Donald Trump serait le héros d’un film hollywoodien que ça n’étonnerait personne. Il ose tout, n’a du respect pour rien ni pour personne, il est raciste, sexiste et pourtant, il est à la tête de l’un des pays les plus puissants du monde. Fabrizio Calvi, spécialiste de la mafia, retrace dans un livre extrêmement bien documenté les liens qu’entretient le président des États-Unis avec les criminels les plus impitoyables. Parce que pour le journaliste, c’est comme ça que s’explique l’incroyable immunité du Président: il bénéficie de protections.
Fabrizio Calvi n’a pas eu envie tout de suite d’écrire ce livre. “J’avais tous les contacts nécessaires au FBI, tous les contacts à la CIA mais j’avais besoin d’un petit truc en plus.” C’est Ron Fino, ami de longue date, fils du chef de la mafia de Buffalo, agent infiltré au FBI et ex-responsable syndicaliste grand connaisseur de Trump, qui le lui a donné, en lui donnant accès à ses archives. “En écrivant ce livre, chaque matin, je levais une pierre et je trouvais un nid de scorpions en dessous”, nous explique Fabrizio Calvi.Ce qui est étonnant avec Donald Trump, c’est que quoiqu’il fasse, il arrive toujours à s’en sortir… Comment expliquez-vous ça?
Oui et c’est comme ça depuis le début, dès ses premiers pas dans l’immobilier. C’est l’un des scoops du livre: Trump devait servir d’homme de paille à l’un des parrains de la mafia pour acheter l’hôtel Fontainebleau à Miami. C’est l’hôtel de la mafia, et le parrain avec lequel Trump était en relation, c’était l’un des fondateurs de la mafia.
Dans Le Parrain II, il y a une scène à Cuba où un homme découpe un gros gâteau qui représente l’île… Eh bien, c’est lui. C’est un personnage mythique. Le fait que Trump lui serve d’homme de paille, ce n’est pas n’importe quoi. Une enquête a été ouverte à l’époque, Trump a reçu la visite d’un agent du FBI et il l’a roulé dans la farine. L’agent du FBI s’en veut encore d’être passé à côté.
La mafia aux USA, à l’époque, tout le monde s’en foutait. Vous vouliez bosser à New York, vous deviez bosser à la mafia, c’était pareil à Los Angeles, Miami, Dallas. La mafia était un partenaire, vous ne pouviez pas faire autrement. Trump a bénéficié jusqu’en 1982 d’une certaine indifférence. On partait du principe qu’il n’était pas le seul à le faire. Mais en 83-84, quand c’est devenu plus risqué, Trump s’est cherché des protecteurs, il en a trouvé à l’intérieur du FBI et surtout, il avait Roy Cohn, jusqu’en 1986. Et après Roy, il a eu Rudy Giuliani, le procureur fédéral du district sud de New York. Il a toujours eu des protecteurs.C’est pour ça qu’il a réussi à s’en sortir là où Roger Ailes et Jeffrey Eipstein sont tombés?
Trump, il a eu des accusations pour agressions sexuelles, des plaintes, mais il négocie, il paie tout de suite. À l’heure de Me Too, alors qu’il a un tempérament agressif avec les femmes, une seule a osé parler et elle a finalement été achetée. C’est toujours la protection qui joue en sa faveur: il a le système judiciaire et le système du FBI pour lui et il sait en jouer. Ça ne veut pas dire qu’à l’intérieur du FBI, il n’y a pas une forte opposition contre lui. En ce moment d’ailleurs, cinq enquêtes sont ouvertes par des parquets fédéraux sur Trump.Donald Trump maîtrise le secret qui l’entoure comme un mafieux. On ne sait jamais très bien ce qui se passe…
L’opacité protège ses affaires. Autre chose qui est propre aux mafieux: l’allégeance. Et le fait de ne faire confiance qu’en sa famille. Son principal conseiller, c’est Jared Kushner, son beau-fils. Il y a ses filles aussi autour de lui. Et il demande allégeance à tous les autres, qui sont blancs et qui viennent de la côte Est. C’est sa famille, au sens large.
Vous rappelez qu’il est le descendant d’un immigré allemand arrivé aux USA en 1885, Friedrich Drumpf devenu Trump. Trump a également engagé des Polonais sur ses chantiers. Il est marié à une immigrée. Et pourtant, il est contre l’immigration. Quand ça l’arrange, c’est bon, quand ça ne l’arrange pas, c’est non?
C’est surtout qu’il est terriblement raciste. C’est d’ailleurs ça qui lui vaut de rencontrer l’avocat Roy Cohn, icône du mal aux États-Unis. Roy Cohn, à cette époque, est l’un des hommes les plus puissants de New York. Quand Trump avait des problèmes avec quelqu’un, il montrait la photo de Roy Cohn déposée sur son bureau et il disait: “Vous voulez vraiment avoir affaire à ce type-là?”
Roy Cohn c’est: pour un œil, les deux yeux, pour une dent, toute la gueule. Trump l’a rencontré en boîte de nuit quand le gouvernement américain l’accusait de racisme et que tous les avocats disaient à Trump qu’il ne gagnerait jamais s’il allait en justice. Roy Cohn, personnage très trouble, homosexuel qui poursuivait les homosexuels, lui avait dit, au contraire, d’attaquer le gouvernement. Ils étaient devenus amis.
C’est Roy Cohn qui a appris à Donald Trump les trois règles de vie qui sont toujours les siennes aujourud’hui: Ne jamais négocier ni se rendre. Contre-attaquer, répondre aux poursuites par d’autres poursuites. Peu importe ce qui se passe et à quel point on est mal embarqué, il faut toujours proclamer sa victoire et ne jamais admettre sa défaite.
Roy Cohn poussait Trump à la guerre. Trump lui doit tout: son empire, ses contacts politiques, la Maison Blanche. Au plus fort des crises, on a entendu Trump se plaindre: “J’ai besoin d’un Roy Cohn”. Il a besoin de quelqu’un qui le conseille sur quoi faire. Les affaires pour les affaires, ça ne l’intéresse pas. Mais il veut le petit plus, il veut avoir l’impression de voler quelque chose, c’est ça qui l’intéresse. Il veut être dans l’illégalité mais en toute impunité.
Roy Cohn lui a aussi appris à ne jamais quitter l’espace médiatique. Il lui disait de ne jamais quitter la Une des journaux. C’est ce que Trump fait, pourtant il déteste profondément les journalistes, non?
C’est un jeu. Il affiche une détestation de la presse. Il a ses têtes de Turcs, c’est un show. C’est lui qui choisi le temps, le terrain, la façon dont il va le faire. Avec un système imparable: si vous l’accusez de quelque chose, il balaie ça d’un revers de la main en disant: “Fake News”. On est dans un temps médiatique très rapide qui est celui de la télé, de Twitter, l’autre n’a pas le temps de répondre que ses accusations se basent sur une enquête de 20 ans. Il répond sans ciller: “C’est faux, ce ne sont que des conneries”. Trump s’adresse à sa base électorale, les Rednecks qui ne lisent pas le New York Times. Ceux qui l’intéressent, c’est ceux qui regardent Fox News ou rien du tout.
On le croit riche, il ne l’est pas tant que ça: en rentrant à la Maison Blanche, il devait 350 millions de dollars à la Deutsche Bank…
Il est riche de ses dettes. Il y a eu tout un débat là-dessus. Il a poursuivi le journaliste du New York Times parce qu’il avait écrit que Trump valait 700 millions de dollars alors que Trump disait en valoir 3 milliards. C’est important pour emprunter. Vous ne pouvez pas emprunter la même somme selon que vous valiez 3 milliards ou 700 millions. Trump dit que son nom est une marque et que ça vaut beaucoup. En fait, il est surtout riche d’un endettement colossal. On dit: Too big to fail. S’il s’effondre, c est une partie du système qui risque de s’effondrer avec lui. Il a tiré la corde jusqu’au bout à Atlantic City en enchaînant les faillites.
Justement… Vous écrivez qu’en 2016, les gens d’Atlantic City ont voté pour lui, alors qu’ils vivaient dans un endroit ruiné à cause de lui. Comment expliquez-vous ça?
Il y a deux choses: il y avait un rejet de Hillary, à l’époque. Il y avait une haine pour ce qu’elle représentait. Et c’était aussi un rejet de l’État fédéral. Les gens se disaient: “De toute manière, ces mecs se foutent de nous, alors pourquoi pas Trump?”Après ses déclarations sur l’eau de Javel qui soignerait le coronavirus et son attitude après la mort de George Floyd, vous pensez que Donald Trump va être réélu?
C’est possible, oui. Concernant George Floyd, il s’en fout: la communauté noire ne vote pas pour lui. Et quand il dit “Injectez-vous de l’eau de javel”, si les gens sont assez cons pour le faire… Aux États-Unis comme chez nous, il y a eu un discours dominant sur la prudence. Ce que dit Trump, c’est une logique anti-système. Il va jusqu’au bout. Un Redneck moyen, il se dit que le coronavirus, c’est un complot; que les médicaments, ça ne marche pas et que l’eau de Javel, pourquoi pas? Trump se fout des gens. Il est milliardaire, il les déteste. Mais il les séduit de manière inexplicable. Il a raison quand il dit qu’il pourrait tuer quelqu’un au milieu de la Cinquième avenue, les gens continueraient à voter pour lui…
Vous pensez qu’un jour, le show Trump va s’arrêter?
Il y a tellement d’inconnues, et notamment une inconnue géo politique avec la Russie, que c’est difficile à dire… À l’intérieur, il est menacé par cinq enquêtes. Tant qu’il est président, il ne peut pas être poursuivi mais quand il ne le sera plus… Il ne finira pas en prison mais avec Trump, tout est possible. Il peut devenir fou du jour au lendemain, avoir d’énormes problèmes de santé ou bien, il peut rebondir. C’est étrange de dire ça mais c’est un émerveillement de tous les instants. En écrivant ce livre, je me disais: “Mais c’est pas possible, comment fait-il pour s’en sortir à chaque fois?” Tout autre personne serait morte mille fois et pas lui. Il a cet art de l’équilibre, c’est un équilibriste un peu pachyderme, qui fait qu’il s’en sort tout le temps… jusqu’à l’événement de trop qui le fera tomber. Quel sera-t-il? Seule l’Histoire le dira…