Chuchotements, murmures retenus, moues dubitatives et reflexions ingénues ne suffisent plus à masquer l’envie de tous les sénégalais de connaître une réponse crédible à la question qui taraude nos esprits: y a-t-il une vacance de pouvoir à la tête de l’Etat et qu’en dit la loi fondamentale du pays?
Il fut un temps où chacun de nous s’était transformé en exégète de la Constitution bien que le contexte d’alors fut celui différent du multipartisme débridé, sur le papier, que nous connaissons maintenant, qui est donc moins propice aux délibérations citoyennes.
Culture ambiante
La chape de plomb qui s’est abattu sur le pays est pourtant très éloignée de la vivacité de la vie politique de l’époque bien qu’elle ne venait de rompre, quatre-ans plus tôt, avec un étouffant monopartisme.
Le Sénégal ne s’était même pas encore libéré de sa culture ambiante du parti dominant, unique, incarnée par un Parti socialiste (PS) au pouvoir depuis l’indépendance.
Nous sommes en 1980. Le President de la République, premier à assumer de telles fonctions au Sénégal, est passablement secoué par les révoltes, surtout celles des étudiants, notamment par la mort de l’un d’eux, Idrissa Sagna, tué d’une balle à Ziguinchor.
Ses rêves de président-poète, Léopold Sedar Senghor, c’est de lui qu’il s’agit, les a oubliés.
Deux ans auparavant, en février 1978, les premières élections présidentielles multipartites, qui le mettent en lice face à de teigneux adversaires, en particulier un futé Abdoulaye Wade, s’étaient terminées dans une atmosphère de doute sur sa popularité dans le pays. Certains lui soufflent même à l’oreille qu’il les avaient perdues.
Grand seigneur, malgré sa gestion du pays d’une main de fer dans un gant de velours, Senghor comprend qu’il lui faut passer la main.
Entre alors l’article 35 qu’il avait subtilement introduit dans la constitution pour se faire remplacer par celui qu’il avait choisi comme son successeur.
Si on connaît la suite, notamment l’arrivée au pouvoir d’Abdou Diouf à la tête du Sénégal, on ne peut pas non plus oublier les vigoureux débats suscités par l’annonce de la démission de Senghor faite au correspondant du journal Le Monde à Dakar, le franc-maçon Pierre Biarnès, puis confirmée dans un discours à la nation le 31 décembre 1980.
Tout ce que le pays compte de politistes, juristes, journalistes et partout dans les bureaux et grands’places, on ne parlait que de ce “coup d’état institutionnel”, de cet artifice juridique qui avait empêché l’exercice du droit constitutionnel d’un peuple amoureux des joutes électorales de se choisir son principal dirigeant.
Resignation
Les temps ont décidément changé. Comment ne pas l’admettre en constatant l’apathie, voire le dépit démissionnaire, la résignation, qui règnent sur la nation malgré l’annonce de la mise en quarantaine de son (illégitime) Président, du fait d’une potentielle contamination par le virus du Corona, qui, en clair, crée les conditions d’une vacance du pouvoir.
Dans un tel contexte, est-il normal de se contenter des propos d’un orfèvre en mensonges, clone de son chef, qu’est un Seydou Gueye, porte-parole d’un Macky SALL que ses compatriotes soupçonnent de s’être inventé rien moins qu’une fausse maladie pour des raisons qui lui sont propres mais ne l’en rattrapent pas moins.
Que vaut la parole d’un Seydou Gueye, expert en faux, pris de panique, quand il s’égosille, sentant qu’un piège se referme sur son patron après la proclamation de sa maladie imaginaire dont Molière se serait régalée. Écoutez son rétropédalage: “Le président va très très bien. Ce qu’il faut dire c’est que le président de la République était en contact avec une personne qui s’était révélé positive à la covid-19”.
Il ajoute, en se tortillant: “Le President a pris cette décision de se mettre lui-même en quarantaine, puisque c’est une question de responsabilité.»
Si le pays n’était pas frappé par une succession de malheurs, traversé par une crise proteiforme qui a mis tous les secteurs à l’arrêt et que l’avenir n’était pas aussi sombre, on aurait accueilli de tels propos avec un haussement d’épaules, et un bof de mépris, en y voyant qu’un mensonge de plus dans la longue chaîne de contrevérités représentatives de la nature du régime incapable et crapuleux qui à mené le Sénégal dans la banqueroute qu’il vit actuellement à tous les niveaux.
L’heure étant donc grave, il importe que la question de la vacance du pouvoir devenue prégnante soit posée ici et maintenant.
Humilité oblige, nous devons admettre qu’elle interpelle au premier chef les grands esprits que compte le pays dans les deux domaines les plus concernés par la nécessité de savoir s’il faut ou non mettre en œuvre les mécanismes prévus par la constitution en cas de vide à la tête du pays.
President-Tweeter
On commencera par solliciter l’avis des médecins légistes qui doivent nous dire, sous le sceau d’un serment, si Macky Sall est ou non en capacité de diriger le Sénégal.
La voix de Seydou Gueye n’est pas habilitée pour assumer cette fonction. Et, en notant que l’illégitime Président n’est plus qu’un Président-Tweeter, physiquement absent notamment en des moments cruciaux, comme lors du décès de deux grands dignitaires religieux et de la rentrée des classes, quel sénégalais ne souhaite avoir une version indépendante, non suspicieuse, sur l’état de santé de Macky SALL et, accessoirement, celui de sa femme qui fait encore plus jaser dans les chaumières.
Au delà d’un avis médical, comment ne pas penser qu’il est grand temps que nos maîtres juridiques, en particulier ceux du droit constitutionnel, sortent de leur mutisme pour nous dire si oui ou non nous sommes dans le cas de figure d’une vacance de pouvoir.
Le Sénégal n’en manque pas. Au pif, il m’est loisible de citer Seydou Madani Sy, Jacques Mariel Zouankeu, Serigne Diop, Pape Demba Sy, Ngouda Mboup, Mody Gadiaga, sans oublier tant d’autres connaisseurs pointus du droit constitutionnel sénégalais.
Qu’on se le dise: en cas de vide à la tête du pays, même momentanément, la loi doit appliquer ses dispositions. N’est-ce pas ce que la Grande Bretagne a fait récemment quand son Premier ministre, Boris Johnson, contaminé par la Covid19, s’était retrouvé à l’hôpital. Son intérim fut officiellement assuré par une personnalité désignée.
Ce n’est pas parce que Macky Sall s’est lui-même mis dans un traquenard à force de tout vouloir tenir entre ses mains qu’on ne doit pas lui imposer un intérimaire. La nation est assujetti par divers défis qui ne peuvent attendre les effets de sa maladie fausse ou plus grave qu’on nous le dit. Nous ne devons pas permettre au tyranneau de village de nous tenir davantage en otages. Son incapacité physique n’est du reste pas banale. C’est un signe divin qui vient réduire en poussière ses prétentions prométhéennes qu’il avait actées au moyen d’une loi d’habilitation scélérate qui décapacite une Assemblée nationale déjà moribonde, en plus de l’avoir conduit à supprimer le poste de premier ministre, rien que pour se rendre indispensable.
Ce débat sur la vacance du pouvoir au Sénégal, devenue une réalité, dépasse, sous ce prisme, le cercle des experts médicaux ou juridiques. C’est le Sénégal entier qui est sommé de le trancher.
Car, comme à la guerre, où les généraux ne peuvent pas être laissés seuls à la mener, la question posée par cette bizarre maladie du général SALL, en pleine campagne anti-covid, alors que tout s’effondre autour de nous, exige de nous tous de retrouver nos capacités d’antan qui avaient fait débattre les sénégalais avec une telle vigueur que l’article 35, source du litige d’alors sur les conditions de la dévolution du pouvoir en fut supprimé.
Nous sommes devant un nouveau précipice, un grand vide, créé par un homme qui se croyait plus malin que tous en se fabriquant une maladie sans réaliser que, ce faisant, il ouvrait un débat sur la viabilité à occuper les fonctions où il ne s’impose que par ruses et roublardises. Tel est pris qui croyait prendre. L’histoire n’a jamais dit son dernier mot.
Adama Gaye, Le Caire 27 juin 2020