Presqu’île en danger

par pierre Dieme

«Les abords du phare des Mamelles font l’objet de construction de résidences privées et de projets d’investissements d’individus qui ont fini de faire du littoral un bien personnel  «  (Voir reportage dans Sud quotidien du 2 juin 2020). Face à cela, le ministre de l’Environnement et du Développement durable a profité de la célébration de la Journée mondiale de l’Environnement qu’il présidait au Technopole de Pikine pour faire des précisions.

Ainsi a-t-il annoncé : «  Désormais, nous prendrons toutes les dispositions et n’accepterons plus que des gens viennent s’installer le long du littoral, sans que les installations qu’ils envisagent de faire ou qu’ils érigent ne fassent l’objet d’étude d’impact environnemental et social », comme recommandé par le Code l’Environnement. Pourquoi ne l’ont-ils pris depuis ?

Sans compter qu’en le disant ainsi , il donne le sentiment d’un ministre qui découvre ce que tout le monde sait et déplore. Et plus désolant encore, il se contente d’être dans la réaction et non dans le déroulé d’une vision. Or le temps presse, les spécialistes attendent plutôt des autorités qu’elles prennent les mesures idoines susceptibles de contenir les graves dangers qui menacent la colline des Mamelles et plus globalement tout le littoral. En attendant, si l’on en croit Ibra Seck, président de l’association des géologues du Sénégal : «  Ces multiples agressions pourraient entraîner une instabilité de la colline, ce qui également pourrait entraîner le réveil du volcan, et également la disparition de toutes les habitations environnantes, entre autres dégâts ». C’est dire que la situation de la corniche reste préoccupante. Et pour cause !

Allant de l’ancien aéroport au port de Dakar, la corniche de Dakar constitue un bloc jouant le rôle d’une forteresse qui protège la capitale des assauts de la mer. Et ce n’est pas sans raison si des mesures de protection avaient été prises en l’identifiant comme une zone non aedificandi. Et tout cela semble aller en vrille car au lieu de la protéger elle se voit transformée en un immense gâteau sur lequel on se jette furieusement pour se la partager avec une voracité assassine.

Dans l’ouvrage « Dakar Emoi », Mme Annette Mbaye D’Erneville rappelait avec émotion que durant «  les années 1942-1945  », pour elles, « les jeunes filles de l’Ecole Normale de Rufisque ; aller à Dakar semblait la récompense suprême. Chacune faisait de son mieux lors des répétitions des pièces de théâtre, des danses et des chorales. Nulle ne voulait être remplacée avant « le voyage » à la capitale de l’Aof pour la représentation devant les hautes autorités venues de France ». Quelques années plus tard le regard qu’elle porte a complétement changé. Et comment ! Il suffit d’imaginer comme à l’époque, débarquant de l’ancien aéroport de Yoff, passer par les Almadies pour se rendre vers le centre-ville. Etre happé par une vue imprenable au niveau du Virage, découvrir les deux collines des Mamelles sur l’une desquelles veille le phare, et tout le long, voir la mer étaler sa majesté océane. Rien de tout cela aujourd’hui.

D’imposantes constructions obstruent la vue et enferment les alizés marins. Après que l’une des collines a été découpées pour y voir poindre une statue de la Renaissance africaine conçue par on sait quelle déroutante alchimie par la Corée du Nord, symbole la plus achevée de l’enfermement et du contrôle des populations, voilà que la deuxième colline est aujourd’hui agressée sur ses bases.

Sur ces flancs on y creuse pour y dérober de la roche basaltique quand on ne la dépèce pas par endroit pour y faire surgir des projets immobiliers. « Pour Tata Annette, comme on l’appelle affectueusement, « Le déclin de Dakar a commencé –oserais-je l’écrire ?- avec…l’indépendance ! Devenue capitale nationale avec tous les avantages, son aura s’est curieusement ternie peu à peu par l’attitude des nouveaux riches qu’affichent les promoteurs « immobiliers avec leurs buildings, leurs villas devenues maisons de rapport, et les plages presque inaccessibles, les rues encombrées, la surpopulation… ». Pour beaucoup, les plages sont en effet rendues inaccessibles aux populations riveraines. C’est le cas au niveau de la Cour de Cassation du Terrou Bi, du Virage, des Mamelles, etc. 60 années après les indépendances, comme s’il y avait un problème avec le temps qui ne met au centre du jeu que sa puissance destructrice, la ville s’abîme. Sans vergogne, elle accélère sa descente en enfer.

Dakar offre en effet un visage marqué par l’infamie d’une terrible absence de vision, étouffée par l’obsession des autorités à laisser s’ériger des bâtiments dans son littoral agressé par l’érosion. Persévérant dans l’erreur, continuant de construire dans chaque bout de terre, sans que cela ne semble déranger personne, elles s’obstinent dans le refus de redresser la pente, de corriger la nouvelle trajectoire de cette ville désordre, sans âme, où les désespérances viennent avec leurs bagages de misère s’affaler au pied des immeubles sur des cartons de fortune.

S’y ajoutent les vibrations des voitures qui roulent à grande vitesse sur la route devenue à deux voies, fragilisant encore plus la corniche, sans qu’on ne mesure les dégâts occasionnés au quotidien. Il est plus que temps de voir les dangers qui guettent la presqu’île et qui risquent de la voir disparaitre, emportée par la furie des eaux du fait d’une politique foncière désastreuse. Et avec elle, toute vie humaine et végétale, tout un pan de civilisation, du fait de la cupidité de l’homme qui fait pire que le virus du Covid19. C’est dire qu’au-delà de rendre la mer accessible, il importe de rappeler le rôle-barrière que joue la corniche. Il y va de la survie de la capitale.

CaLame

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