Femme politique, élégante et intellectuelle, Aminata Tall, 71 ans, a souvent joué sur ces leviers pour se rendre incontournable d’abord sous Wade et aujourd’hui avec Macky Sall. Les avantages conférés par le décret présidentiel la nommant présidente honoraire du Conseil économique, social et environnemental prouvent qu’en politique, le défaut d’une base n’explique pas tout. Surtout quand on s’appelle Aminata Tall.
En berne politiquement et sans portefeuille institutionnel, Aminata Tall, l’ancienne maire de Diourbel, trouve quand même le moyen de faire l’actualité dans un contexte fortement dominé par la lutte contre la pandémie du Covid-19. Le décret 2020-976 du 21 avril vient de lui octroyer le titre gracieux de présidente honoraire du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Tout au long de sa carrière politique, Aminata Tall s’est rendue incontournable sans pour autant posséder une véritable base politique. C’est parce que la dame a le courage de ses idées selon certains, même si elle est considérée comme hautaine par d’autres. Une des femmes marquantes du régime de Abdoulaye Wade, l’ancienne maire de Diourbel a aujourd’hui presque les avantages d’un ancien chef d’Etat (4,5 millions par mois, 500 litres de gasoil, véhicules, chauffeur, garde du corps…). Quand on sait qu’elle ne s’est jamais présentée à une élection présidentielle…
Comment se rendre indispensable au sein du pouvoir ? Aminata Tall maîtrise l’art à merveille. Son départ du Cese au profit de Aminata Touré en 2019 laissait croire qu’elle en avait fini avec les privilèges du pouvoir. Mais à 71 ans, elle était devenue un «poids lourd» trop important aux yeux de Macky Sall pour rester longtemps sans portefeuille. Sa posture d’ex-formatrice de l’Ecole normale supérieure devenue Fastef, a fait d’elle une intellectuelle de premier rang au sein du Parti démocratique sénégalais (Pds). Au lendemain de la première alternance politique au Sénégal, Aminata Tall ne tarde pas à devenir l’une des figures du régime libéral. Pourtant, elle n’est pas membre fondatrice du Pds et ne milite pas dans les organisations de base. Wade l’a dénichée depuis le Canada pour qu’elle participe à la grande contestation de 1988. Mais elle ne tarde pas à prendre peu à peu le contrôle du mouvement des femmes du Pds. Lors de l’entrée du Pds au gouvernement de Wade en 1995, elle devient ministre déléguée chargée de la Promotion des langues nationales, où elle ne brille pas par son ardeur au travail.
«Aminata n’avait que Wade comme interlocuteur. Les autres n’existaient pas»
Fidèle à Me Abdoulaye, Aminata Tall n’en demeure pas moins hautaine, selon des cadres du Parti démocratique. «C’est une femme politique à l’intellect très élégant. Aminata n’avait que Me Wade comme interlocuteur. Les autres n’existaient pas. Elle regardait de haut les militantes du Pds qu’elle ne considérait même pas. Elle avait sa clique. Elle n’était pas un leader capable de fédérer les femmes», témoigne Ndèye Guèye Cissé, Secrétaire générale adjointe du Pds et ancienne députée libérale. Sa venue au Pds a fait tanguer le navire libéral entre légitimistes sous la houlette de Awa Diop et intellectuelles dirigées par la dame du Baol. Une situation qui oblige Me Wade à la nommer Secrétaire générale des femmes derrière la présidente Awa Diop.
Aminata Tall, c’est aussi la force des idées qu’elle défend devant même le président de la République. Qu’il s’appelle Abdoulaye Wade ou Macky Sall. «Je l’ai vu plusieurs fois en contradiction avec le président Wade lors de nos réunions politiques. Aminata a le courage de ses idées. Elle ne tremble devant personne. Elle faisait partie des rares personnes à dire non au Président Wade», reconnaît Thierno Lô, ancien ministre sous Wade. Dans un monde politique où il faut passer par la case parrainage pour accéder au sommet, elle préfère faire cavalier seul. Elle n’hésitait pas à critiquer les actions de Idrissa Seck ou de Macky Sall.
«Elle a refusé que Macky nomme les membres de son cabinet au Cese»
Un ancien du Pds, actuel membre de la majorité, raconte que Aminata Tall refusait de déférer à la consultation des Premiers ministres Idrissa Seck ou Macky Sall. «Elle disait que c’est à Wade de la choisir comme ministre et non des seconds couteaux comme Macky Sall ou Idrissa Seck», rappelle Ndèye Guèye Cissé. Maire de Diourbel de 2002 à 2009, Aminata Tall ne pouvait se satisfaire de son rang de ministre d’Etat qu’elle doublait avec d’autres stations ministérielles (Femme, Collectivités locales). Elle échoue plusieurs fois à se faire choisir comme Première ministre par Wade. Après 9 ans dans le gouvernement, l’ex-ministre de la Femme est nommée en 2009 Secrétaire générale de la présidence. Mais ses militants réclament qu’elle soit la deuxième personnalité de l’Etat. Pourtant, c’est Pape Diop qui est choisi par Me Abdoulaye Wade pour diriger le Sénat. C’est le revers de trop. En 2011, Aminata Tall quitte le régime deux ans après avoir perdu la mairie de Diourbel au profit de son rival socialiste feu Jacques Baudin.
Avec toujours sa verve, l’ex-ministre d’Etat ouvre le feu sur son ex-mentor, Abdoulaye Wade, le qualifiant d’«ingrat» et d’«imposteur». Un an plus tard, à la faveur d’une alliance avec Macky Sall, elle retrouve la station de Secrétaire générale de la présidence. Elle se charge de la traque des dignitaires de son ancien parti, relativement à des meubles de la Présidence qui auraient disparu. Mais chassez le naturel, il revient toujours au galop ! Même en tant que collaboratrice du président Sall, Aminata Tall ne compte pas se faire piétiner ou jouer au béni oui-oui. «Lorsque Macky Sall l’a mise à la tête du Conseil économique, elle a refusé que le Président nomme les membres de son cabinet. Elle a mis sa démission en balance et finalement Macky a cédé», souffle un proche. Née en 1949, Aminata Tall est au crépuscule de sa carrière politique. Elle ne pèse plus rien dans son fief à Diourbel. Mais sa personnalité et son aura continuent de faire d’elle une figure du paysage politique. Et ça, Macky Sall ne l’oublie pas.