Akilee par-ci, Akilee par-là. Senelec par-ci, Senelec par-là. Makhtar Cissé par-ci, Makhtar Cissé par-là. Depuis plus de deux mois, le coronavirus est au centre et au-devant de toute l’actualité. Aucune autre actualité n’a pu résister à cet infiniment petit qui fait des ravages dans le monde. Mais le contrat Senelec-Akilee a pu le bousculer. Allant même jusqu’à diviser le pays en deux camps : ceux qui sont pour sa poursuite et ceux qui sont pour sa résiliation pure et simple. Si les pourfendeurs du contrat dénoncent son caractère léonin, totalement en faveur d’une start-up qui n’a aucune expérience dans aucun domaine – surtout celui des compteurs -, ses défenseurs, eux, ne sont intéressés que par une chose : la défense de Makhtar Cissé et accessoirement de la société Akilee. Insultes, accusations, calomnies, ragots, délations…, rien n’a été de trop pour des ‘’avocats sans robe’’, ‘’courtiers’’ et autres ‘’nègres de service’’. Mais les faits sont là, constants, palpables, visibles à l’œil nu : le contrat est une catastrophe pour Senelec et pour les Sénégalais.
Depuis plus de deux mois «Les Échos» alerte sur le contrat catastrophique qui lie Senelec à Akilee. Avec comme conséquences des attaques qui fusent de toutes parts. Trop souvent en dessous de la ceinture. Que n’avons-nous pas entendu ou lu ? Mais aussi curieux que cela puisse paraître, au moment où certains s’en prennent à nous, «l’exécutant» fait des pieds et des mains, remue ciel et terre, pour nous rencontrer ou nous parler. Et bien sûr, on l’envoie paître. Mais mieux, depuis quelques jours, Akilee polit son image avec des spots publicitaires à coups de millions. N’empêche, «Les Échos», fidèle à sa ligne, va continuer à s’en tenir aux faits. Les faits. Rien que les faits.
De quoi s’agit-il ? Le 11 février 2019, en pleine campagne électorale, Senelec signe un contrat avec Akilee pour le déploiement et l’exploitation d’un système de comptage intelligent pour la société d’électricité. Durée du contrat : 10 ans.
L’exposé peut se résumer ainsi qu’il suit : Senelec est une mégère atteinte d’arthrose, impotente et estropiée, frigide et ménopausée. Akilee est présentée comme le gendre parfait, fringuant, bon chic bon genre, (BAC : born after computer) à la pointe du savoir et de la technologie et qui peut, avec «seulement» 187 milliards, lui redonner sa splendeur et sa vigueur.
Et avec ce contrat, écrivent-ils, Senelec devrait récupérer environ 345,4 milliards sur un potentiel de pertes évaluées à 1273,4 milliards sur la période 2019-2028, soit une réduction de 27% passant de 17,30% en moyenne à 12,81%, desdites pertes en dix ans.
Les Annexes font partie intégrante du contrat ; mieux elles prévalent sur le contrat : le prix et les modalités de paiement «cachés» à l’Annexe 4
Preuve que la volonté de transparence ne figure nullement dans ce contrat, du début à sa fin, il n’y a pas un seul montant à payer à l’une ou l’autre partie ou par l’une ou l’autre partie. En fait, tous les montants ont été cachés dans les Annexes. Des annexes qui ne sont pas accessibles au grand public. Même les travailleurs de Senelec ne savent rien de ces annexes. Pour «légaliser» cela, il est clairement stipulé dans le texte : «les Annexes font partie intégrante du contrat». Et pour mieux blinder cela, ils ont ajouté une clause qui a fait bondir au plafond un juriste réputé : «en cas de contradiction entre les stipulations des Annexes et celles du corps du Contrat, celles des Annexes prévaudront». D’un côté ils écrivent que les Annexes font partie du contrat d’un autre, ils prévoient des contradictions entre les Annexes et le corps du contrat. Un cadre de la Senelec : «en fait, c’était pour cacher les énormités qu’il y a dans le contrat. On peut lire un contrat sans regarder les Annexes. Cette clause, c’est pour tout mettre dans les Annexes. Ainsi, quelqu’un peut lire le contrat sans rien voir parce que tout est dans les Annexes». Ce haut cadre ne sait pas si bien dire. En effet, même le prix n’est pas dans le contrat. Il est «caché» à l’Annexe 4.
La Senelec met son personnel, donne l’infrastructure, mobilise les ressources, assure le stockage des équipements de Akilee et assure leur sécurité
Dans les obligations contractuelles, tout peut être résumé ainsi : ‘’nègre travaille blanc bouffe’’. La preuve. La Senelec doit mettre à la disposition d’Akilee le personnel technique suffisant pour les besoins de déploiement du système de comptage (installations des compteurs et équipements accessoires). Mieux, Senelec va mettre à la disposition d’Akilee l’infrastructure permettant de stocker les données issues du système de comptage et d’héberger les serveurs des différentes applications nécessaires à l’exploitation des données ainsi recueillies. La Senelec devra aussi mobiliser toutes les ressources requises pour mettre en œuvre les orientations données par Akilee grâce au système de supervision mis en place dans le cadre de la lutte contre les pertes techniques et non techniques. Par exemple, le remplacement de transformateurs surchargés, le déploiement physique des équipes de contrôle des Pnt dans les zones prioritairement recommandées par Akilee.
Ce n’est pas tout. La Senelec doit aussi assurer le stockage de l’ensemble des équipements accessoires livrés par Akilee ainsi que leur sécurité et leur intégrité physique ; en plus de distribuer dans les délégations, en coordination avec Akilee, l’ensemble des équipements accessoires dans le cadre des processus de gestion des nouvelles demandes d’abonnement et de renouvellement du parc de compteurs. Mieux, la Senelec doit préserver les droits d’exclusivité d’Akilee, en s’abstenant, notamment, de s’engager dans tout projet, avec un partenaire public ou privé dont les modalités ou les résultats risqueraient d’impacter l’économie du contrat, à moins d’obtenir au préalable l’avis de non-objection écrit d’Akilee sur un tel projet.
Akilee livre, surveille, analyse
De son côté, Akilee livre à la Senelec le système intégré, accompagné de l’infrastructure de comptage et effectue auprès des clients de Senelec la pose, la protection (via des coffrets adaptés) et la configuration du matériel de comptage. Akilee devra aussi développer les outils de supervision du système de comptage, de collecte, de traitement et de valorisation des données afin d’alimenter les différents processus et systèmes d’informations existants, en cours de développement futurs de Senelec, en particulier au niveau de l’exploitation technique et commerciale ; surveiller et analyser l’évolution du niveau des pertes techniques et non techniques de Senelec par l’exploitation des données collectées par les compteurs intelligents. Akilee a aussi pour obligation de rémunérer les agents de Senelec mis à disposition dans le cadre du déploiement des compteurs intelligents sur le terrain suivant les conditions définies dans le protocole de mise à disposition de personnel ; de travailler également en étroite collaboration avec les agents de Senelec tout au long du projet et les associer aux formations offertes par les partenaires techniques.
Les documents, les logiciels informatiques, l’ingénierie… demeurent la propriété entière et exclusive d’Akilee, même au-delà de la durée du contrat
A la lecture des «droits de propriété sur les systèmes et les matériels», on se demande si ceux qui ont signé le contrat ont pensé à l’intérêt de Senelec et des Sénégalais. Parce que dans le contrat, Akilee a tout, prend tout, gagne tout et… garde tout. En effet, il est clairement spécifié que l’intégrité des plans, documents, logiciels informatiques y compris le système d’information analytique (Sia) ainsi que l’ingénierie et les autres données fournies ou devant être fournies par Akilee devront rester la propriété d’Akilee. Pire, la Senelec ne pourra pas divulguer auprès d’un tiers quelconque les données recueillies par le biais du Sia, à quelque titre que ce soit, sauf après accord préalable et écrit d’Akilee. Pendant toute la durée du contrat, la Senelec protège les droits de propriété intellectuelle d’Akilee et de ses partenaires techniques sur l’ensemble du Sia, sauf quand il s’agit de technologies se trouvant notoirement dans le domaine public et sur lesquelles Akilee et/ou ses partenaires techniques ne peuvent prétendre disposer d’un quelconque droit de propriété. Les droits de propriété intellectuelle visés pendant toute la durée du contrat et même au-delà demeurent la propriété entière et exclusive d’Akilee et/ou de ses partenaires techniques. Toutefois, la propriété juridique des compteurs intelligents servant de support au Sia et tous les risques y afférents, sont transférés à Senelec dès leur livraison.
Des droits d’exclusivité d’Akilee sur toute la durée du contrat
On perd même son latin à force de voir les exclusivités et autres faveurs inconsidérées accordées à Akilee dans ce contrat. Parce qu’à ce rythme, Senelec ne va travailler avec personne d’autre qu’Akilee pendant 10 ans. En effet, il est clairement stipulé dans le contrat que pendant toute sa durée, sauf défaillance d’Akilee caractérisée et à laquelle Akilee n’aurait pas remédié dans les délais précisés, Senelec s’interdit de développer et d’exploiter par ses propres moyens ou par l’intermédiaire d’une autre entité, y compris une entité à laquelle elle serait unie par des liens capitalistiques, des solutions ayant pour objet ou pour effet la mise en place de l’exploitation d’une solution comparable en tout ou partie au Sia. Pire, pendant 10 ans, Senelec n’a pas le droit de s’approvisionner en compteurs intelligents auprès d’un fournisseur autre qu’Akilee. Sauf accord formel d’Akilee, tout projet, tout contrat, toute entente impliquant Senelec ou une affiliée de Senelec, et dont l’objet correspondrait en tout ou partie à l’objet du contrat, serait réputé avoir enfreint les droits d’exclusivité que Senelec accorde à Akilee et sera sanctionné par une indemnité égale au montant de la part fixe définie au titre de l’année au cours de laquelle est constatée cette violation, sans préjudice de la poursuite de l’exécution du contrat.
Chaque jour de retard dans le paiement des sommes dues à Akilee produira des intérêts au taux légal, majoré de deux points
Ainsi, en contrepartie des prestations attendues, Senelec versera à la société Akilee une redevance composée d’une part fixe correspondant à l’amortissement des investissements et aux coûts d’exploitation de base d’Akilee, y compris le système de comptage et l’ensemble de ses accessoires (coffrets, disjoncteurs/portes fusibles) ainsi que leurs coûts de transport, d’installation et d’opération. Cette part fixe est déterminée sur la base des prix des matériels et prestations effectuées. Mais ce qui est grave, c’est qu’en garantie du paiement de cette part fixe, Senelec va fournir à Akilee une garantie autonome et une ou des banque(s) agréée(s) par l’Umoa. La Senelec versera aussi une part variable indexée sur les économies financières réalisées par Senelec et résultant de la réduction des pertes ainsi que des économies sur les charges d’exploitation de l’entreprise, lorsque lesdites économies financières sont directement imputables au système déployé et exploité par Akilee, déduction faite de la part fixe. La part fixe est due à Akilee dès la livraison à Senelec des compteurs intelligents et leurs accessoires. Le cas échéant, les revenus variables sont payables dans un délai de 30 jours suivant la publication du rapport annuel et des états financiers certifiés de Senelec. Les factures émises par Akilee sont payables dans un délai maximal de 45 jours à compter de leur date de réception à Senelec, et tout jour de retard dans le paiement de l’une quelconque des sommes visées produira des intérêts au taux légal, majoré de deux points.
En cas de changement de parité entre le franc Cfa et l’euro, Senelec obligée d’ajuster les montants des parts fixes et variables
En cas de changement de parité entre le franc Cfa et l’euro ayant pour effet une augmentation de la contrevaleur en franc Cfa des engagements financiers libellés en euro d’Akilee envers ses partenaires techniques et commerciaux ou envers les parties financières, que lesdits engagements portent sur des dettes exigibles ou sur des dettes non échues, Senelec s’oblige à ajuster les montants des parts fixes et variables de sorte à compenser intégralement le coût financier induit par le changement de parité.
Toutefois, en cas de changement entre le franc Cfa et l’euro ayant pour effet une diminution de la contrevaleur en franc Cfa des engagements financiers libellés en euros d’Akilee envers ses partenaires techniques et commerciaux, Senelec pourra ajuster à la baisse la part fixe prévue de sorte à absorber la diminution de la contrevaleur induit par le changement de parité. En tout cas, lors de la signature dudit contrat, la parité entre le franc Cfa et l’euro était de 655,957 pour un 1 euro. Ainsi, toute modification de cette parité entrainera l’application des stipulations précitées.
En cas de résiliation anticipée du contrat, les énormes montants que Senelec va payer à Akilee
Il est prévu, dans le cadre du contrat entre la Senelec et Akilee, une résiliation sans faute. En effet, la Senelec peut résilier le contrat avant son terme. Dans le cadre de ses prérogatives de concessionnaire de service public et lorsqu’un motif impérieux et irrésistible d’intérêt général ne laisse pas de place à une solution alternative, de mettre fin au contrat avant son terme, sous la réserve expresse de faire connaitre par tout moyen sa décision à Akilee, au moins 12 mois avant la date effective de résiliation du contrat. En cas de résiliation anticipée pour motif d’intérêt, la Senelec s’engage à verser à Akilee une indemnité correspondant entre autres à 100% de l’encours réel des instruments de dette contractés par Akilee dans le cadre du contrat, majorée des commissions etc., la valeur de rachat éventuel des stocks disponibles auprès d’Akilee ; le montant cumulé des factures émises par Akilee ; une somme représentant l’indemnité pour remboursement anticipée éventuellement due par Akilee à ses partenaires financiers dans le cadre du contrat du fait de la résiliation des instruments de dette ; une somme correspondant à son manque à gagner sur la durée restant à courir du contrat…
En cas de faute d’Akilee, elle indemnise Senelec dans la limite d’un plafond correspondant à 10% de la rémunération annuelle
Le contrat peut être également résilié pour faute d’Akilee. En effet, en cas de manquement particulièrement grave et répété d’Akilee à ses obligations résultant du contrat, Senelec peut résilier le contrat ou mettre Akilee en demeure dans un délai inférieur à trois mois. Dans le cas où Akilee ne déférerait pas à la mise en demeure, la Senelec peut résilier le contrat à l’expiration du délai d’un mois fixé de la période de prorogation. Akilee indemnise Senelec du préjudice en raison de la rupture du contrat, dans la limite d’un plafond correspondant à 10% de la rémunération annuelle d’Akilee. Le préjudice lié à la déchéance d’Akilee est intégralement à la charge de ce dernier.
Synthèse Moussa CISS