Pape Malick Sy, le jour d’après… (par Adama Gaye)

par pierre Dieme

Dans la foule qui s’est bousculée hier autour de sa dépouille, personne n’a imaginé que le virus rôdait alentour. L’émotion avait tué la raison. Il en est ainsi des peuples. Surtout celui du Sénégal. “Il aime ses guides religieux”, explique une amie, grande littéraire, qui analyse avec recul la société sénégalaise.

Était-ce aussi l’envie de déverser ce trop-plein d’angoisses que les gens ont accumulées depuis l’avènement terrifiant de cette bestiole qui sème la mort et la panique?

Affronter un vecteur de mort sans s’en soucier, c’est cependant être spirituel, c’est-à-dire ne plus craindre ce virus que le défunt appelle un soldat d’un régiment ou, comme le Khalife des mourides, n’y voir qu’une créature divine, égale à toutes les autres, notamment humaines.

En réécoutant la dernière sortie de Pape Malick Sy, j’ai senti que le magnétique guide religieux qu’il fut voulait faire passer le message sur notre absence de contrôle concernant nos destins respectifs.

N’a-t-il pas d’ailleurs rappelé, dans une autre intervention, lors des obsèques d’un dignitaire mouride, preuve de sa transversatilité, que Dieu avait même fait comprendre au prophète Mahomet (PSL) qu’il ne permettait à personne, y compris à lui, d’avoir un quelconque regard sur la destinée des hommes, en particulier leur vie et mort.

“J’ai peur”, a dit Serigne Pape Malick Sy. Ses yeux pétillant d’intelligence et son sourire d’ange sur une voix claire transformée en orbite des messages qu’il portait ne pouvaient pas masquer ce sentiment d’inquiétude et d’incompréhension qui semblait l’habiter quand il a parlé la dernière fois en public voici déjà trois mois.

Sa mort hier est de ces moments de rappels à tous de la fragilité de la condition humaine. J’en ai été personnellement prostré, foudroyé. Dès son annonce sur les sites et en voyant le déferlement de douleurs à travers le pays, la question qui m’est depuis restée en tête est encore plus vivace, ce matin, le jour d’après.

Et si, me suis-je dit, un homme en apparence aussi bien portant, jovial, les yeux tournés vers l’avenir, qui donnait rendez-vous, au nom du khalife des Tidianes, à des membres de la confrérie, pouvait donc subitement s’éteindre du fait d’un brusque arrêt cardiaque, qui pouvait alors se sentir à l’abri de la grande faucheuse?

Les temps que nous vivons sont très complexes et notre société, émotive par excellence, tout en acceptant l’inéluctabilité de la mort, doit se trouver des plages de réflexions pour comprendre et vaincre ces peurs et ces pandémies, ces défis qui nous rendent tous vulnérables face à l’ennemi s’ils n’invitent l’Ange Gabriel en notre direction.

Je ne connaissais pas Pape Malick Sy mais au delà des témoignages élogieux sur sa bonté, sa silhouette devenue familière à tous à force d’apparaître sur le petit écran a certes pu expliquer l’effusion d’émotions hier sur sa route vers le Seigneur en plus de nous ramener tous, moi en tête, à notre fragilité, à notre vanité, humaine.

Sa mort se présente comme un miroir à la mienne. Je n’ai eu de cesse d’y penser depuis. Si ça lui arrive, pourquoi pas nous aussi? Et quand ?

Ce matin, aucun des défis qui rendent problématique notre société, atteinte de multiples maladies, ne s’est évaporé. La vie doit continuer.

En un mot, prions avec ferveur pour nos morts et retenons les bonnes leçons qu’ils nous laissent.

Réapprenons à vivre: peu importe le temps qu’il nous reste sur terre.

Vivre, c’est mourir. Nous sommes dans la boucle. Obligés de réfléchir. Le défunt nous l’a dit dans son message devenu prémonitoire: “apprenez à souhaiter à autrui ce que vous vous souhaitez”.

Sommes-nous capables d’un tel humanisme? De la haut, depuis hier, yeux malicieux mais vigilants, nous sommes observés.

Le jour d’après est celui du début: refaire la vie…

Dors en paix, Sy !

Adama Gaye, Le Caire 26 juin 2020

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