Le littoral, dans l’impasse !

par pierre Dieme

De Cambérène au Lac Rose, en passant par Guédiawaye, Tivaouane Peul, Bambilor, jusqu’à Sangalkam, l’environnement du domaine public maritime et de toute la bande côtière est compromis. Si ce n’est pas la bande des filaos, menacée par l’abattage des arbres, c’est le bradage du foncier qui indigne les habitants. Le déclassement abusif des terres du littoral, domaine public maritime et leur attribution à des personnes physiques et morales privées sont en effet si poussés qu’ils frisent l’indécence. Au grand dam de populations impuissantes qui, tout en déplorant le désastre, invitent l’Etat à réagir.

Samedi 13 juin, Dakar a reçu les premières gouttelettes de pluies,  des signes précoces et annonciateurs de l’hivernage. La chaleur qui pointe à l’horizon, loin de diminuer d’un cran, au contraire, reste de mise. Les plages, interdites en ces temps de pandémie de Covid-19, sont pourtant prises d’assaut par des badauds à la quête de fraîcheur maritime. La présence policière n’y change pas beaucoup. La mer attire. Pendant ce temps, la bande côtière fait l’objet de convoitises.  Il existe encore des espèces inoccupées qui donnent accès direct à la mer, d’une part aux Parcelles Assainies, Guédiawaye, Yeumbeul, Malika, Tivaouane Peul, entre autres. Mais de l’autre, ce sont des piquets/bornes, symboles d’une cessation de terrains, constatés par endroits qui attirent l’attention. A côté, il y a également des palissades qui servent de clôture de fortune à des jardins où s’activent des maraîchers etc. Plantes aromatiques et tas de salades reçoivent les gouttes d’eau nourricières.

LES FILAOS AGRESSES

 La bande des filaos qui est un des rares poumons verts de la capitale, n’est pas dans son meilleur état. Si ses arbres ne sont pas coupés à la tige, ce sont les branches qui sont à terre. L’image de la bande des filaos, c’est aussi ces piquets/bornes plantés de part et d’autre de la route suivant les communes d’arrondissement dont dépendent ces espaces. Ils sont la marque d’une délivrance de l’espace à des fins d’habitation. Non loin de la Police de Wakhinane Nimzatt, des personnes sont assises au bord de la route. La place était un lieu de commerce de sable et de béton. Mais, récemment l’activité y est interdite. «Vous voulez du sable, des camions de béton ou de sable ?» Ce sont des jeunes accourant à notre rencontre qui nous interpellent ainsi. «Rien de tout cela», avons-nous répondu. Une réponse qui a vite déchanté et baissé les ardeurs de ses courtiers de sable et béton. Un vieux qui suivait à l’écart les échanges se joint à la discussion et se montre plus coopératif. «On nous avait prêté le site pour qu’on y stocke le sable et le béton que nous vendons. Mais, les agents des Eaux et Forêts, chargés de veiller à la sécurité des lieux, nous ont sommés d’arrêter. Nous sommes ici pour attendre les clients, pour qu’en cas de besoin, on prenne juste leur commande», explique-t-il. A la question de savoir où se trouve la partie de la bande des filaos déclassée pour les constructions, il répond : «C’est au rond-point Gadaye», sur le prolongement de la VDN vers Guédiawaye. En effet, ces attributions sont les plus flagrantes sur cette partie du littoral. Mais, elles se situent dans la commune de Yeumbeul Nord et juste après le goudron qui sépare cette commune de la ville de Guédiawaye.

DES LOTISSEMENTS CONTROVERSES DANS LA COMMUNE DE YEUMBEUL NORD 

C’est plusieurs hectares qui sont ainsi délimités. Ils serviraient, selon des personnes trouvées sur place, à des logements sociaux. Des affirmations qui ne les ont pas convaincus. «D’après les informations que nous avons reçues, ils vont servir à recaser des sinistrés de la banlieue ; mais j’en doute fort», soutient Amadou, un jeune homme rencontré non loin de là et qui faisait son sport. Son scepticisme, il le fonde sur la surveillance accrue dont le site fait l’objet. «Des nervis sont recrutés pour veiller sur la sécurité. Personne ne s’en approche», indique-t-il. Cette mise en grade, nous en ferons les frais quelques minutes plus tard, de retour d’une ballade pour vérifier ce que cache un grand mur autour duquel s’activent des ouvriers. «Je venais à votre rencontre. Pourquoi êtes-vous entrés dans la zone sans prévenir», nous interpelle un gros bras chargé donc, comme l’a indiqué Amadou, de veiller sur ce qui est plus qu’une étendue de terre inhabitée mais qui est très bien délimitée. Sur place, on nous souffle des noms de célébrités qui ont des acquisitions sur le site qui seraient destinées, au départ, à des logements sociaux. En face de ce périmètre bien gardé se trouve l’entrepôt d’une grande filiale chinoise. Elle est en charge de la réalisation du Bus de rapid transit (BRT). Son lieu d’implantation actuel accueillera, selon certains ouvriers trouvés sur la place, une gare de ce projet de l’Etat. Reste maintenant à savoir si, au terme des travaux, les lieux serviront au BRT ou resteront entre les mains des firmes étrangères, comme c’est le cas sur la corniche ouest de Dakar.

A LA CITE APIX, DES SITES DE RECASEMENT VENDUS

Autre lieu, même problème. Sur les sites de recasement à Tivaouane Peul, le bradage des terres est une réalité. La commune est presque en chantier, avec de belles maisons qui sortent de la terre. Dans cette partie de la banlieue dakaroise, le mal est plus profond, estiment les populations. «On est en train de nous retirer nos maisons alors que c’est l’Etat même qui nous avait installés ici, dans la Cité Apix», martèle une mère de famille. Les populations ont été déplacées à la Cité Apix suite à la démolition de leurs maisons pour les besoins du prolongement de la VDN 3. «Ce qui se passe ici est plus grave que ce qui se passe sur le littoral. Ici, c’est des maisons des déplacés qu’on est en train de reprendre par force. Ça pose problème. C’est l’Etat qui avait déplacé les populations, ensuite il a construit un joyau comme la Cité Apix. Mais, on n’a pas régularisé les déplacés. Il n’y a pas de baux. C’est fait exprès et maintenant l’Etat est en train de vendre ces maisons», explique Macodou Fall du Collectif de défense des intérêts de Tivaouane Peul. Allant plus loin, il s’interroge sur les baux des promoteurs. «Je ne sais pas comment les gens font pour avoir les baux  ; mais ils les détiennent. Ce qui est plus étonnant, ce sont les baux qui viennent des domaines», dira-t-il. A ces problèmes que rencontrent les populations, s’ajoutent la «vente des terrains destinés à des populations et la construction de maisons sur les extensions des égouts», déplore Macodou Fall.

LE REGNE DES GRAVATS

De la plage des Parcelles Assainies, en passant par les abords du mausolée de Seydina Issa Laye à Cambéréne que commence à surplomber le pont du prolongement de la VDN qui sépare le lieu de culte de la mer, le décor est identique. Des plages qui grouillent de monde, des adeptes du sport qui se livrent à leurs exercices matinales et des vendeuses de poissons qui étalent leurs produits à la quête d’une clientèle. Le décor, c’est également des tas de gravats qui pullulent un peu partout. Les amas de sable et de résidus de briques sont amassés d’un côté comme de l’autre de l’extension de la VDN. Parfois, ce sont aussi des immondices que viennent ramasser les camions de l’Unité de gestion et de coordination des déchets solides (UCG) qui sont visibles sur la route notamment à Guédiawaye. Des conducteurs de taxis ont aussi fait de cette partie du littoral un lieu de retrouvaille. Au milieu des laveurs de voitures, certains discutent tranquillement en attendant que leurs véhicules subissent un coup d’éclat ou d’être servis par les vendeurs de petit-déjeuner qui y tiennent leurs commerces / gargottes.

MALIKA ETOUFFE

De longs arbres ombragent la terre. Des gravats par ci, des ordures par-là, jonchent une partie de la surface. Quelques périmètres servent de pépinières de maraichage. Nous sommes à la bande des filaos à Malika. En ce samedi 13 juin, seuls les piaillements des oiseaux font l’ambiance du site. Au décor de la bande des filaos, il faut ajouter les arbres à terre. L’on imaginerait qu’un phénomène naturel serait à l’origine. Loin de là. Ils ont été abattus par des humains. Depuis quelques années, la bande des filaos qui contribue à «fixer les dunes de sable et améliorer la qualité de l’air», subit des agressions humaines. Les arbres sont coupés et les terrains vendus. «La bande des filaos n’est plus ce qu’il était, les années derrières. La bande a perdu son visage. On avait nos champs et on élevait nos bœufs ici car nous sommes des agriculteurs ; mais aujourd’hui, la zone est en train d’être transformée et ce, au détriment des populations.

L’Etat fait beaucoup de choses sans prendre langue avec les populations», raconte Libasse Sow, chef du village de Malika sur Mer qu’on a trouvé installé chez lui, sous un hangar, avec des membres de sa famille. Plus loin, le littoral étant une zone de contact entre la terre et la mer, constitue aujourd’hui un espace de plus en plus convoité. La déforestation s’accélère, laissant derrière elle des terrains nus et ouverts à tout vent. Ce qui n’est pas sans conséquences sur la population. «Les promoteurs se sont emparés de cette bande de terre, ce qui fait que les filaos sont détruits, ce qui donnera libre champ à l’océan», déplore une vieille dame. En plus de ce problème d’abattage d’arbres et de spoliation du foncier dans le quartier, les populations devront également faire face à l’avancée de la mer. Pour cause, l’érosion grignote la côte inexorablement. «Il n’y a plus de littoral encore moins de mer car il n’y a plus de ressources dans la mer», déplore Libasse Sow.

A BAMBILOR, DEPUTES ET CELEBRITES S’ACCAPARENT LES TERRES 

A Bambilor aussi, les populations sont confrontées à un bradage de leurs terres, surtout celles réservées aux espaces verts. Elles pointent du doigt le maire de la commune qui attribue les terrains à des députés, des célébrités telles que les lutteurs, les chanteurs et les danseurs. Parmi leurs indignations, il y a le projet sur un site qui doit abriter un centre de santé pour la commune. «Alors que tout le monde est au courant de ce projet, on ne cesse d’entendre les célébrités chanter les louanges de notre maire qui leur a offert des terrains au détriment des ayants-droit que sont les populations vivant à Bambilor», regrette Abdoulaye Sylla du collectif «Sam Sama Gox».

Etalant encore sa colère, il déplore la «confiscation d’une autre superficie réservée à un projet pour les jeunes qui est le fruit d’une coopération très bénéfique liant Bambilor et une ville espagnole, Manresa». Pour mettre un terme au bradage du foncier, il interpelle l’Etat. «Nous sommes pour un audit du foncier et nous demandons au président de la République d’aider les populations à avoir la mainmise sur leurs terres, de prendre des mesures sur l’utilisation et la distribution arbitraire des terres à des soi-disant couverts par lui-même mais aussi de mettre sur pied un Comité de gestion composé des chefs de villages, des Asc, des autorités coutumières et municipales ainsi que le préfet», lance Abdoulaye Sylla.

LE LAC ROSE PERD SON AUTHENTICITE 

A quelques kilomètres, non loin de Sangalkam, nous voilà au Lac Rose. D’habitude mouvementé, le lieu est presque déserté. Des pirogues accostées au rivage, aux abords sont stationnées des motos pour d’éventuels visiteurs qui se font désirer. Des jeunes, portant chacun un masque en cette période de pandémie de Covid-19, les attendent impatiemment, sous un hangar. A côté, des vendeurs d’objets d’arts s’ajoutent au décor ainsi qu’un terminus de bus en face. Au Lac Rose, il n’y pas que de l’eau. Des constructions qui poussent de partout entourent le lac. On y trouve des maisons, des réceptifs hôteliers ou encore des restaurants. Lorsqu’on emprunte une piste sablonneuse de l’autre côté du lac, on voit de nombreux chantiers en cours avec les ouvriers qui poursuivent leurs activités. Mais le plus frappant, ce sont ces camions qui chargent le sable des dunes. Les populations accusent la société SOCABEG (Société d’aménagement de bâtiments et d’études générales), déjà promotrice d’une cité à Tivaouane Peulh. «Ce sont les filaos qui étaient plantés ici pour protéger le lac, depuis très longtemps, qu’on est en train de détruire. Mais aujourd’- hui, la SOCABEG a installé des piquets alors que le site est une zone protégée», dénoncent les populations de Niaga Wolof et de Niaga Peul. Elles ne comptent pas baisser les bras pour protéger leur environnement. Toutes ces agressions ont fait perdre au lac sa couleur rose qui faisait courir les touristes. A notre passage, le samedi 13 juin, la couleur du lac n’avait rien de rose. Elle était pâle. L’humidité et les herbes et champignons verts qui poussent tout autour, lui ont fait perdre sa splendeur.

LUTTE CONTRE LA SPOLIATION DU LITTORAL : Les organisations de défense des droits humains engagent l’Etat

La spoliation du littoral de la région de Dakar inquiète la Ligue Sénégalaise des Droits Humains (Lsdh), la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme (Raddho) et Amnesty International Sénégal (AI Sénégal). Dans un communiqué conjoint rendu public, ces organisations de défense des droits de l’homme appellent à «l’adoption sans délais d’une loi consacrée à la gestion et à la protection du littoral que les acteurs ne cessent de demander depuis 2014», et à un «audit de tous les bâtiments implantés sur le littoral du Sénégal, en commençant par la région de Dakar». Non sans demander au Procureur de la République «d’ouvrir immédiatement une enquête aux fins d’identifier toutes les personnes impliquées dans des actes illégaux d’accaparement des terres du littoral afin qu’ils répondent de leurs actes devant la justice». Aussi exhortent-elles «l’Etat à renforcer sa politique de protection de l’environnement, de conservation et de gestion rationnelle des ressources des plages, des monuments historiques de notre patrimoine national par la mise en place d’une brigade spéciale pour mieux surveiller le littoral». Pour cause, selon ces organisations, la «Constitution adoptée par référendum en 2016 a consacré la souveraineté des populations sur les ressources naturelles et foncières, leur droit à un environnement sain».

La Lsdh, la Raddho et AI Sénégal se disent également «préoccupées par le déclassement abusif des terres du littoral, domaine public maritime, bien commun inaliénable du peuple sénégalais, et leur attribution à des personnes physiques et morales privées». Les défenseurs des droits de l’homme dénoncent la «prolifération d’édifices privés sur la corniche qui ont gravement dégradé l’environnement et le cadre de vie dans la capitale Dakar notamment et la récente tentative de construction d’un hôtel sur les flancs de la colline qui abrite le phare des mamelles constitue une agression intolérable contre notre patrimoine national», lit-on dans le document.

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