de notre reportage. Comment s’en sortent-elles en cette période de pandémie de la covid-19 ? 

Appelons-la Ndèye Sène. La trentaine, sérère bon teint, Ndèye partage une chambre de bonne avec trois de ses amies au quartier de Ouest-Foire / Dakar.    

Employée de maison aux Almadies, elle est en chômage technique depuis l’apparition de la maladie au Sénégal. Son employeur l’a contrainte à rester chez elle pour plus de précaution, dit-elle. Mère de deux enfants, Ndèye cumulait son travail de domestique avec celui de lingère chez certains particuliers pour pouvoir payer sa chambre de location, et envoyer de l’argent à ses parents restés au village. Obligée de rester chez elle,  elle vit difficilement les contrecoups de la maladie. 

«  Je me suis séparée du père de mes enfants et je suis venue dans la capitale pour travailler.  Il y a de cela plusieurs années que je travaille comme bonne  mais mon employeur qui me payait 75.000 s’est séparé de moi, arguant que ce n’est pas sûr avec le virus qui circule. Je suis donc obligée de rester chez moi  alors que j’ai besoin d’argent pour survivre. Ici à Ouest-Foire, la location est élevée. La chambre que nous occupons c’est le garage de la maison que le propriétaire a modifié pour nous la louer. Il nous la loue à 60.000 fcfa. Chacune de nous donne 20.000 pour le prix du logement. J’envoie en plus de l’argent à mes parents. Ce que j’arrive à rassembler sert à payer ma location, ma nourriture et même les masques de protection c’est un client de lessive qui me le procure. C’est vraiment difficile, faute de soutien. » 

Autre femme, autre condition de vie! K. Nd est une charmante jeune demoiselle. Elancée et claire de peau, elle doit faire dans les 50 kg. Son travail elle l’exerce la nuit comme prostituée. Mais depuis l’apparition de la maladie et le couvre-feu imposé par les autorités, elle ne sort plus la nuit pour arpenter les rues à la recherche de clients. Son travail, elle le négocie dorénavant par téléphone. Les endroits où elle trouvait facilement des clients comme les bars et les boîtes de nuit sont fermés à cause du coronavirus. Les rares clients qui appellent le font dans la journée et elle se déplace chez eux pour la passe. Un travail qu’elle fait dans la journée avant 20h à cause du couvre-feu. « Il arrive que je parte voir un client l’après-midi, mais il souhaite que je passe la nuit. J’accepte du moment qu’il paie le prix. Vous savez ce n’est plus comme avant. Je n’ai plus de clients comme avant et les prix sont revus à la baisse. Parfois je suis obligée d’accepter pour mes besoins personnels. Tenez, j’ai  même abandonné ma chambre de location pour partager une minuscule chambre sans salle de bain avec une autre collègue comme ça on se cotise pour payer la chambre a 50.000 fcfa. La covid-19 nous a vraiment impacté. Quand  je trouve un client, il y’a certaines choses que je ne  fais plus comme embrasser sur la bouche. Et avant de passer à l’acte, on se lave et nous mettons des masques. » 

Pourtant les filles de joie même avec quelques mesures sont exposées à la maladie. À Ziguinchor par exemple, une prostituée Bissau guinéenne a été testée positive à la covid-19. Sa concitoyenne, le gérant et son personnel ont été mis en quatorzaine et  les potentiels clients recherchés. 

La pandémie de COVID-19, selon l’Organisation internationale du travail (OIT)  a eu un effet dévastateur en Afrique, notamment dans l’économie informelle où 325 millions de travailleurs gagnent leur vie. 

Au Sénégal particulièrement, les mesures de confinement prises par le président de la République  Macky Sall ont eu un impact significatif sur les activités des femmes qui s’activent dans les entreprises informelles dont beaucoup avaient d’ailleurs fermé boutique. 

C’est le cas de Mme Ndao, une femme qui tient un restaurant qui a pignon sur rue à Yoff mais qui a baissé rideau. Ses activités étaient quasiment à l’arrêt depuis la période du confinement. Les rares clients qui venaient avant l’heure du couvre-feu imposé ne lui permettaient plus de payer les salaires de ses trois employés. La seule solution qui s’imposait nous dira-t-elle, c’était une fermeture provisoire en attendant la suite des événements. Un coup durement ressenti dans son quotidien de mère, elle qui doit gérer la dépense quotidienne et les besoins de ses nombreux enfants élèves, car son mari qui se trouve être en Italie ne lui envoie presque plus d’argent, confronté lui même, à quelques soucis financiers dus à la Covid-19 qui a touché sérieusement son pays d’accueil. 

Mme Ndao comme beaucoup d’autres, a dû faire avec les moyens du bord pour survivre.  

Ainsi pour aider les familles vulnérables, l’État dans son programme de résilience, a lancé l’aide alimentaire d’urgence. Huit millions de Sénégalais, soit la moitié de la population du pays sont concernés, au premier rang les ménages en situation de vulnérabilité déjà enregistrés et ceux, « sans revenus fixes et réguliers ». 

Au Sénégal selon une enquête, il existe plus de 408.000 petites et moyennes entreprises dont 97% sont issues du secteur informel. Ainsi, en décidant de l’ouverture et de la fermeture des marchés à des heures précises, cela porte préjudice à beaucoup de travailleurs issus des petites et moyennes entreprises et donne par ricochet un sacré coup à notre économie. 

Pour Idrissa Diabira, Directeur Général de l’ADEPME, plusieurs paramètres sont en jeu. Certes la situation est difficile, mais il faut des approches graduelles. La réduction des heures de travail avec le couvre-feu impacte les acteurs et notre économie, toutefois le remède ne devrait pas être plus terrible que le mal. 

Le ministre de la femme entend appuyer les femmes dans l’informel qui sont touchées de plein fouet par l’épidémie de coronavirus. Un arrêt de travail est même constaté pour certaines unités économiques, selon Mme Ndèye Saly Diop Dieng. Aussi, en plus du programme de résilience économique et sociale du Gouvernement, elle entend apporter son aide à ces femmes qui représentent 33,5% du secteur informel.  

Après des mois d’arrêt de travail une partie de l’économie sénégalaise redémarre timidement avec le déconfinement progressif. Un redémarrage des activités pour nos trois femmes qui ne crient pas encore victoire. Le virus étant toujours bien présent…

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