Le crime policier, voici 3 jours, contre un africain-américain à Minneapolis et celui, depuis un an, qui hypothèque l’avenir de la Senelec sont de la même nature: l’un tue un homme, l’autre une corporation…
Par Adama Gaye*
Dans une ville américaine devenue brasier et symbole du cancer social qui déchire la plus grande puissance terrestre, un policier au nom prédestiné, Chauvin, a froidement écrasé, à mort, de son insensible genou, le cou de son innocent concitoyen, de race noire, tandis qu’au Sénégal, à partir d’un contrat négocié dans une chambre enfumée, à l’abri des regards, dans une atmosphère criminelle, une startup, à la résonance tueuse, Akilee, A-Killer, continue, depuis lors, de vider de son sang financier la principale société nationale d’électricité (Senelec).
Dans ce dernier cas, les dégâts s’étendent aussi aux populations, cyniquement rançonnées, alors qu’elles sont désargentées, qui en paient les pots cassés.
A divers égards, entre l’acte inhumain d’un flic, pire qu’un porc, qui a atrocement et publiquement abrégé la vie de Floyd George et celui qui, en silence, tient à la gorge la pauvre Senelec par le biais d’un arrangement assassin, il y a, comme qui dirait, une gémellité dans l’art de tuer.
Noeud gordien
En réalité, le parallèle ne s’arrête pas qu’au mal que l’un et l’autre savent faire.
En y regardant de plus près, on se rend compte qu’ils sont, chacun, le noeud gordien du plus important défi des deux sociétés respectives où ils se trouvent.
Pour l’Amérique, c’est le racisme. Ce mal y revient avec force alors qu’on l’avait pourtant cru expurgé de ce pays dont il fut longtemps l’un des démons les plus meurtriers, virulents.
Des militants de la lutte pour les droits civils des africains-américains, à l’image des combattants entrés dans la postérité, tels Rosa Parks, Martin Luther King, les Black Panthers, le boxeur Cassius Clay et les athletes olympiques noirs ou d’éminents intellectuels de cette communauté, s’étaient si intensément sacrifiés, en particulier dans les années 1960-70.
On avait cru la victoire acquise. Même si éliminer les résidus d’une culture raciste institutionnalisée par l’esclavage ne fut pas facile.
Il sembla cependant se matérialiser avec l’admission officielle, de guerre lasse, par la société et la classe politique blanche que l’ère d’une domination raciale des gens de couleur n’était plus tenable.
Dans tous les secteurs, la déségrégation paraissait être devenue la norme.
Les sièges séparés dans les restaurants, les écoles réservées aux blancs, les restaurants interdits aux noirs, autant de legs et tant d’autres du même acabit d’une Amérique, abonnée à un racisme ordinaire, et reflet de l’apartheid sud-Africain, s’écroulaient peu à peu.
La normalisation était officiellement en route.
On trouva même un chic mot à la nouvelle ambiance.
On affirma que la société postraciale était désormais ancrée dans ce pays dont les populations jamais à court de vantardises disaient qu’il était la terre de Dieu.
“Le ciel et la terre ne se sont jamais mis autant en phase pour créer un endroit aussi propice à l’habitat des êtres humains”, n’avait d’ailleurs pas craint de s’exclamer John Smith, l’un des leaders des premiers migrants venus s’y installer, en 1607, à bord d’un bateau, le Mayflowers, et déterminés a la conquérir.
Dans le narratif d’une nation prétendument puritaine qu’elle se disait être, loin des persécutions religieuses alors en cours sur un continent européen intolérant, la nouvelle frontière n’était en fait qu’un pays bâti sur un mensonge et sur une série de méprises qui continuent de hanter son existence.
Qui peut oublier son premier péché originel d’avoir été conçu sur les cadavres des peuples arborigènes, les Indiens, impitoyablement massacrés rien que pour faire place nette aux nouveaux colons blancs.
L’Amerique n’a jamais pu vaincre son culte racial. Et il n’est que de voir l’écosystème officiel autour de son actuel Président, Donald Trump, où l’on ne perçoit que des visages…pales pour en mesurer la profondeur.
Quiconque doutait encore de sa violence n’en a plus aucune raison après la dernière exécution à ciel ouvert retransmise de Minneapolis sur tous les réseaux sociaux.
Violence d’état
Ce n’est là que le paroxysme d’une violence d’état encouragée au plus haut niveau du pouvoir américain.
Qui peut, à cet égard, oublier l’appel récent de l’actuel secrétaire d’état, Mike Pompéo, en faveur du service des renseignements de son pays, la CIA, pour que cette dernière soit imprévisible, violente et brutale, c’est-à-dire qu’elle puisse tuer à volonté sans rendre compte dans l’accomplissement de sa mission ?
On rappellera la sécuritisation de la politique étrangère américaine puisqu’en tant qu’ancien patron de la centrale sise à Langley, près de Washington DC, il en est la personnification achevée.
Qui n’a pas non plus en mémoire le recours aux méthodes criminelles, de terreur, des troupes militaires spéciales et publiques que l’Amerique a déployées partout dans le monde, sans respecter le droit ad bellum, le droit de la guerre?
Tous nous revoyons aisément avec frayeur les images de ces jeunes militaires américains, dont des femmes, tenant des chiens en laisse, crocs ouverts, vers de pauvres, terrorisés en diable, prisonniers, détenus en particulier dans le camp de Guantanamo, hors de toutes normes internationalement admises.
It’s the race, stupid, c’est la question raciale, imbecile, peut-on donc dire pour camper le plus grand défi existentiel, bien avant le rival géopolitique chinois, d’une Amérique qui est loin d’avoir fait la paix avec elle-même, encore moins avec les ferments de ses divisions internes principalement nichées dans les réflexes racistes qui habitent sa population blanche.
Qu’il est loin le temps pourtant proche quand il avait fallu à un James Carville, stratège de la campagne présidentielle victorieuse de Bill Clinton en 1991, affirmer que l’enjeu alors était l’économie, à moins d’être un Imbécile pour ne pas le savoir, assura-t-il, pour lui faire vaincre toutes les réticences à la candidature de son poulain…
C’est ainsi que l’homme, pourtant chargé de casseroles, put défaire un héros de la 2ème guerre mondiale, George Bush-père, revenu, lui, cette année-là, auréolé d’une belle victoire dans le 1er conflit contre l’Irak.
Comme une pieuvre, la race est donc de retour aux États-unis et son leadership déjà contesté n’en sera que plus illégitime au moment où le monde cherche sa voie au milieu d’une dévastatrice pandémie.
Pouvoir aux abois
Pour le Sénégal, malgré les efforts d’ethnicisation d’un pouvoir aux abois et les frasques multiples, dans son pillage de l’économie, incarné par le sac de nos ressources en hydrocarbures, c’est Akilee qui doit symboliser la gravité de l’heure.
De grâce que se taisent les voix qui s’élèvent ça et là, moyennant rétribution, pour en faire des Bob Denard, des mercenaires de la plume, afin de faire passer le contrat offert à cette firme, par une Senelec dévoyée, en acte de promotion d’un patriotisme économique.
Il n’en est rien. La chose est gravissime. Comme Derek Chauvin, dévidant sa bestialité de son genou coincé sur le cou de sa victime, George Floyd, et donc remettant le débat racial au centre du jeu, en une année électorale Outre-Atlantique, la problématique posée par le contrat léonin donné à Akilee dépasse de loin le seul objet arithmétique des faramineux chiffres qu’il induit pour ses concocteurs.
Plus que les 187 milliards de francs Cfa, qu’il recouvre et complaisamment livrés sur un plateau d’argent au milieu d’une mer de délits d’initiés, de conflits d’intérêts, de copinages, de magouilles et de décisions en cantimini sans compter les paiements effectués à la veille d’une passation de service, en fast-track, ce dont il s’agit c’est de la criminalisation d’un service public à des fins privées, politiciennes, pouvoiristes.
A l’instar de Floyd privé de son sang, forcé à une mort atroce, la Senelec voit un pneu enduit de carburant autour de son cou, avec une mèche entre les mains du principal signataire de l’accord.
Ce que cela signifie, c’est qu’elle devra, année après année, et bien au delà de la durée du contrat, sorte de mariage catholique indissoluble, continuer à verser au bassinet des heureux bénéficiaires sommes folles.
Assassinat de l’économie
Avec l’aide criminelle de son ex-directeur General, actuel ministre de l’Energie, Makhtar CISSE, sous le regard complice de Mademba Biteye, son successeur à la tête de l’entreprise publique d’électricité, et la participation d’autres acteurs de la société, le plan ourdi dépasse celle-ci.
Disons-le en ternes crus: ce n’est rien d’autre qu’un assassinat de l’économie sénégalaise en s’assurant que la facture soit assumée par une population dont l’avis, pourtant essentiel, n’a pas été requis une seule fois.
Ce contrat Akilee est un killer. Il ne mérite dès lors qu’un seul sort: être cassé et ses auteurs poursuivis.
Qu’on ne vienne pas me dire qu’il y aurait un risque à assumer si une telle procédure était enclenchée.
Il n’y en a aucun. Pour la simple raison que les protagonistes qui l’ont conçu ont agi en malfaiteurs.
Aucune juridiction au monde, digne de ce nom, n’accorderait la moindre compensation à quiconque parmi eux aurait le toupet d’en réclamer.
Bien au contraire, c’est à l’état du Sénégal (pourvu que Macky SALL lui-même ne soit pas mêlé, comme c’est fort probable, à l’entourloupe) et au peuple sénégalais de revendiquer non seulement le remboursement des sommes perçues mais des intérêts dus aux pertes causés par cet acte de haute criminalité.
Les derniers défenseurs qu’Akilee maintient autour de sa cause à forte dose de publicité payée et d’émoluments versés, ont beau jeu de s’étonner qu’une plus grande pression soit exercée sur le contrat de leur protégée.
Pourquoi, affirment ils, il n’en est pas de même pour d’autres entités aussi mouillées, à la lumière des nombreux brigandages du régime criminogène en place, assis sur le cou du Sénégal?
Il n’en manque pas. Des faveurs faites à Total, Senac, Alsthom, Fonroge, Eiffage, Toscalys, Henan, c’est-à-dire à des firmes françaises, Turques, Chinoises et d’autres de provenance étrangère sont lésion dans le pays.
On ne saurait, bien sûr, pas oublier la mère des crimes: la dissipation de nos hydrocarbures par l’homme le plus détesté du Sénégal, Aliou SALL, sous le parapluie de son frère, Macky, de mèche avec des forbans, comme Frank Timis.
Les défenseurs de Akilee sautent sur l’apparent silence autour de ces autres megacrimes économiques pour crier à…la ségrégation contre ce qu’ils présentent en champion national détesté, victime de la jalousie des africains (comprenez sénégalais) contre les leurs.
Argumentaire aussi léger que suintant un opportunisme crasse.
L’évidence est plus pragmatique. Autant en effet il faudra revisiter tous les deals ayant desservi le peuple sénégalais sous la gouverne d’un leadership mafieux, autant commencer par le “low hanging fruit”, le fruit pourri à portée de main et qui concentre tous les maux de cette gouvernance toxique.
Ce réalisme commande de se rabattre sur le scandale Akilee pour le vider.
Ce sont du reste les protagonistes impliqués, aidés jusque dans le Club des (non) investisseurs, qui ont facilité la tâche. Par leurs querelles et révélations, ils permettent, en recoupant les informations qu’ils fournissent les uns contre les autres, de pouvoir percer le cœur de cette arnaque et d’en finir, en les mettant dans le même panier, avec ses auteurs.
En conclusion, si Derek Chauvin est devenu le symbole du racisme américain, Akilee incarne la face hideuse d’une économie sénégalaise capturée par des escrocs de la pire espèce et qui se la jouent au point de faire degueuler les plus zen.
Voici un an, me rapporte une source, cornaqué par son ex-patron à Électricité de France (EDF), Amadou LY, l’homme au centre de la magouille Akilee, s’était ridiculisé aux yeux de la communauté “jappo”, composée des élites professionnelles sénégalaises de Paris en leur présentant, vidéo à l’appui, son nouveau bébé. “Je ferai partie de ceux qui vont diriger le Sénégal”, s’était-il écrié, sans réaliser que ceux qui l’écoutaient savaient qu’il n’était que la marionnette d’une société française d’électricité.
Ses défenseurs, théoriciens du patriotisme économique, ne savent pas, eux, qu’ils participent de la recolonization consentie dont l’Afrique est la victime sous l’effet d’énergumènes au verbe haut mais qui n’en sont pas moins des figures de proue d’une reconquête par l’étranger de notre continent.
It’s Akilee, stupid, ventre mou d’une pénétration neocoloniale autant que du déploiement d’une nouvelle criminalité pire que la pandémie du coronavirus.
Il faut donc, sans délai, arrêter, annuler, non réviser, le contrat Akilee: nous remettrons le métier sur l’ouvrage, le moment venu, une autre arnaque ne suffira pas à en faire oublier aucune…
Adama Gaye, Le Caire, 30 Mai 2020