A quelques encablures de la date butoir du 02 juin, devant consacrer la fin de la prolongation de l’état d’urgence, les travailleurs du secteur l’informel, plus connus sous le sobriquet des « gorgorlus », sont unanimes pour dire que le chef de l’Etat doit lever définitivement les mesures de restrictions afin de leur permettre de reprendre le travail comme avant. Reportage auprès de ces personnes qui vivent le calvaire depuis l’instauration de l’état d’urgence assorti de couvre-feu, dépourvus pour la plupart d’aide alimentaire d’urgence et non attributaires de l’énigmatique fonds d’aide de l’Etat aux ménages dits vulnérables.
L’état d’urgence assorti d’un couvre-feu proclamé par le chef de l’Etat, le 23 mars, et prorogé le 04 avril dernier est un casse-tête pour le secteur informel. Les acteurs dudit secteur éprouvent d’énormes difficultés pour joindre les deux bouts. D’autant plus que la plupart d’entre eux sont des soutiens de famille. Il est 13 heures à Fass, plus particulièrement, ASC Fass, sur la rue qui mène vers le boulevard Doudou Ndiaye Coumba Rose, un gérant de Dibiterie du nom de Aminou Abdra Ouhou se veut catégorique sur les dommages collatéraux de l’état d’urgence et du couvre-feu. « Pour le commerce en tout cas, c’est le calvaire…Il n’y a pas assez de clients à cause du couvre-feu. Ce n’est pas comme avant où tout allait bien pour nous qui sommes dans les restaurants. Avant, on recevait les clients à n’importe quelle heure la nuit, car beaucoup travaillent dans la journée. Mais à présent, avec la pandémie et les nouvelles règles de vie, les clients viennent peu. C’est pourquoi d’ailleurs, comme vous pouvez vous-même le constater avec moi, beaucoup ont fermé parce que les choses ont beaucoup ne marchent plus ». Et d’asséner, de manière convaincue que «C’est la cause pour laquelle nous demandons effectivement, si possible, une levée intégrale des mesures restrictives telles que l’état d’urgence et le couvre-feu, tout en réitérant toujours aux gens le respect des mesures barrières ».
Et d’arguer avec force conviction : « Parce que cela a beaucoup perturbé le travail. Avec les mesures restrictives, nous sommes confrontés à des problèmes pour payer la location de nos locaux ». A quelques encablures, Moussa, un mécanicien de son état, basé près de la Place de la Nation (Colobane), demande face à l’état d’urgence, que le secteur informel soit pris en compte en ce qui concerne le fonds d’aide aux impactés. Non sans inviter l’Etat à mettre fin à toutes les mesures restrictives. C’est ainsi qu’il déclare : « Nous avons durement ressenti les conséquences des mesures de l’Etat d’urgence et du couvre-feu. Mais nous n’y pouvons rien, puisque c’est une épreuve que nous a mise le Tout-Puissant. Nous ferons que Allah pour qu’il nous en épargne une bonne fois pour toutes. Parce que le travail n’avance pas. Vous voyez, depuis ce matin, je n’ai reçu que deux clients, c’est difficile. C’est pourquoi, moi, ce que je demande au chef de l’Etat, c’est de vraiment nous inclure dans l’aide aux impactés de Covid-19, parce que nous du secteur informel, on devrait nous prendre en compte sur cette aide. Parce que nous estimons que nous faisons partie des impactés. Nous souhaitons effectivement que le 02 juin, la date où devrait normalement prendre fin l’état d’urgence, le président nous libère, afin qu’on puisse mener à bien notre travail quotidien d’alors ». Et d’insister : « Il doit nous libérer en levant ces mesures bien que préventives mais aussi contraignantes surtout dans la marche quotidienne de notre activité».
«C’EST LA CATASTROPHE»
De l’autre côté, au rond-point Colobane, un jeune homme, commerçant de la place pour laquelle nous préférons garder l’anonymat fulmine : « je pense que le chef de l’Etat doit lever l’état d’urgence et le couvre-feu, ça n’a pas d’importance. Nous tous, 20 heures déjà nous trouve chez nous. Le Sénégal ne peut pas supporter ces genres de mesures comme l’état d’urgence et autre sur deux, ou trois mois. C’est la catastrophe, comme vous le constatez déjà actuellement avec les cantines fermées par ci, les chauffeurs immobilisant leurs véhicules par là et quémandant de quoi nourrir leur famille par-là, à cause de la situation qui prévaut aujourd’hui. Je pense que comme l’a si bien dit le Docteur Pape Moussa Thior, il faut «laisser les gens circuler», vaquer leurs préoccupations quotidiennes et si jamais quelqu’un ressent quelque chose, qu’il aille à l’hôpital. C’est la raison pour laquelle encore une fois, je demande au président de la République de lever l’état d’urgence une bonne fois pour toutes, parce que les gens sont fatigués alors qu’on ne leur vient en aide aux gens »
QUESTION DE SURVIE FACE A UNE PRECARITE ABSOLUE
A Aladji Pathé, une localité sise à Keur Massar, la plupart des activités menées dans ce lieu marche à pas de tortue depuis l’installation de l’état d’urgence assorti du couvre-feu. Ce semi confinement pose un véritable problème à ces travailleurs qui vivent dans une précarité absolue. C’est le cas de ce vendeur de Tangana. A 16h déjà, Adjibou Diallo épluche les pommes de terre. A cause du couvre-feu, il a aménagé ses horaires de travail de 17H à 20h au lieu de 19H à 1H du matin par peur de sombrer totalement dans la faillite. «Au début du couvre-feu, j’avais décidé de ne plus vendre le soir pour me conformer aux règles établies, mais je ne m’en sortais pas et la quasi-totalité de mes clients ne venaient plus par peur de choper le virus », explique-t-il.
Son seul souhait aujourd’hui est l’annulation effective du couvre-feu : « si le couvre-feu persiste, je ne vais plus tenir. Bien vrai que je reconnais que la maladie est bien présente à Keur Massar, là on n’en disconvient pas mais l’Etat doit prendre en compte la vulnérabilité des gorgorlus comme moi qui assurent la dépense quotidienne au jour le jour. Le président doit choisir entre nous laisser vaquer librement à nos occupations ou nous enfermer dans la famine parce que c’est une question de survie ».
Et de poursuivre : « J’ai déjà deux mois d’arriérés de location, ce qui ne m’est jamais arrivé auparavant. Vraiment, si ça continue comme ça, nous les moins lotis, nous allons tous mourir comme des mouches », se désole-t-il. Les appuis de fonds octroyés aux acteurs du secteur informel sont quasi-inexistants pour ceux qui travaillent dans le secteur informel. Une situation révoltante qui pousse les petits commerçants de cette localité à braver l’heure du couvre-feu fixé à 20heures désormais. C’est le cas d’Ami Niang, une vendeuse de Thiéré (couscous au mil) et de Fondé (bouillie de mil). Pour elle, nourrir sa famille est la chose la plus importante à ses yeux, quitte même à attraper le virus : « Je me suis confinée trois jours avant de reprendre. Je ne pouvais plus continuer. Je n’ai vu ni aide alimentaire ni autre chose, aucune considération pour nous les pauvres, c’est juste une affaire de politique politicienne», peste-t-elle. Avant de conclure : « nous ne quémandons pas, nous exhortons tout simplement le président Macky Sall de lever le mot d’ordre le 02 juin, car il est vraiment temps d’autant plus que les mesures établies jusqu’ici n’ont eu aucun effet »