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Selon le Docteur en Science politique, Maurice Soudieck Dione, la décision du président de la République d’assouplir les premières mesures de restrictions face au nouveau coronavirus s’inscrit dans une démarche visant à éviter l’ouverture d’autres fronts pour le gouvernement. Cependant, l’Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis est d’avis qu’ « Avec les nouvelles mesures, c’est toute la stratégie gouvernementale qui est chamboulée », reposant par suite la nécessité d’un Premier ministre dans l’appareil gouvernemental. Quand bien même, par certains de leurs côtés, ces nouvelles mesures d’assouplissement ont tant soit peu écorné l’image de l’autorité de l’Etat, avec les tribulations autour du rapatriement des Sénégalais décédés de Covid-19 à l’étranger. Si elles n’ont pas montré tout simplement avec la controversée décision de réouverture des lieux de culte que « le chef de l’État ne peut pas régir les affaires spirituelles » |
«LE PRÉSIDENT A CHOISI L’OPTION DE NE PAS OUVRIR INUTILEMENT D’AUTRES FRONTS, CAR LE SEUL ENNEMI A COMBATTRE, C’EST COVID-19» L’option du Président d’assouplir les mesures peut être compréhensible. Il affirme dans son discours du 11 mai : « Dès l’apparition de la pandémie dans notre pays, j’ai donné instruction au Gouvernement de définir et mettre en œuvre une stratégie adaptée à nos réalités économiques, sociales et culturelles. C’est pourquoi, en lieu et place du confinement, nous avons opté pour des mesures restrictives visant à limiter la circulation du virus». Dans cette perspective, arrêter ou ralentir fortement les activités économiques peut avoir des conséquences néfastes sur l’ensemble de la communauté nationale. D’autant plus qu’il y a seulement 400 000 salariés du public et du privé sur 16 millions de Sénégalais et que le secteur informel compte près de 97% de la population active. Dans ces conditions, il est suicidaire de prolonger les mesures restrictives de circulation et d’activités avec tous les risques que cela comporte pour la survie de beaucoup de ménages. Une telle situation peut susciter des révoltes. Les pressions pour la réouverture des mosquées également auraient pu dégénérer, car le domaine de la foi est un peu plus sensible. Le Président a donc choisi l’option de ne pas ouvrir inutilement d’autres fronts, car le seul ennemi à combattre, c’est Covid-19. Mais là où le bât blesse, c’est au niveau de la communication, précisément à travers deux aspects essentiels : la cohérence et la congruence. La cohérence, c’est le rattachement logique et diachronique des différents éléments de la communication en une totalité et une unité de sens. La congruence, c’est l’orientation de toutes les formes de la communication, verbale, para-verbale et non verbale (les mots, la voix et les attitudes) vers une unité de but, vers la même finalité de construction et de consolidation du message. «LA RÉOUVERTURE DES LIEUX DE CULTE MONTRE… QUE L’ÉTAT NE PEUT PAS RÉGIR LES AFFAIRES SPIRITUELLES» Au demeurant, les rapports entre le politique et le religieux sont extrêmement sensibles, car l’État parce qu’il est laïc n’a pas une légitimité sur le plan spirituel, et c’est ce qui lui permet d’assister, de protéger et de promouvoir de manière égalitaire les différentes religions et communautés religieuses. Dans le domaine proprement religieux qui n’est pas le domaine temporel de l’État, celui-ci est obligé de négocier avec les communautés religieuses, et de ce point de vue, cela ne me semble pas être une faiblesse. Car de toute façon, vouloir imposer la volonté de l’État par la force ne peut être que contreproductif et dangereux pour la préservation de la paix sociale. Pendant que l’arrêté n° 007782 du 13 mars 2020 était en vigueur qui interdisait en son article 1 toutes les manifestations ou rassemblements de personnes dans les lieux ouverts ou clos, il y a des mosquées qui ont continué à ouvrir. Après que le Président Sall a décidé de rouvrir les mosquées dans son discours du 11 mai 2020, plusieurs chefs spirituels ont décidé de garder fermés les lieux de culte car la menace n’est pas encore écartée. Cela montre tout simplement que l’État ne peut pas régir les affaires spirituelles, ce n’est pas sa vocation, mais il doit assurer la pérennisation du vivre-ensemble dans la paix, le respect et la concorde entre les différentes religions et communautés religieuses. La situation du Covid-19 est inédite en ce sens qu’elle révèle une ambivalence des décisions de l’État : ouvrir ou fermer des lieux de culte, touche à la fois le domaine temporel qui est celui de l’État et le domaine spirituel qui est celui des guides religieux. Dans une telle situation, seule l’information, la sensibilisation et la concertation permanentes peuvent permettre de trouver les solutions appropriées. Après les difficultés relatives à la gestion de la crise dans ses implications à la fois politiques et religieuses, il y a celles en rapport avec l’État de droit. «L’AUTORITÉ DE L’ÉTAT ÉCORNÉE PAR LE RAPATRIEMENT DES SÉNÉGALAIS DÉCÉDÉS DE COVID-19 A L’ÉTRANGER» En effet, le Président Sall dans son discours du 11 mai 2020 est revenu sur la décision de refuser l’enterrement au Sénégal, des Sénégalais décédés du Covid-19 à l’étranger. Le Président affirme en effet : « Ainsi, tenant compte de la forte demande de rapatriements de corps de nos compatriotes décédés du Covid-19 à l’étranger, et sur la base d’avis motivés que nous avons recueillis en ce qui concerne les conditions sanitaires, il sera désormais possible de procéder à ces rapatriements ». Or, la Cour suprême dans son arrêt du 7 mai avait débouté les requérants et le Président Sall, le 11 mai, prend le contrepied de cette décision. Je pense que c’est à ce niveau que l’image de l’autorité de l’État est écornée. Car l’autorité de l’État n’est pas seulement l’autorité du Président, qui exerce le pouvoir exécutif. En effet, aux termes de l’article 91 de la Constitution : « Le pouvoir judiciaire est gardien des droits et libertés définis par la Constitution et la loi » ; il doit donc à cette fin jouer pleinement son rôle de contre-pouvoir, de censeur et de régulateur, et non pas donner l’impression d’être une excroissance du pouvoir exécutif. Or, si les Sénégalais décédés du Covid-19 peuvent être enterrés au pays, dans le respect des mesures sanitaires nécessaires et que les Sénégalais décédés à l’étranger n’aient pas ce droit ; il y a là une rupture d’égalité flagrante. Il faut rappeler que la Cour suprême a pu tempérer l’autoritarisme du Président Senghor de 1963 à 1980, en annulant beaucoup de décisions du pouvoir entachées d’illégalité. Aujourd’hui, on a l’impression qu’il y a un recul du pouvoir judiciaire au moment où la démocratie est censée s’ancrer davantage dans le pays. «LA NÉCESSITÉ D’AVOIR UN PREMIER MINISTRE REVIENT» Avec les nouvelles mesures, c’est toute la stratégie gouvernementale qui est chamboulée. C’est un changement paradigmatique qui nécessite de revoir toute la stratégie pour éviter les contradictions. Ensuite, la nécessité d’avoir un Premier ministre revient. Car le Président est obligé d’aller lui-même au front, et il n’a ni bouclier ni fusible. Or, un Premier ministre aurait pu monter régulièrement au créneau et laisser au Président une plus grande marge de manœuvre, en lui permettant d’incarner davantage une posture de transcendance. On a vu la sortie de l’ex-Premier ministre, Mahammed Boun Abdallah Dionne, ministre d’État, Secrétaire général de la présidence de la République, dans le quotidien national Le Soleil du 13 mai 2020 pour défendre le Président Sall dans ce nouveau cap défini dans la lutte contre le Covid19. Au demeurant, si le nombre de cas augmente-ce qu’on ne souhaite pas mais l’hypothèse n’est pas à exclure pour l’analyse, le Président pourrait-il encore revenir sur les mesures ? Cela donnerait l’impression qu’il se dédit ou alors qu’il ne sait pas véritablement quoi faire, ce qui risque de plomber davantage la stratégie du Gouvernement. Sur les questions religieuses, la stratégie de communication doit davantage intégrer les guides religieux pour donner plus de force, d’autorité et de légitimité aux décisions prises. La stratégie gouvernementale doit également évoluer en intégrant davantage les leaders sociaux et les relais communautaires ; elle doit s’enrichir à devenir plus transversale et coordonnatrice, une communication plus fondée sur la coordination, l’inclusion et la circularité, plutôt qu’une communication essentiellement basée sur la hiérarchie, la verticalité, une communication dominante et surplombante qui donne l’impression d’infantiliser les cibles |