Le monde bruit de toute part d’un désir irrésistible de changer du tout au tout, d’une volonté de remise en cause des paradigmes actuels comme pour sortir d’un carcan oppressif et corrosif pour l’humain. La circonstance de la covid-19 en est le phénomène ampliateur et accélérateur. Il est vrai que la covid a mis l’humanité en face de l’inédit appelant même à une solidarité par l’isolement, contresens par excellence, mais c’était semble-t-il le prix à payer pour éviter un humanicide.
Selon le mot d’un auteur, « plus que les effets du changement climatique qui, pernicieux, affectent nos vies en profondeur, mais si lentement que s’en est imperceptible à l’échelle de nos vies humaines, l’effet pangolin nous touche brutalement, foudroyant nos passés et écrasant notre avenir dans un instant dramatique, insupportable à nos esprits endormis par des décennies de progrès scientifique, technique, médical qui nous faisaient percevoir nos vies en dehors du temps ».
Une recomposition de l’ordre établi dans un rapport nouveau est dans tous cas inévitable tellement les choses semblent aller dans le mauvais sens avec quelque chose qui à terme est destructeur pour la communauté humaine. Un moment historique de transition est donc à l’œuvre c’est-à-dire une mise en série non seulement d’événements mais aussi de processus qui articule des périodes. Ce passage d’une ère à une autre est toujours un moment d’incertitude. Seulement, changer n’est pas une chose évidente qui irait de soi. Le confort des convenances, des pratiques routinières a quelque chose de rassurant, de prévisible et d’accommodant. Le futur est incertain et comporte une forte dose d’inattendu, de déconcertant et d’angoissant qui tétanise le désir d’un alternatif.
Les effets, inconnus pour le moment, sont imprévisibles par nature, quel que soit la dose de management du risque parce que les circonstances nouvelles qui adviennent par le fait même du changement, les facteurs multiples qui entrent en ligne de compte induisent des effets de surprise affriolants. Il arrive même que le changement qui exige une conversion du paramétrage de nos modes de pensée, n’accouche que d’un recul ou d’un surplace. Comme l’affirmait le prince de Salina dans le roman Le guépard écrit par Lampedusa et adapté au cinéma par Visconti, il faut que tout change pour que rien ne change. Mais ne rien faire agirait à l’égal d’un rayon paralysant pour la pensée et l’action et garderait un statu quo insatisfaisant. Un présent fait d’exclusion, de pauvreté, de fragilité. Il y a juste à éviter la brusquerie, la brutalité mais il est nécessaire de faire quelque chose pour que les lignes bougent, que les éléments de structure se recentrent autour de valeurs de solidarité. C’est peut-être là le sens profond de l’appel du Président Macky Sall à un nouvel ordre mondial, qui « abolirait l’ordre mondial en cours par l’instauration d’un nouvel ordre mondial, qui redéfinit l’ordre des priorités, qui investit dans l’économie réelle », donc il plaide pour un monde nouveau, un monde « d’un postulat radical, qui place l’humain et l’environnement au cœur de nos préoccupations et de nos actions ».
Sous ce rapport, l’annulation de la dette « scélérate » des pays africains n’en est qu’une modalité mais c’est d’une redéfinition du momentum des relations internationales par une sorte de discernement des complexités fondé sur le respect et l’éthique, la pluralité parce que la diversité des cultures ne se retrouvent pas toutes dans un universel abstrait qui nie les différences. C’est précisément ce chemin nouveau à construire qui pense « l’universel comme un universel composite et partagé, » qui est à lire derrière l’appel de Macky Sall. Il y a aussi à observer que les désirs de changements consécutifs à une crise comme celle de la covid induit une sur réaction plus délétère que la crise elle-même. Comme le posait en axiome Hippocrate pour en prévenir l’usage, « le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences » est une limite déontologique dans l’acte thérapeutique, or, si on retient le changement comme une thérapie du mal à remédier, cette maxime doit, a minima, être retenue comme une précaution méthodologique.
Cette difficulté analytique se mue en difficulté d’action et de décision lorsque qu’on est harcelé par l’urgence, la psychose, les controverses, les intérêts, les croyances … et rend le choix aporétique et perdant à tous les coups. Cette difficulté s’exacerbe en milieu africain avec l’état des réceptifs sanitaires, des contraintes budgétaires, des conditions de vie. Et c’est dans ce contexte explosif que le PR s’est engagé à porter une vision de résilience économique.
REMETTRE L’HUMAIN AU CENTRE
La politique du ‘deux poids deux mesures’ et l’hypocrisie éhontée des gouvernements des pays industrialisés contribuent à expliquer l’un des plus grands paradoxes du système commercial international. Au vu des critères de création de richesses, la puissance de ce système a atteint son apogée. Pourtant, la légitimité des règles et des institutions qui régissent ce système n’a jamais été aussi contestée. Il y a un sentiment omniprésent – et justifié – que les pays industrialisés gèrent l’économie mondiale d’une manière visant délibérément à conserver les privilèges des riches aux dépens des nations et des communautés les plus pauvres. (Deux poids, deux mesures, oxfam). Ce système accouche « d’une mondialisation malheureuse » qui navigue entre « paupérisation des populations, crise migratoire, et conflits économiques et politiques sur fond de catastrophe environnementale ».
Un analyste indique que « nous sommes dans un système qui petit à petit a gangrené le monde dans lequel nous vivons, un monde qui a perdu ses valeurs morales et éthiques, un monde où l’Homme est piétiné, humilié, instrumentalisé, réduit à une simple cellule réactive et fonctionnelle d’un macro-processus planétaire. Ainsi configurées les relations internationales produisent de l’exclusion et de la pauvreté avec les effets dévastateurs de la finance de marché sur la vie des populations au travers d’une économie mondiale sous le joug idéologique d’un libéralisme oligarchique. Il s’établit une porosité directe entre la spéculation financière et les crises économique et sociale. Une pensée économique à visage humain est devenue une injonction civilisationnelle afin que l’homme ne soit pas une variable d’ajustement dans des calculs économiques mais plutôt une finalité pour la réalisation de son bonheur. Une conscience éthique par une philosophie humaniste de proximité, la plus factuelle possible et soucieuse au plus haut point des indices d’équité, de solidarité et de bien-être des corps sociaux et des personnes. Ces indices passent nécessairement par une politique volontariste visant essentiellement l’égalisation et la promotion des chances, le juste partage des ressources, des biens et des décisions et le soutien aux vulnérables, aux pauvres, aux exclus ainsi qu’aux autres victimes et vaincus de la compétition à tous crins et des lois implacables du marché.
Car au fond, une économie sans éthique n’est qu’une ruine de l’âme, à l’instar d’une science sans conscience, pour reprendre la belle formule de François Rabelais. Si les priorités internationales ne sont pas revues à travers ce prisme, l’Afrique, compte tenu de ses vulnérabilités et de ses fragilités multiples aura beaucoup à perdre. Mais, ce changement n’est concevable qu’avec une voix audible des africains portée par sa jeunesse, sa société civile, ses intellectuelles et ses leaders. C’est là le moyen unique et incompressible pour éviter un développement exogène, subi, « clef en tête », imposé par des logiques et des cohérences contraires à nos priorités et ainsi réalisé le « décentrement épistémique » que Felwine Sarr appelle.
L’annulation de la dette africaine prônée par le président, diversement apprécié, n’est en réalité que le linéament d’une remise à plat du système de rapports avec l’Afrique. La dette est un fardeau et un handicap qui leste la marche des économies et des souverainetés africaines d’une charge qui ralentit et étouffe l’actualisation de toutes ses potentialités. Elle est dans certains cas injuste et qualifiée par certains de « dette odieuse » ou encore de « dette illégitime », parce qu’établit dans des situations de nécessité sur fond de chantage et de conditionnalités absurdes mettant ainsi directement en jeu la responsabilité des créanciers. Si le débat persiste sur le volume de la dette africaine entre ceux qui la juge acceptable et ceux qui la jugent écrasante, l’agence Moody’s retient que la dette des pays subsahariens est telle qu’elle les exposerait en cas de chocs externes notamment d’ordre commerciaux, financiers et économique surtout que les taux de croissance ne permettraient pas de renforcer la résilience économique des pays le cas échéant.
PAR MAME BOYE DIAO