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L’adresse à la Nation du lundi 11 mai dernier a vraisemblablement poussé à une certaine levée des boucliers, un peu partout, soit pour fustiger les nouvelles mesures prises par le chef de l’Etat, Macky Sall, soit pour refuser de les mettre en pratique, au vu de la situation actuelle de la pandémie dans le pays. De toutes ces controverses toutefois, la décision portant sur l’ouverture des lieux de culte caracole en tête, mettant ainsi à l’épreuve le rapport symbiotique entre les pouvoirs temporel et spirituel qui a fortement prévalu dans ce pays dit laïc. |
L’adresse à la Nation du chef de l’Etat, Macky Sall, le lundi 11 mai dernier, a ceci de particulier qu’il a réussi à provoquer une levée de boucliers sans précédent, depuis le début de la pandémie au Sénégal. En effet, les critiques des nouvelles décisions d’allègement des restrictions par Macky Sall ont fusé de partout. La classe politique, surtout les adversaires au régime en place, tout comme certains membres de la société civile, ont manifesté leur profond désaccord concernant cette nouvelle stratégie d’adaptation à la présence du virus retenue par les tenants du pouvoir. Ils sont nombreux à fustiger, pour diverses raisons toutes aussi valables les unes que les autres, le réaménagement de l’horaire du couvre-feu, l’ouverture des marchés hebdomadaires appelés “Louma“, la reprise des enseignements pour les élèves en classe d’examen. De toutes ces nouvelles mesures qui ont suscité un tollé, celle relative à l’ouverture des lieux de culte occupe cependant une place de choix. Que ce soit la Mosquée Omarienne, Tivaouane, la Grande Mosquée de Dakar, la famille feu Madior Cissé de Saint-Louis, ou encore l’Eglise catholique, tous ont décidé de maintenir fermer leurs lieux de culte. Ils brandissent à l’unanimité l’argument selon lequel les motifs pour lesquels les lieux de culte avaient été fermés sont toujours là et en pis, avec l’aggravation du nombre de cas positifs et de décès de Covid-19. Un semblant de désaveu pour le chef de l’Etat venant de certains religieux quand on sait que, des indépendances à nos jours, l’Etat et les hommes politiques se sont toujours appuyés sur les chefs religieux pour conquérir et exercer le pouvoir. Mieux, les chefs religieux ont toujours servi d’adjuvants à l’Etat pour mettre en œuvre ses politiques économique, sociale et même culturelle. L’on se rappelle que le premier président du pays, feu Léopold Sédar Senghor, avait réussi à bénéficier de l’appui de l’essentiel des chefs religieux durant son magistère. Son successeur, Abdou Diouf, n’en fera pas moins, même s’il est parvenu à garder une relative neutralité quant à son appartenance confrérique. Cela, contrairement à son suivant, Me Abdoulaye Wade qui s’est carrément affiché comme un président talibé. Quant au président Macky Sall, tout au début de son magistère, il avait considéré et qualifié les marabouts comme des citoyens «ordinaires», même s’il leur reconnaissait leur rôle de modérateurs et leur influence sur la société sénégalaise. Il a été obligé de reconsidérer le statut des religieux, à la veille des Locales de 2014, prenant conscience de l’impact politique et social des religieux sur son magistère. Pour ainsi dire, malgré son statut de République laïque, le Sénégal s’est toujours particularisé par une forte collaboration entre le religieux et le politique. Cette décision de certains guides religieux de maintenir encore fermer leurs lieux de culte, ramant ainsi à contre-courant de la nouvelle mesure prise par le président Macky Sall, porterait-il un sacré coup au rapport temporel et spirituel, ou à l’image du chef de l’Etat ? En attendant de savoir ce que l’avenir réserve à ce niveau, une chose est sûre : il ne sera pas aisé pour Macky Sall de sauver les meubles, s’il parvient déjà à digérer la pilule. |