Faidherbe, Jean Jaurès, Carnot, Fleurus, boulevard Général De Gaulle,… Les rues et avenues de Dakar ont un fort accent français qui rappelle le douloureux passé colonial. Ces plaques apposées au coin des rues de la capitale sont-elles des rappels historiques ? Ou des hommages ? Depuis la mort de George Floyd aux Etats-Unis, les statues et rues qui portent le nom des personnages liés au passé colonial et à l’esclavage sont devenues des symboles à abattre.
Depuis la mort de George Floyd, tué par un policier blanc aux Etats-Unis, un vent de contestation souffle à travers le monde pour un changement de statut des Noirs et la disparition de l’espace public des statues qui sont le visage de l’oppression, de l’esclavage. Des Usa à la Grande Bretagne, en passant par la Belgique, les monuments érigés en la mémoire de Cécile Rhodes, Léopold II, Edward Colston, Robert E. Lee entre autres sont contestés, vandalisés, voire carrément arrachés de leur socle en marge des manifestations liées à la mort George Floyd et aux violences policières. Ces manifestations qui réveillent les vieilles plaies raciales, des souffrances séculaires, comme la traite négrière et la colonisation, relancent aussi le vieux débat sur l’histoire du maintien des hommes ayant écrit les plus sombres pages de l’histoire de l’humanité dans nos villes.
Aujourd’hui, les rues africaines gardent les vestiges de ce lourd passé de l’histoire. Et 60 ans après les indépendances, les noms des hommes qui ont opprimé les Peuples africains et écrit leurs faits d’arme avec le sang noir sont partout à Dakar, qui fut la capitale de l’Afrique occidentale française.
Le Plateau s’est réveillé sous un ciel couvert de poussière. En cette matinée de juin, les rues de ce quartier situé au cœur de Dakar, qui est le centre des activités commerciales, grouille de monde. Un peu partout, les noms des colonisateurs sont marqués sur les plaques au niveau des rues qui leur sont dédiées en hommage. Un acte inqualifiable, selon les activistes qui exigent leur «débaptisation» comme la Rue Jean Jaurès figée dans son effervescence quotidienne.
Ici, tout le monde a le pas pressé. Les magasins de vente de moquettes, tapis, appartenant aux commerçants d’origine libanaise, longent la rue. En remontant vers Sandaga, ce sont les commerces d’habits et autres qui s’offrent aux visiteurs. Sur la chaussée, les petits commerçants ont fini de s’approprier le passage piéton en ne laissant qu’un petit espace où les gens se bousculent. Et les vendeuses de cacahuètes, de sachets d’eau, de fruits n’arrangent pas les choses. Pendant ce temps, véhicules particuliers et transports en commun poursuivent leur rotation sur cette rue très fréquentée de la capitale.
Jean Jaurès, l’une des figures majeures du socialisme français, n’est pas la seule ancienne personnalité du pays colonisateur dont le nom reste toujours gravé sur les murs à Dakar. Il y a aussi Louis Faidherbe qui constitue l’une des grandes figures du colonialisme français. Gouverneur du Sénégal avant indépendance, une statue lui a d’ailleurs été dédiée à Saint-Louis. A Dakar, sur l’avenue qui porte son nom, le lieu est très connu des Sénégalais, en particulier des Dakarois. Des marchands ambulants la squattent à la recherche d’un éventuel acheteur. Le dispositif de lavage de mains installé à certains endroits témoigne de l’engagement contre le coronavirus, contrairement au relâchement constaté dans certains lieux. A l’intersection avec l’avenue Lamine Guèye, un volontaire de la mairie de Dakar régule la circulation pendant qu’un policier procède au contrôle de papiers de chauffeurs stoppés dans leur course. Sur la chaussée, les vendeuses d’eau profitent de la chaleur pour écouler leur marchandise. Idem au boulevard Général de Gaulle où est pourtant tenu le défilé militaire et civil chaque 4 avril qui célèbre l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale. Ce n’est pas tout : Il y a les rues ou avenues Félix Faure, Jules Ferry, Carnot… Quand on marche dans les rues de Dakar, Saint-Louis, Rufisque, Gorée, on revisite le passé colonial glorifié par les honneurs rendus aux administrateurs de colonie et militaires ou de batailles comme Niomré pendant lesquelles des résistants ont été massacrés. Est-ce par devoir de mémoire que ces noms sont conservés ? Ne s’agit-il pas d’un rappel gratuit de l’humiliation et la gloire perpétuée d’une époque peu glorieuse ? Ou les noms donnés aux rues et avenues constituent-ils simplement des actes de mémoire ? Est-ce que le fait de modifier le passé ne sera-t-il pas considéré comme du révisionnisme ?
Si la statue de Faidherbe à Saint-Louis, symbole de l’occupation, est conspuée par des activistes, contrairement à la mairie, les autres plaques commémoratives, emblèmes d’un sombre passé colonial, ne semblent pas émouvoir, contrairement en Occident. Même si personne ne peut mesurer la profondeur et la pérennité de ce combat contre l’oppression raciste. Maire de Plateau, Alioune Ndoye suscite le débat : «Nous allons proposer au Conseil municipal la mise en place d’une grande commission composée de tous les sachants que comptent notre commune, notre région de Dakar et l’Université pour proposer le changement des noms de nos avenues, rues et places publiques.»
Le quotidien