Quatre hommes et une école

par Dakar Matin

De 1960 à 2020, l’éducation nationale sénégalaise a connu plusieurs réformes, ajustements entre autres politiques devant déboucher sur la construction d’une école digne de ce nom. Suite au retour raté dans les classes du 2 juin dernier, Sud Quotidien propose à ses lecteurs et internautes (sudonline.sn) un large dossier allant de la mission «civilisatrice» à la colonisation au Paquet (Programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence) en revisitant le PDEF (programme décennal de l’éducation et de la formation 2001-2011), sans occulter le CLAD et les états généraux ayant donné naissance à la Commission nationale de réforme de l’éducation et de la formation (CNREF). De la politique d’assimilation et d’ajustement, du statu quo, à la «rupture» encore attendue, Sud revisite les empreintes de chacun des 4 présidents (Senghor, Diouf, Wade et Sall) sur l’école sénégalaise en construction.

Lors de sa dernière prise de parole publique à l’endroit des Sénégalais, le 11 mai 2020, le président de la République avait annoncé un assouplissement des conditions de l’Etat d’urgence, de la réouverture des lieux de culte et d’une « nouvelle rentrée scolaire  », après deux mois de « fermeture des classes », le 2 juin, pour les enseignants et pour 551 000 élèves des classes d’examen. Quelques semaines plus tard, des images de l’impréparation de cette deuxième rentrée des classes ont tourné en boucle sur la toile. Convoqués pour rejoindre leur lieu d’affectation, plus d’un millier d’enseignants, sans masque (ou mis de travers) et ne respectant aucunement les règles de distanciation sociale, dans un chahut et des bousculades indescriptibles, ont joué des coudes pour avoir une place assise dans les bus en partance. Il nous été donné également de voir, le week-end dernier circuler sur les réseaux sociaux, les feuilles de décharge de kits produits sanitaires devant protéger enseignants et élèves. Ces images de bousculade, d’indigence des dotations des écoles, ne sont-elles pas finalement que ce que nous renvoie, en cette période corona virale, le rapport que tous les régimes de ce pays ont entretenu ou entretiennent avec les acteurs de l’école sénégalaise, les élèves et plus largement l’Education nationale ?

La question se pose avec plus d’acuité dans cette période « extraordinaire », qui révèle à la fois divers facteurs contextuels incluant des éléments structurels, émergents, conjoncturels de l’organisation de l’école sénégalaise dans son ensemble. La reprise des cours le 2 juin 2020 ? on sait ce qu’il en est advenu. La vieille, tard dans la soirée, le gouvernement revient sur sa décision, prise officiellement parce que des enseignants avaient été testés positifs au Covid-19. Pourtant des voix avaient fait connaître leurs critiques de cette idée du 2 juin, craignant que l’intendance ne suive pas, dénonçant une improvisation présidentielle et d’- hasardeuses assurances ministérielles qui minimisent les enjeux sanitaires de la réouverture des établissements scolaires. Une mère de famille anxieuse avait demandé : « est-ce que c’est parce que les adolescents et jeunes adultes qu’on renvoie à l’école ne sont pas testés qu’ils sont moins contagieux ? » 

Une autre réticence soulevée est que les établissements scolaires concentrent par définition beaucoup de jeunes et de personnel de l’éducation. Dans ces établissements scolaires, la promiscuité est forcée: partage des salles de classe, échange de matériel entre élèves, mais aussi manque de toilettes et de points d’eau. Sans compter des syndicalistes et des parents d’élèves qui ont manifesté leurs inquiétudes. Il en a été de même du gouvernement des élèves. Mardi dernier, on n’a pu échapper à une certaine forme de dérision et de sarcasme, qui sont devenues la règle comme si on s’imaginait devoir compenser la gravité de la situation par le ridicule ou la dérision.

SENGHOR – ABDOU DIOUF : ENTRE ASSIMILATION ET AJUSTEMENT 

L’Ecole, sous sa forme actuelle, n’a pas été le produit du développement interne de la société sénégalaise. Elle a été imposée du dehors par la colonisation. Avant l’indépendance, la création et le développement du réseau scolaire ont suivi la pénétration française : Saint-Louis, Gorée, Dagana, Podor, Matam, Bakel…. L’Ecole était alors chargée de parachever la conquête des territoires. Dans cette perspective, la première mission qui lui était assignée était de «civiliser» des sociétés qui, comme dirait l’autre, n’étaient pas encore entrées dans l’histoire. Mais l’idéologie coloniale de «l’apprivoisement» qui régnait et orientait l’enseignement se heurta vite à l’épaisseur de fortes résistances. Se posait alors la question de l’orientation de l’Education «nationale ».

Si selon les périodes les réponses ont pu être changeantes, il n’en demeure pas moins que la décision des programmes scolaires des colonies seraient ceux de la Métropole, a été un tournant important. A cela, il faut ajouter la mission d’enrôler des auxiliaires de l’administration coloniale et des employés des maisons de commerce. Bref, une école chargée de recruter, de sélectionner et de former des Sénégalais alliés à la colonisation. Le 4 avril 1960, c’est de cette école que le Sénégal indépendant a hérité. Se posaient dans le même temps à la jeune République, des défis en rapport avec ses tâches de construction nationale: comment construire, une identité et un sentiment de fierté nationale ayant pour fondement la promotion de l’histoire, des cultures et des langues nationales? Comment, sur la base étroite d’un système aussi élitiste, généraliser l’éducation de la population et assurer la formation en grand nombre de cadres administratifs, techniques et scientifiques? Comment édifier une société démocratique et inclusive, fondée sur l’égalité des chances et des droits, -y compris à l’éducation-, et la participation citoyenne large, active et consciente ? Les exigences de réforme ou mieux de refondation du système qui s’imposaient pour répondre adéquatement à de telles questions, ont rythmé l’histoire de l’Ecole sénégalaise. Elles trouvent leurs repères dans les politiques éducatives successives initiées ou consenties aux mouvements sociopolitiques par le leadership politique au plus haut niveau de l’Etat sous Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall aujourd’hui.

Après l’éphémère fédération du Mali, Mamadou Dia tenta de promouvoir une «éducation africaine» basée sur la transformation du système à partir de l’ancrage dans les problématiques de développement national. Son concept d’école rurale alliant culture générale et formation agricole ou d’école urbaine combinée à des filières techniques régionales, se présentait comme une réforme de rupture partant de la base. Mais les programmes finalement adoptés en 1962, s’inscrivirent plutôt dans la continuité de l’éducation coloniale comme par ailleurs, la structure et le fonctionnement du système.

Globalement prise, la période de 1960 à 1968 n’est pas marquée par des réformes refondatrices. Dans le suivi des recommandations de la Conférence d’Addis-Abeba de 1961, on peut noter une révision des programmes et des manuels scolaires, afin d’en expurger les éléments les plus choquants pour la personnalité africaine, notamment dans les disciplines idéologiques telles que l’histoire et la littérature. L’autre élément marquant, est l’accélération notable de la scolarisation qui a ouvert plus largement l’accès à l’éducation.

Pour l’époque, ces changements étaient certainement importants mais ils ne constituaient pas une rupture avec le modèle colonial. Au milieu des années 60, deux réformes ont été expérimentées: la méthode pour parler français du CLAD et les classes à vocation rurale du ministre de l’Education Amadou Makhtar Mbow. La première a tenté à partir de 1965, d’adapter l’enseignement du français en tenant compte des réalités linguistiques et socioculturelles nationales: adaptation des contenus d’apprentissage, l’oral avant l’écrit, la programmation des difficultés phonétiques et grammaticales liées à la base linguistique nationale.

Toutefois, elle évitait la question essentielle, celle de l’introduction des langues nationales à l’école. En vérité, Senghor avait déjà tranché le débat dans le sens de la continuité avec l’éducation coloniale : «Il s’agit de choisir une langue pour ses vertus propres : ses vertus d’éducation. De ce point de vue, «la langue de gentillesse et d’honnêteté» qu’est le français s’impose».

La seconde expérience initiée en 1966, devait former en 2 à 3 années d’études théoriques et pratiques, des paysans modernes. Elle posait un nouveau modèle de formation et de collaboration intersectorielle entre l’éducation et l’agriculture, l’élevage, la pêche, la santé, le mouvement coopératif…, qui était porteur de changements qualitatifs. Mais celui-ci ne pouvait prospérer dans un environnement systémique peu propice.

La première période de l’ère senghorienne s’achève avec l’explosion de Mai 68, qui contesta le modèle colonial au nom d’une aspiration nationaliste et africaniste montante. Cette forte remise en cause par le mouvement estudiantin allait d’abord transformer le statut de l’Université de Dakar. Celle-ci créée le 24 février 1957 comme 18e Université française, devint une Université africaine à travers notamment, l’adaptation de programmes aux réalités africaines, l’africanisation des personnels, la modification de la tutelle de l’Université qui passe de l’autorité française à celle de l’Etat sénégalais.

La réforme s’orienta également vers une meilleure articulation de l’enseignement supérieur aux défis du développement en adoptant des mesures telles que : le nouveau système d’orientation des bacheliers devant ajuster les formations en nombre et en qualité à la demande du marché du travail; – la création d’établissements d’enseignement supérieur de formation technique et professionnelle ; – la promotion de la recherche pour le développement ; – le projet de création d’une deuxième université. L’aspiration nationaliste qui inspirait ces changements se reflétait également dans la loi d’orientation de l’éducation nationale du 3 juin 1971. Elle posait la vocation locale de l’éducation et la nécessité de réhabiliter les langues nationales à travers leur enseignement à l’école. Les nouveaux programmes adaptaient en conséquence, l’enseignement de l’- histoire, de la géographie et des sciences naturelles.

Dans l’enseignement primaire, ces dernières disciplines étaient d’ailleurs regroupées sous une dénomination qui orientait vers la valorisation du potentiel endogène: «l’étude du milieu». Pendant ce temps se généralisait la méthode CLAD pour parler français. Parmi les réformes majeures de la nouvelle loi d’orientation, il convient certainement de souligner la création de l’enseignement moyen pratique (EMP) chargé d’accueillir 80% des sortants du primaire et de les former en vue d’un enracinement et d’une insertion socioéconomique réussie dans le milieu local. Les programmes étaient conçus en fonction des problèmes spécifiques du milieu local pour faire acquérir aux élèves, la maîtrise des techniques modernes afin de former des «paysans d’avant-garde», pêcheurs, éleveurs, artisans, ouvriers…

La méthode de formation fait alterner des cours théoriques au «Centre» et un apprentissage pratique par immersion dans les milieux productifs locaux. Malheureusement, les classes en langues nationales et l’EMP ne dépassèrent guère le stade expérimental. De manière plus globale, on peut affirmer que l’implantation des réformes que promettaient 1968 et la loi de 1971 n’ont pu vaincre la résistance du système au changement et la réticence du pouvoir politique à remettre sérieusement en cause celui-ci. C’est ce qui alimenta à partir de 1976, la lutte menée par les enseignants à travers le SUDES (Syndicat Unique des Enseignants du Sénégal) originel pour promouvoir une Ecole nationale, démocratique et au service du peuple.

Face à la crise sociale et aux mouvements de grève des enseignants suite au départ de Senghor, son successeur, le président Abdou Diouf, appelle au « sursaut national », pour apporter des transformations devant lui permettre d’entamer un nouveau cycle. Il s’ouvre aux forces syndicales, lance dans ce sens un appel pour la tenue de nouveaux Etats Généraux de l’Education et de la Formation après ceux qu’avait initiés le SUDES. Ce faisant, il réussit à s’attaquer à un secteur qui pendant les dernières années du règne de Senghor a été source de nombreux problèmes  : le secteur de l’Education nationale.

Les conclusions issues de ces assises projetèrent une vision d’avenir de l’Ecole : «Une éducation laïque, démocratique, sénégalaise et africaine». Dans son rapport présenté au gouvernement le 6 août 1984, la Commission Nationale de Réforme de l’Education et de la Formation (CNREF) chargée d’élaborer les modalités d’application de conclusions insistait sur les axes principaux de changement: – une refonte de l’organigramme du système éducatif en trois cycles : un cycle fondamental de 13 ans comprenant une éducation préscolaire de 3 années et un enseignement polyvalent obligatoire et gratuit de 10 années ; – un enseignement secondaire de 3 années ;

 – et un enseignement supérieur; – l’introduction des langues nationales et du travail productif à l’école ;

 – la formation en alternance théorie/pratique, école/milieu, formation/production ;

– la réorientation de l’enseignement supérieur vers la demande de l’économie et de la société;

– la diversification de la formation professionnelle à travers la création d’écoles moyennes professionnelles, le renforcement de l’apprentissage, la post-alphabétisation professionnalisante;

– la mise en place de filières d’éducation permanente non-formelle.

Pour ce qui est de sa mise en œuvre, le gouvernement traduit les conclusions des EGEF (Etats Généraux de l’Education et de la Formation) par «l’Ecole nouvelle» du ministre Iba Der Thiam, ancien leader du mouvement syndical enseignant. Fut alors entreprise une mobilisation tout azimut autour de mots d’ordre :

– fidélité aux conclusions des EGEF ;

– coopération sincère avec les syndicats ; – revalorisation de la fonction enseignante ;

– amélioration de conditions d’études des élèves.

Parmi les innombrables «mesures» annoncées, il faut noter côté réalisations marquantes:

– la multiplication des classes à double-flux dans les quartiers populaires des villes et des classes multigrades dans les villages afin d’élargir les capacités d’accueil du système;

– l’élaboration et l’expérimentation de nouveaux programmes inspirés de la pédagogie par objectifs et intégrant la formation pratique (travail productif), l’alternance école/ milieu.

En fait, le volontarisme autour de «l’Ecole Nouvelle» cachait mal deux difficultés majeures qui rendaient quasi-impossible la mobilisation des ressources nécessaires à des réformes d’envergure: la stagnation du budget de l’éducation dans la période 1980-1991 qui ne laissait aucune marge pour le financement d’innovations majeures et la politique d’ajustement structurel avec la Banque Mondiale, qui imposait une limite aux dépenses récurrentes d’éducation, notamment un quota très restreint de recrutement de nouveaux enseignants

Le bilan globalement négatif de l’application des conclusions des EGEF est expliqué officiellement à l’époque en évoquant un environnement économique difficile et par les syndicats lorsqu’ils mettent en cause l’insuffisance de volonté politique en liant celle-ci aux politiques d’ajustement.

L’élection présidentielle de 1988 déboucha sur une explosion sociopolitique qui paralysa encore une fois le système éducatif. La réforme des EGEF fut de nouveau remise à l’ordre du jour par une loi, en 1992, qui fixe comme missions à l’éducation, « de préparer les conditions d’un développement intégral et intégré, de promouvoir les valeurs nationales et d’élever le niveau culturel de la population. Elle insiste particulièrement sur le développement des capacités de transformation du milieu et de la société, sur les liens interactifs dans la formation, entre l’école et la vie, entre la théorie et la pratique, mais également, sur l’adaptation de l’enseignement aux besoins et réalités du développement ».

Au bilan, peu de réformes de rupture ont été mises en œuvre en relation avec la nouvelle loi. La restructuration de l’organigramme dans le sens des conclusions des EGEF fut plus formelle que refondatrice du système. L’expérimentation des nouveaux programmes du primaire de 1987 à travers des classes-pilotes, puis des écoles-pilotes, porta plus sur les processus et les procédures pédagogiques et organisationnels. Elle n’eut pas un impact significatif en termes de refinalisation et de transformation qualitative du système. On observa même dans la première moitié des années 1990, un déclin de la scolarisation.

Le gouvernement eut alors recours au recrutement de volontaires de l’éducation en vue de freiner la chute et de relancer le développement de la scolarisation. Auparavant et pour ce qui concerne l’alphabétisation, « la stratégie du faire-faire » permit dans le même sens, de relancer ce sous-secteur en faisant passer les effectifs des participants de moins de 7000 par an à 150 000 en moyenne par an dans la deuxième période des années 90. Toutefois, l’impact de ces innovations et d’autres qui devaient les accompagner comme les cahiers de charge ou la réforme des programmes du primaire restaient limités dans une perspective systémique à cause notamment de leur caractère strictement sous-sectoriel.

En définitive, confrontée aux rigueurs de l’ajustement structurel, l’ère Diouf, malgré la bonne volonté manifestée et l’ouverture vers les forces syndicales et politiques, n’a pu réaliser que des retouches dans le sens de l’évolution et non de la refondation du système éducatif.

 ABDOULAYE WADE – MACKY SALL : DU STATUT QUO A LA «RUPTURE» 

Le régime de Wade n’a pas entrepris les réformes de système connues sous l’ère de Senghor, puis de Diouf. Fondamentalement, il s’est installé dans la gestion et l’expansion de l’existant avec certes des résultats quantitatifs appréciables en termes d’accès, voire d’équité. Mais l’amélioration de la qualité, de l’efficacité et de la pertinence de l’éducation sont restés un défi.

En 2001, la mise en œuvre du Programme décennal de l’Education et de la formation (PDEF -2001-2011), a permis un afflux important de ressources publiques en faveur du système éducatif. En effet, les crédits votés en faveur de l’Éducation dans le budget de l’État ont connu une forte évolution durant cette décennie. Le régime de la première alternance a avancé le chiffre de 40% du budget national. Parallèlement, l’indice de parité entre filles/garçon, qui était en faveur des garçons au début de la décennie pour tous les cycles, voit le rapport s’inverser notamment au Préscolaire et l’Élémentaire.

Une des conséquences de cette dynamique est la scolarisation de bon nombre d’enfants dans des conditions précaires (abris provisoires, effectifs pléthoriques), ne permettant pas un enseignement de qualité. En effet, l’augmentation des effectifs d’élèves masque des problèmes persistants, notamment la faible proportion d’élèves qui maîtrisent les compétences en lecture et en mathématiques au cours des premières années d’études.

L’évaluation du PDEF arrivé à son terme en 2011, a relevé la faible qualité de l’enseignement dispensé à tous les niveaux due à un certain nombre de facteurs, parmi lesquels

– L’insuffisance du temps réel d’apprentissage, liée au démarrage tardif des cours après l’ouverture officielle des classes, à la fermeture prématurée des classes, aux perturbations scolaires relatives aux grèves d’enseignants ou d’élèves, à l’absentéisme des enseignants, aux nombreuses fêtes, etc. ;

– La faiblesse de la qualification professionnelle des enseignants avec l’existence d’une masse d’enseignants sans formation de base qui obère la qualité des enseignements : à l’élémentaire, 48 % des maîtres sont qualifiés (seulement 20 % au niveau du privé) ; aux Moyen et Secondaire, 26 % des professeurs sont titulaires d’un diplôme professionnel adapté à ces cycles ;

– L’insuffisance des manuels et matériels didactiques mis à la disposition des élèves et des personnels ; – Le manque d’efficacité du dispositif de formation initiale et surtout continuée des enseignants ; – Le déficit criant d’enseignants dans les disciplines scientifiques ;

– La faiblesse de l’encadrement pédagogique et administratif à tous les niveaux, liée au nombre réduit d’inspecteurs de l’Éducation, d’inspecteurs de spécialité et de vie scolaire, l’insuffisance des moyens logistiques, etc. ;

– Les effectifs pléthoriques des classes ne favorisant pas le suivi rapproché des élèves ; – La faiblesse du système d’évaluation des apprentissages.

Ainsi donc, la politique de continuité, qui se reflète jusque et y compris dans la mesure de généralisation des programmes par compétences, n’a pas manqué d’être marquée par l’empreinte très particulière de la gouvernance wadienne avec principalement deux objectifs. Le premier s’inscrit dans la volonté politique de pacifier un secteur traditionnellement considéré comme un foyer de contestation, donc une menace pour son régime.

Dans cette perspective, le pouvoir de Wade a développé des stratégies d’argent (atomisation du mouvement syndical) et de déstabilisation ciblées sur le secteur de l’éducation, en vue de bâillonner et de neutraliser les principaux acteurs, les forces syndicales et estudiantines. «La matérialisation vivante du projet du Chef de l’Etat sur l’éducation est tout à fait indicatif, avec la mise en place de 40% du budget national consacré à ce secteur, mais aussi un investissement de 4200 milliards.

Le Sénégal compte aujourd’hui trois universités réalisées depuis l’alternance en avril 2000 dont Thiès, Bambey, Ziguinchor. Dans le domaine élémentaire, 35  000 salles de classes ont été construites, ainsi que 800 collèges et lycées. Tel a été le bilan de la politique du président Wade en matière d’Education nationale, qui nous a été présenté lors de la campagne pour la présidentielle de 2012.

Le second objectif lui, porte sur la communication comme moyen de changer l’image à défaut de réformer la réalité. De la «Case des Tout Petits» à l’«Université du Futur» en passant par les trois millions d’alphabétisés par an, les alternatives de soutien et de rattrapage, le «génie» de Wade n’a pas manqué de «trucs» pour tenter de fabriquer une vision idyllique d’une éducation transfigurée sans rapport avec la persistance réelle d’une Ecole en crise d’orientation. Aussi, l’espoir de voir l’alternance politique survenue en 2000 féconder de nouvelles idées porteuses d’une vision d’avenir pour l’éducation sénégalaise s’est-il estompé au fil du temps.

Elu président de la République en mars 2012, Macky Sall hérite d’un bilan mitigé de 50 ans, dans le domaine précis de l’Education nationale. Il y a eu des réformes certes, et de nombreuses innovations, mais les plus graves défis posés au système sénégalais dans son ensemble, résident surtout dans les médiocres performances en matière de qualité, de pertinence et d’efficacité.

Les taux de réussite aux différents examens sont bas. A tous les niveaux du système, du primaire aux cycles moyen et secondaire, les taux d’abandon élevés traduisent la faible capacité5de production du système et grèvent les coûts unitaires de formation d’un diplômé sénégalais.

En 2013, le Programme d’amélioration de la qualité, de l’équité et de la transparence (PAQUET) est lancé. Celui-ci est censé faire mieux dans la gestion du système éducatif sénégalais. Dans sa présentation, on peut noter parmi ses objectifs  : « le PAQUET-EF 2013- 2025 cherche à renforcer

– l’acceptabilité par les populations de l’orientation de l’éducation et de la formation ;

– l’accessibilité des offres d’éducation et de formation pour toutes les personnes ;

– l’adaptabilité du système aux différents besoins et contextes des apprenants ;;

– la dotation adéquate en ressources en réponse aux besoins réels. Pour le Gouvernement du Sénégal, le système éducatif doit mieux contribuer à la mise à disposition de ressources humaines de qualité, capables de s’adapter aux évolutions scientifiques et technologiques, capables d’innover.

L’État a donc pour ambition de créer une école de l’équité et de l’égalité des chances, une école qui peut porter ses ambitions pour l’émergence. Aussi, les nouvelles options mettront-elles l’accent sur la correction des disparités dans l’offre, la professionnalisation des enseignements du collège au supérieur, et la formation des jeunes dans des filières conformes à la demande du secteur privé. »

Les stratégies de mise en œuvre ont été ainsi exposées : « Le Gouvernement a consenti des efforts considérables pour décentraliser la gestion des écoles et du secteur.  La décentralisation de la gestion des écoles, au niveau régional, départemental et scolaire et la collaboration étroite avec les communautés, y compris le recrutement et la formation des enseignants et la gestion financière des ressources dans les écoles, ont constitué une étape clé vers l’amélioration des résultats scolaires. Les évaluations régulières de l’apprentissage au cours des dix dernières années, la révision de la formation initiale des enseignants, de la certification et des normes d’enseignement, ainsi que la mise en œuvre d’un programme obligatoire d’éducation de base de dix ans, sont d’autres initiatives importantes sur lesquelles s’appuie la stratégie sectorielle. La stratégie a été élaborée pour faire passer le secteur d’un système axé sur les intrants (par exemple, livres, classes, pupitres, tableau noir) à un système de gestion axée sur les résultats qui met l’accent sur l’amélioration des résultats d’apprentissage, les résultats scolaires et l’équité en matière d’accès pour les enfants pauvres des régions mal desservies »

Six ans après le démarrage du PAQUET-EF 2013-2025, les choses n’ont pas beaucoup changé par rapport à la période ante, puisqu’en juillet 2019, lors de la remise des prix au concours général, Macky Sall déclare: «le niveau global des études continue de baisser. L’école ne peut rester figée dans le conformisme, j’appelle à mettre à jour le contenu des enseignements ».

Plus tôt, en juillet 2015, il mentionnait la réalisation de 54 lycées et de 42 collèges d’enseignement moyen équipés, l’idée de base étant d’assurer le renforcement des filières scientifiques et techniques dans le cycle secondaire et moyen et la mise à la disposition des lycées de ressources numériques, notamment en mathématiques et sciences physiques. Mais, ces efforts déclamés par le président de la République n’ont pas empêché des séries de grèves initiés par les syndicats, qui aujourd’hui sont au nombre d’une cinquantaine. Il a fallu, en avril 2017, organiser des élections de représentativité, au sortir desquelles sept sont devenus les interlocuteurs officiels du gouvernement dans le cadre du G7. Depuis des décennies, à chaque évaluation d’une réforme ou d’un programme, on ne cesse de dire et de répéter que la situation des élèves n’est pas brillante.

Chaque génération est vue comme une génération sacrifiée et les élèves sont présentés comme Triton, ce dieu marin de la mythologie grecque, représenté avec un corps mi-homme, mi-poisson, un être inachevé ou en cours de construction. Ces élèves symboliques de ce dieu, grandissent comme de jeunes arbres sans tuteurs, au petit bonheur de la chance. Il y a donc une urgence sociétale, celle de la reconstruction par la pédagogie. L’école est notre miroir politique et culturel. Ce n’est que dans les réformes porteuses de politiques de transformation que se joue la nécessaire remise en cause pour pouvoir, au-delà des politiques de continuité de Senghor, d’évolution de Diouf, de statu quo de Wade, et de «rupture» de Macky Sall, construire enfin, l’Ecole sénégalaise.

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