Préparatifs pour la Korité : Ambiance froide dans les marchés de Dakar

par pierre Dieme
Alors que la fête de la Korité approche à grands pas, l’ambiance froide notée aux marchés Castors et Grand Dakar, ne présage guère de grandes festivités pour la fin du jeûne chez les Musulmans de Dakar. Pourtant, le marché est bien approvisionné : poulets, viande, pomme de terre, oignons, bref les produits les plus convoités pour préparer des mets délicieux sont en abondance avec une légère hausse des prix pour certains. Le seul hic, c’est que les marchandages ne sont pas encore au rendez-vous entre clients et commerçants. Quand bien même ces derniers nourrissent encore l’espoir de vider leurs stocks avant la fête.
 
IL est 10h passé au marché au marché Castor. A quelques encablures de la Korité, l’engouement n’est pas au rendez-vous dans ce marché traditionnel. Comparé à leur décoration d’antan, les allées sont aérées, les boutiques peu envahies, le déplacement censé être pénible en temps de fête est loin d’être le cas et les vendeurs déjà en possession de leurs marchandises attendent en vain l’arrivée de potentiels clients. Juste à la première ruelle du marché, un magasin imposant de par ses sacs de pomme de terre et oignons empilés de part et d’autre de la porte d’entrée attire notre attention. Calculatrice à la main, le jeune Khadim, gérant des lieux, témoigne déjà de la rareté des clients «Hi, cette année-ci est très particulière, la vente de nos articles évolue en dents de scie. La plupart des clients qui passent se contentent seulement de demander le prix », avance le jeune homme. Interrogé sur le prix actuel des condiments, il lâche : « En ce qui concerne la pomme de terre, le sac s’échange à 8500 F l’unité et le détaillant le revend à 400 F le kilo au lieu de 300F, soit une hausse de 100F. Pour l’oignon, le prix est resté constant, le sac coûte 6500 F et le détaillant le revend à 300 F le kilo. Le bidon d’huile avoisine le coût de 18000 jusqu’à 175 00F et 1000F le litre. Le sac de riz parfumé est à 22000F, soit 500F le kilo » renseigne-t-il. Avant de renchérir : « les prix sont presque restés constants a part la pomme de terre qui est très difficile à conserver. En plus, on nous les vend très cher», explique-t-il. Mis à part cette légère flambée, il est aussi crucial de signaler l’absence d’oignons et de pommes de terre importé, en raison de ce contexte épidémiologique et la fermeture de la plupart des frontières. Presque indispensable dans les plats concoctés, les condiments (ail, poivre, moutarde, vinaigre) utilisés pour relever le goût de la cuisson ne sont pas aussi en reste, « les consommateurs peuvent se rassurer d’ores et déjà de leur disponibilité, ils sont en grande quantité dans le marché », rassure le boutiquier Lama Baldé. Et de préciser : « L’ail avoisine ainsi les 2000 F le kilo tandis que le poivre s’échange à 6000 F, c’est pourquoi les clients préfèrent acheter en détail, selon leurs besoins » arguet-il.

 AU PACK GUINAAR, LES VENDURS TOURNENT ENCORE LES POUCES 

Un détour dans les profondeurs des ruelles et des étals nous mène à la place réservée strictement à la vente de poulets, communément appelé au marché Castors « Packou guinaar». Le lieu qui, en pareille période, grouillait de monde est aujourd’hui plongé dans une ambiance morose. On entend aisément les chants des coqs mêlés aux bribes de paroles des rares clients venus pour la plupart pour constater et marchander le prix des coqs. Même si au Sénégal, le poulet demeure la viande par excellence à consommer durant cette fête, la situation pour l’instant s’avère tout autre. Et le vieux Dramane, vendeur depuis plus de 30 ans, contesterait sûrement aujourd’hui la continuité de cette tradition alimentaire à cause du renversement de la situation. Interrogé sur la vente de poulets durant cette fête qui semble être leur période de traite, il lâche de manière désintéressée : « tu vois, il y a suffisamment de poulets dans ce marché, il est même difficile de se frayer un chemin à cause du bon nombre, en plus ils ne sont pas chers. Pourtant, je n’arrive pas à en vendre plus de 20 par jour. A ce rythme, il n’y aura pas moyen d’écouler nos marchandises» se plaint-il. La même complaisante est notée chez son interlocuteur d’à côté, visiblement à fleur de peau. Visage en colère, il répond sèchement à une cliente, en train de marchander : « il n’est pas question que je diminue, ne serais-ce qu’un franc de ces 3000 F. L’aliment que je donne à mes poulets, on ne me les offre pas». Interrogé sur les prix , il lance : « Bon, le prix n’est pas fixe, ça dépend du volume et de le nature du poulet. S’il s’agit du poulet de chair appelé communément poulet d’élevage, ce n’est pas du tout cher. Je vends celui qui pèse 2 kg à 2500F, celui de 2 kilos 500 à 3000 F. A côté, il y a le poulet local communément appelé poulet du pays, c’est plus cher. Le prix varie entre 3 500 à 7000 F. Vraiment, il y en a pour toutes les bourses», informe-t-il.

LA VIANDE AUSSI INTROUVABLE QUE CHERE


 Il est 12 h au marché Grand Dakar. Le lieu, autrefois mouvementé en période de fête, magique et festive, ne semble plus renvoyer les mêmes vibrations et reste encore bien froide. Il est même difficile de savoir que la fête de Korité approche à grands pas. Rares sont les magasins qui se parent de monde. Abdou Dieng, le vendeur de viande trouvé en bordure de route est entouré seulement de 3 clients qui sont d’ailleurs en plein marchandage et visiblement indisposés par les mouches. Par contre, si l’on s’en réfère aux dires du jeune vendeur, il faudra obligatoirement casquer fort pour se procurer de viande cette année. « C’est très cher et introuvable, je pense que c’est normal vu les conditions dans lesquelles nous vivons actuellement avec la pandémie. Il n’y a plus possibilité de voyager d’autant plus que la quasi-totalité du bétail nous vient du Mali et des autres régions des profondeurs du pays. Raison pour laquelle la plupart de nos activités sont en ralenti» explique-t-il. Avant de renchérir : « le kilo de viande de mouton est actuellement à 4300, 4500F et le prix de la viande de bœuf est à 3200 le kilo. Oui, j’avoue, c’est trop salé même pour nous qui le vendons».

LES MACHINES A MOUDRE PAS ENCORE EMBOUTEILLEES 

Les machines à moudre, tout comme pour les autres activités tardaient aussi à démarrer les activités festives. Chez Camara, ce n’était pas encore la grande bousculade et les longues files d’attente. Juste une dame qui se fait moudre son seau de mil. « Ils viennent petit à petit comme tu peux le voir. Espérons qu’ils viendront en masse pour ces derniers jours. Nous savons tous que les Sénégalais aiment les derniers moments mais juste à part la pression, il n’y a pas de problème. Nous sommes là pour les servir» argue-t-il. Pour la préparation du lakh (bouillie de mil), les ménagères n’ont pas besoin de paniquer, selon Camara. « Le prix du mil n’a pas du tout grimpé et le kilo est échangé à seulement 350 F. Pour le prix du moulage, il se fait contre une somme méridienne partant de 25 F et variable, selon la quantité », révèle-t-il.

LE SENEGALAIS, ADEPTE DES DERNIERS MOMENTS 

Pour éviter de choper le virus, protéger ses enfants et se confirmer aux mesures édictées par les autorités, Ami Bakhoum prévoit de passer la fête à Dakar avec sa petite famille. Ainsi, pas besoin de précipitation pour se lancer aux courses de la Korité, elle dit préférer attendre la veille ou plutôt vendredi pour s’y lancer. «D’habitude, les années précédentes, je faisais déjà les courses à cette heure parce que je devais voyager souvent Jour j-2. Mais, cette année, je fais la fête en petite famille avec mes enfants et mon mari donc inutile de me stresser. J’attends juste samedi pour effectuer mes courses. Je me suis déjà renseignée sur les prix, j’attends juste le moment venu pour le marché », a-t-elle déclaré. Foulard noué négligemment, front ruisselant de sueur témoignant sûrement de la faim mêlée à la fatigue imposée par la diète du Ramadan, mère Tiguida est venue comme d’habitude faire ses courses pour le repas quotidien. Pour la fête, elle préfère attendre encore et pour cause, elle soulève la promiscuité de sa demeure et la cherté des produits. « Je suis venue pour le repas du soir mais je ne sais même pas quoi acheter à cause de la cherté des condiments. Ouf, la priorité en ce moment est d’assurer les repas du soir. Pour les courses de la fête, non seulement je ne suis pas financièrement prête mais aussi je vis en location. L’espace est tellement étroit que je ne pense pas acheter des marchandises et les étaler là-bas. C’est juste impossible», se désole-t-elle. Pour dire que le marché vogue à la dérive, en cette veille de Korité en mode Covid-19.

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