Comme nous l’écrivions il y a deux semaines, au lendemain de sa décision d’assouplir certaines restrictions prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le président de la République a décidément le talent inouï de danser à contretemps ! Nous avions notamment moqué sa valse à contretemps.
En effet, alors que la pandémie était au plus bas et n’avait encore fait aucune victime, il avait pris des dispositions de confinement ubuesques. Et lorsque la même pandémie grimpait allègrement vers les sommets après avoir fait des dizaines de morts, il avait entrepris de déconfiner !
En tout cas assoupli son confinement. Un peu comme les banquiers dont on dit qu’ils vous prêtent un parapluie par beau temps et vous le retirent dès que l’orage éclate ! Mieux, et pour en revenir à notre président, alors que toutes les troupes de ce pays sont au front de la lutte contre le coronavirus, le Généralissime qu’il est jouait tranquillement au Ludo avec sa famille. Et le faisait savoir au peuple moutonnier que nous sommes…
Eh bien jamais deux sans trois puisque c’est encore en plein état d’urgence sanitaire, alors que ses gouverneurs et préfets avaient fermé tous les « loumas » du pays, accentuant la misère dans le monde rural, et décrété une ouverture alternée kafkaïenne des marchés des autres localités, précarisant davantage les acteurs de l’informel, alors que des secteurs entiers de l’économie sont à l’arrêt ou agonisent, c’est donc ce moment particulièrement grave que notre Connétable a choisi pour encore octroyer des privilèges. A une courtisane cette fois-ci. Car enfin, quelle urgence y avait-il à sortir un décret pour nommer Mme Aminata Tall présidente honoraire de ce machin qu’est le Conseil économique, social et environnemental ? Je n’entrerai évidemment pas dans la querelle byzantine voire picrocholine consistant à savoir s’il y a eu un faux décret ou un décret falsifié voire un décret détourné de son objet.
Peu m’importe également que le décret instaurant l’honorariat pour les anciens présidents de ce Conseil ait été signé par l’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade. Au demeurant, je savais bien que ce dernier avait octroyé ce statut particulièrement juteux en termes pécuniaires et d’avantages matériels à son pote big Fam. Là n’est pas le problème !
Il se trouve dans le fait que même si Wade, avec sa prodigalité légendaire, à eu à donner un tel statut et les privilèges qui vont avec, le président Macky sall, plébiscité par les sénégalais pour, entre autres missions, mettre fin aux dérives dépensières de son prédécesseur, ait pu continuer à distribuer à tour de bras des privilèges ruineux pour les finances publiques. C’est encore plus grave à ce moment précis où, investi des pleins pouvoirs de chef de guerre, il est chargé de mener la bataille contre un terrible ennemi invisible appelé Covid-19.
Une guerre pour les besoins de laquelle il a organisé un grand « mastata fi sabililahi » au niveau national ayant parfois pris des allures d’un braquage genre « la bourse ou la vie ! » pour financer son plan de riposte contre la pandémie. Le geste du président de la République fait d’autant plus désordre et est d’autant plus inopportun qu’il est intervenu après que le même président Macky sall s’est autoproclamé « leader » de la cohorte de présidents africains mendiants mise sur pied pour solliciter de la communauté internationale l’annulation de la dette publique des pays du continent.
Au moment où on quémande des annulations ou des remises de créances, donc, on octroie sur le plan intérieur des privilèges coûteux pour les finances publiques. Macky a l’art de danser à contretemps, on vous dit. Et pas seulement du « wango » ou du « wathiatha » !
Privilège royal
Car enfin, président honoraire du Conseil économique, social et environnemental (Cese) ce n’est malheureusement pas qu’un titre ronflant. C’est aussi une foultitude d’avantages qui, cumulés, coûtent bonbon au contribuable. Et c’est justement cela qui heurte la morale et insulte l’éthique en plus d’être carrément indécent.
Pendant que le peuple se serre la ceinture, mange son pain noir et est même à l’article de la famine dans le monde rural, tandis qu’une grave récession se profile, notre Président, dont on pensait qu’il était tout entier absorbé par la guerre contre la pandémie et ses terribles conséquences sanitaires et économiques, trouve non seulement le temps de jouer au Ludo mais encore de faire les samba Linguère ! Car tel est son bon plaisir… Côté symboles et provocations — voire insultes — au peuple, je ne vois que deux précédents illustres dans l’Histoire qui ressemblent, toutes proportions gardées bien sûr, à l’acte que vient de poser en catimini le président de la République.
Le premier, c’est lorsque la reine de France Marie-Antoinette avait déclaré, soit avec morgue soit par sottise, ceci : « Le peuple n’a plus de pain ? Il n’a qu’à manger de la brioche ! » Une phrase prêtée à tort à l’Autrichienne (Jean-Jacques Rousseau l’aurait mise dans la bouche d’une princesse d’un de ses livres) même si d’aucuns soutiennent qu’elle aurait contribué à déclencher la Révolution française !
Le second s’était passé en Ethiopie, pays qui abrite depuis 1963 le siège de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) devenue UA. En 1973, pendant que le pays était frappé par une terrible sécheresse et que les gens mouraient de faim, la Télévision montrait le Négus (ou empereur) Haïlé sélassié en train de donner des quartiers de viande de bœuf à ses lions !
Un geste en comparaison duquel, sans doute, le privilège du roi Macky sall à une courtisane déchue peut apparaître à priori comme un péché véniel ou un geste banal. A priori seulement !
PAR MAMADOU OUMAR NDIAYE