De l’anomie républicaine

par pierre Dieme

Quelle est donc l’opportunité du décret brandi par Yakham Mbaye qui, aux yeux de l’opinion, n’a pas plus de dignité que le premier décret «faux» du même numéro comportant les émoluments du président honoraire ?

Le chef de l’Etat a accordé le titre de présidente honoraire du Conseil économique social et environnemental (Cese) à Aminata Tall qui a dirigé l’institution depuis sa création en 2013 jusqu’à son remplacement par Mme Aminata Touré. Avec Famara Ibrahima Sagna, ils sont désormais deux à porter le titre et à disposer de ce statut particulier.

Est-il besoin de rappeler que Famara Ibrahima Sagna est président honoraire du Cese depuis l’arrivée de Me Wade au pouvoir et à ce titre, il bénéficie déjà de tous les avantages tant pécuniaires qu’honorifiques qui vont avec le statut. On sait depuis le philosophe français Montesquieu que la République a ses convenances, ses logiques souvent guidées par la politique et donc forcément ses mystères difficiles à dénouer et inaccessibles à la compréhension du citoyen lambda.

Des sources dignes de foi recoupées à plusieurs strates confirment que Famara Ibrahima Sagna jouit bel et bien de son statut de président honoraire du Conseil économique, social et environnemental (Cese) que lui avait conféré Me Abdoulaye Wade et bénéficie en conséquence, de tous les avantages liés à ce statut.

II en sera désormais ainsi pour Aminata Tall qui dispose, en plus de ses pensions diverses, d’un traitement gargantuesque, après avoir été pendant plus de 40 ans au sommet de l’Etat, d’abord comme député, ensuite comme ministre, maire, ministre d’Etat et présidente du Cese. Telle est la volonté du président de la République, chef de l’Etat, chef suprême des armées.

S’il est vrai qu’en vertu du pouvoir que lui confère la Constitution, il peut nommer à tous les pouvoirs civils et militaires, il se pose tout de même un sérieux débat de fond et de forme sur l’opportunité d’une telle mesure dans un contexte où les Sénégalais ont décidé de consentir des efforts énormes dans la lutte contre le covid-19. Elles sont en effet nombreuses les catégories socioprofessionnelles à endurer la souffrance au quotidien du fait des restrictions de leur liberté. Le secteur informel est dans son ensemble paralysé, les gorgolou résignés, mais républicains dans leur attitude qui consiste à accepter toutes les mesures édictées, quitte à se nourrir d’eau et de pain.

Sur la forme, il se trouve que le décret 2020-964 visé dans l’acte de nomination de Aminata Tall est une erreur administrative et donne l’impression d’une anomie républicaine. Et pour cause, le Journal Officiel (JO) ne fait toujours pas mention de ce décret. Même celui qui a été exhibé par le directeur du quotidien «Le Soleil» et responsable Apr, Yakham Mbaye dans son entretien avec Dakaractu quoique quasiment identique à celui démenti auparavant par Mohamed Dionne et Seydou Guèye dans le communiqué de la présidence, n’est pas dans le JO. Seul l’alinéa relatif aux avantages du président honoraire les différencie.

Dans le fond, pourquoi viser un décret non encore officiel (2020-964) alors que le règlement intérieur du Cese approuvé par le décret 2013-732 prévoit la nomination d’un ancien président au titre de président honoraire. Quelle est donc l’opportunité du décret brandi par Yakham Mbaye qui, aux yeux de l’opinion, n’a pas plus de dignité que le premier décret «faux» du même numéro comportant les émoluments du président honoraire ? Autant dire que nous sommes en face d’un imbroglio qui ajoute à la confusion. Aujourd’hui, beaucoup de Sénégalais sont convaincus qu’avec sa nomination, Aminata Tall aura droit à 4,5 millions Fcfa de salaire net, un garde-du-corps, un véhicule, du carburant, etc. Au nom de quoi doit-elle bénéficier d’un tel traitement auquel aura sans doute droit l’actuel président du comité d’initiative du Dialogue national, lui aussi président honoraire du Conseil économique et social ? Qu’ont-ils de mieux que les anciens présidents de l’Assemblée : Mamadou Seck, Pape Diop, Youssou Diagne.

Autre incongruité, d’après des sources sûres, le bureau du Cese n’a jamais été saisi pour valider en plénière la désignation de Aminata Tall comme présidente honoraire tel que prévu par le règlement intérieur. Visiblement, cette mesure a été faite à l’insu du Cese et conforte beaucoup de son caractère inique et scélérat de portée personnelle dont le dessein est d’assouvir les désidérata d’un individu : Aminata Tall. Les mystères de la Républiques sont certes insondables, mais Macky Sall devrait mesurer la portée d’une telle mesure qui déchaine des passions et désole même ses plus grands thuriféraires.

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