La période que nous vivons depuis le mois de mars est absolument inédite. C’est un moment d’urgence sanitaire mondiale dans lequel nous a plongé un virus mystérieux, voyageur sans papier, fiché partout, mais qui a fait le tour du monde, immigré clandestin ayant plus que le don d’ubiquité. Face à cette situation, la classe politique, celle au pouvoir comme celle de l’opposition, dont le seul horizon est la prochaine élection, s’est retrouvée projetée sur un terrain qu’il fallait éclairer. Et puisque la « déclaration de guerre » avait été annoncée dans un discours aux intonations martiales, il fallait demander conseil aux experts. De la même manière qu’il sollicite l’avis des stratèges militaires, en période de guerre et/ou de crise, c’est au Président de la République, Chef des Armées, à qui revient la décision finale de signer, un traité de paix, un armistice ou une reddition. Une décision, finalement politique. Le hic, est que l’ennemi est sournois, inconnu, invisible. Sur le terrain du Covid-19, les connaissances des experts, virologues, immunologistes, infectiologues, épidémiologistes, anesthésistes-réanimateurs, (qui au passage ne se sont pas exprimé d’une même voix), de qui doivent venir les informations et les stratégies pour vaincre cet ennemi, ont fini de mettre le politique face à un dilemme : tout sanitaire ou réalité sociale? Entre le spectacle du début de la crise au cours duquel l’exécutif a appelé à l’unité nationale, l’émotionnel pur et les discours convenus en pareilles circonstances, il n’a fallu que peu de temps pour que fusent les critiques sur la gestion du Covid-19, auxquelles des interventions officielles répondent pour tenter d’enrayer la défiance de plus en plus grande et de plus en plus audible de pans entiers de la société sénégalaise. Le président de la République, en cette soirée du 11 mai 2020 a-t-il été submergé par le blues du dominant, pris en étau entre cités de Dieu et cités humaines, dans une société où les références à l’histoire, aux « traditions », aux valeurs « religieuses », très souvent cosmétiques, sont évoquées régulièrement ? La décision d’un assouplissement des mesures prises ce jour-là aura-t-elle pour conséquence de terrasser cet ennemi à qui la guerre a été déclarée par l’intermédiaire de cohortes célestes, au profit d’hommes de bonne volonté, mais qui n’ont d’armes que du gel hydroalcoolique, des masques et une distanciation sociale imposée et qui plus est sont contraints, par décret, à une immobilité hiératique de 21 heures à 5 heures du matin ? Assurément cette crise va laisser des traces et obligera à de profonds changements. Même s’il est arrivé dans l’arène sanitaire en faisant un consensus autour de lui, le président de la République, n’en était pas moins vierge de mauvaise humeur citoyenne et de toute suspicion démocratique. Son bagage de soldat était déjà chargé, qui pesait lourd dans l’appréciation du traitement de la guerre au Covid-19 par le cumul délétère à son détriment de l’hostilité d’hier et du doute d’aujourd’hui. C’est ainsi donc qu’il est parti à la guerre avec s on gouvernement, tous lestés d’un passif certain (système éducatif affaissé, système judiciaire mis au service d’intérêts particuliers, clientélisme et corruption), et d’une très grande méfiance dans la gestion du fonds de guerre, plus généralement de l’argent public. En arithmétique, on dit que les soustractions s’additionnent. Covid-19 semble avoir jeté aux orties toutes les convenances et toutes les conventions d’une République laïque. La faillite de l’Etat, -bien antérieure à Covid 19, la non-réalisation de l’intégration sont-elles la cause structurelle de cette situation et l’absence d’un sentiment d’appartenance à une même Nation. Tout semble accréditer le fait que nous vivons dans un univers de fragments qui se constituent des ressources de toutes natures qu’ils mettent au service de leurs communautés, de leurs clans et/ou de leurs familles, quelles qu’elles soient. On aurait dit que ce pays se retourne sur lui-même pour s’engouffrer dans une zone où il n’y a pas/plus de bornes pour délimiter un espace où normes, droits, responsabilités, sanctions et récompenses n’ont pas/plus de signification. Dans ce no man’s land, s’est installée une culture arc-boutée sur elle-même, réfractaire aux lois que la République s’est données et qui les enfreint elle-même allègrement, prête à mordre et à aboyer contre qui sourcille ou élève la voix. Cette culture est entretenue par l’argent, les honneurs et les biens, souvent mal acquis et les pressions plus ou moins fortes dont on est capable. L’argent et les biens matériels en sont le ciment, le motif et la motivation. Certains diront on est dans le moneytheisme, qui entretient les amitiés et les querelles, consolide les alliances ou entraine leur effondrement. Les idées démocratiques dont on se gausse n’ont pas résolu le problème du partage équitable, comme celui -le dernier en date- de la distribution chaotique des vivres « remis » dans le cadre de «Force Covid-19 », qui sera suivi par l’hivernage s’installant bientôt, de celui des semences et des engrais. Dans l’un comme dans l’autre cas, il sera encore question de quotas, de rétrocommissions, de contrats non exécutés mais payés et de non reddition des comptes. Ces actes ont infiltré l’architecture des institutions, affaiblissent la République et engendrent un ras-le bol de tous ces hommes et femmes qui les posent, considérés comme des sangsues et/ou des mercenaires. Comme en temps de guerre. Covid-19 qui a mis à nu les tares que nous traînons mais qu’on cache avec le petit doigt, nous appelle cependant à un redressement qui devient urgentissime, dans un moule Etat/Société qui établisse le fonctionnement cohérent d’abord, harmonieux ensuite d’une République, aux grands enjeux captivants sans être captifs.
Calame