La gestion gouvernementale du covid ou la politique de l’absurde Depuis le 2 mars , date de la connaissance du premier cas covid dans notre pays , on peut constater les contradictions entre les proclamations théoriques du gouvernement et les déclinaisons opérationnelles de la lutte contre la maladie. Nous essayerons d’illustrer nos propos en exposant quelques unes des mesures prises dans le cadre de cette lutte et en montrant comment elles heurtent ou même contredisent les principes et objectifs stratégiques proclamés par l’Etat . L’instrument financier de cette lutte est le fonds dénommé “ force covid 19” d’un montant de 1 000 milliards dont les différentes composantes ont été déclinées par le chef de l’Etat dans une adresse solennelle à la nation . Il s’en est suivi une série de mesures comme le vote par l’assemblée nationale d’une loi d’habilitation permettant au chef de l’Etat de légiférer par ordonnances dans des domaines relevant de la loi . C’est ainsi qu’à été déclaré l’état d’urgence sanitaire et qu’un couvre-feu a été institué de vingt heures à cinq heures du matin . Un confinement à géométrie variable a été mis en place : fermeture des frontières , des lieux de cultes , des bars , des restaurants , des universités , lycées , collèges et écoles ; fermetures intermittentes des marchés ; restrictions géographiques et limitation du nombre de passagers dans le transport public ; interdiction des cérémonies et rassemblements publics. Au plan sanitaire , les autorités ont fait l’option d’un dépistage ciblé vers les cas dits contacts et depuis peu vers ceux dits communautaires avec la flambée de cette forme de transmission et la mise en quarantaine des suspects . Ces mesures indiquent bien que l’orientation stratégique de l’Etat est d’éviter une propagation de la maladie . L’on sait que d’autres pays ont fait des choix stratégiques différents , comme par exemple le dépistage de masse . Mais si les stratégies peuvent être différentes , les spécialistes s’accordent au moins sur un point : la nécessité de la cohérence par le respect des contraintes propres à chaque stratégie . Nous ne reviendrons pas sur les détails en chiffres du fonds dédié , de peur de vous encombrer inutilement . Nous tenons tout de même à rappeler notre position exposée dans Dakartimes du 31 mars 2020 et qui se résume pour l’essentiel au dépistage de masse et à la poursuite de l’activité économique dans le respect strict des gestes barrières comme le port de masque et l’utilisation des gels hydro- alcooliques . Commençons donc par présenter quelques idées qui montrent les incohérences entre les proclamations stratégiques et la démarche opérationnelle : ⁃ le premier constat , du reste très surprenant , est la modicité de la somme allouée à la lutte contre l’épidémie ( 64 milliards sur une enveloppe de 1 000 milliards ). Si l’objectif stratégique numéro un est d’arriver à vaincre la maladie , le poste de dépense qui lui est consacré devait être naturellement le plus important de tous . Cette exigence vaut plus au regard de l’état de nos infrastructures de santé , des conditions objectives dans les quelles se trouvent les personnels de santé et de la faillite de l’industrie pharmaceutique nationale ⁃ la dépense par personne confinée , dans des réceptifs hôteliers , de cinquante mille francs , pendant au moins deux semaines , est une mesure inconcevable et déraisonnable dans un pays pauvre comme le Sénégal ; surtout que le nombre croît de jour en jour dans des proportions considérables ⁃ les mesures du chef de l’Etat annoncées le 11 mai et allant dans le sens d’un relâchement des restrictions, à un moment où la maladie se propage de manière fulgurante , traduit une volte-face par rapport à l’orientation stratégique prônée jusqu’ici. Avoir dépensé ou prévu de dépenser une somme astronomique en guise de compensations de pertes subies ou à subir ou en soutien à des ménages et entreprises , à cause d’un confinement qui n’a pas produit les résultats escomptés , relève d’un manque de cohérence . Ou on confine et on compense et soutient du fait du ralentissement de l’activité économique , mais dans la recherche de l’atteinte de l’objectif sanitaire d’enrayer la progression du virus ou on libère l’activité économique dans le respect des gestes de prévention mais sans casser la tirelire comme a eu à le faire l’Etat . Il faut d’ailleurs signaler que le choix de la poursuite de l’activité économique ne signifie pas un pari sur l’immunité collective . Il est plutôt fondé sur la responsabilité individuelle et collective ; d’où l’importance qui est accordée aux mesures barrières . Ici , on n’est ni dans l’un ni dans l’autre scénario . Un mélange de genres est- on tenté de dire . L’on peut légitimement s’interroger sur les raisons de ce changement brusque et inattendu . Est-il d’ordre paradigmatique ? Le résultat de pressions exercées par des forces socio-religieuses ? Le ressenti par l’Etat des moins values budgétaires causées par le ralentissement de l’activité économique ? La peur que la grogne sourde d’une frange importante de la population qui s’active dans le secteur informel ne se transforme en sédition ? De notre point de vue , le poids différentié ou cumulatif de ces facteurs semble plus déterminant dans la prise de ces mesures présidentielles que toute raison liée à un changement de paradigme . Les positions sur cette question de la doxa médicale nous édifieront les jours à venir . ⁃ quant à la communication gouvernementale , elle paye le tribut du pari infructueux qu’à force de répéter l’argument de la dangerosité de la maladie , il finit par être accepté par le grand nombre . Or , quoi qu’on puisse dire ou penser , cette maladie se révèle plus meurtrière ailleurs que sous nos cieux . Cette conception d’une communication de la “seringue hypodermique “ ne donne pas les résultats attendus au regard des comportements relatés dans les réseaux sociaux et qui sont de nature à banaliser la maladie. Si on devait tirer un bilan d’étape de la gestion du covid au regard de l’objectif stratégique , il serait indubitablement négatif , vu l’ampleur actuelle de la maladie. L’on peut cependant se consoler du bilan thérapeutique au regard du taux de guérison honorable et du bas taux de mortalité . En attendant la suite des événements , les multiples problèmes de transparence soulevés dans la gouvernance du fonds et les difficultés logistiques apparues en plein jour pourraient être dérisoires , comparés à ceux qui pourraient provenir de la gestion des autres composantes du fonds ( fonds de remises fiscales , fonds de crédits ou de garantie et autres dont les mécanismes opératoires ne sont pas encore définis ) . Dans tous les cas, en prenant l’option d’élargir les voies d’accès au lieu de colmater les brèches, le pouvoir ne fait – il pas le pari risqué d’un naufrage général de nos structures de santé qui pourraient se voir submergées par les vagues d’une flambée de l’épidémie . Non , je ne ferai pas le pari , tout aussi risqué , de répondre à la place de l’histoire .
Dakar , le 15 mai 2020
Cheikh Gueye , Expert fiscal ,Inspecteur des Impôts et des Domaines à la retraite