Le 25 Mai, dans moins de deux semaines, l’Afrique célèbre sa journée entre une paralysante pandémie et l’anniversaire du 60eme anniversaire de l’indépendance de nombre de ses États plongés dans une grande sinistrose. Pourtant, ce siècle est le sien, l’espoir est au coin de la rue…
Par Adama Gaye*
Le chaos promis n’est pas venu. Et son sol n’est pas jonché de ces millions de morts annoncés par l’alarmiste, calculateur, Secrétaire Général de l’Organisation des nations unies (ONU), Antonio Guterres, rêvant de l’avoir sous sa tutelle pour redonner un sens à son rôle. Au quatrième mois de la terrifiante pandémie du coronavirus qui humilie les pays et continents les plus puissants du monde, le paradoxe des paradoxes est que l’Afrique continue de faire montre d’une résilience qui dépasse toutes les prévisions.
Au total, selon les experts médicaux réunis dans une task-force mise en place par l’Union africaine (UA), l’instance continentale, pour traquer la courbe de la pandémie, il n’y avait au début de cette semaine que 44483 cas de contamination à travers ce continent de plus d’un milliard d’habitants. Et les morts s’élevaient à 1801. Ces statistiques, comparées à celles qui déroutent l’Amerique, l’Europe ou l’Asie, notamment la Chine, sont dérisoires même si les morts et les malades sont toujours de trop, peu importe leur nombre. Tout triomphalisme étant d’ailleurs prématuré: on ne sait encore pas l’état réel de la pandémie sur le continent. Qui peut le savoir en l’absence de tests massifs de la population africaine sans compter les bilans probablement maquillés ou les conséquences prévisibles du recours à de faux médecins pour enrichir des copains véreux?
Narratif
Quoiqu’il en soit, même si la pandémie reste plus intrigante que jamais, meurtrière, le narratif qu’elle fait de l’Afrique est celui d’un continent qui dispose de ressorts cachés, absents ailleurs, et dont on peut penser qu’ils participent de son affirmation comme la géographie où le monde post-Covid19 se fera. Elle en déterminera les grandes lignes: le reste du monde, essoufflé, sera obligé de compter avec une Afrique, nouvelle frontière du développement, terre de tous les espoirs…
Crise sanitaire ou pas, ne boudons donc pas notre plaisir. D’autant plus que, selon la sagesse chinoise, derrière chaque crise se cache une opportunité.
Celle qui paralyse en ce moment la planète entière, forcée de s’arrêter, et, pour se prémunir, de créer des distances territoires là ou elle était intimement mondialisée par le commerce et les flux d’hommes et d’argent, pose dès lors une question centrale à l’Afrique : doit elle s’inventer un destin ici et maintenant afin de revendiquer le leadership du 21eme siècle ?
Deux hypothèses, pareillement plausibles, se présentent à elle à ce tournant crucial, cette inflexion, ce basculement imposé à l’ordre international tel que nous l’avons connu depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.
Ce mouvement tectonique de la géopolitique, sur fond d’une profonde compétition économique et sanitaire, est le plus puissant que notre monde a connu et ses effets sont amplifiés par la dynamique d’une techtonique des plaques numériques qui a l’avantage de situer pour tous les enjeux sous nos yeux.
Nul ne peut dire qu’il ne sait pas. Chaque jour, comme piqués par une diarrhée scripturale et verbales, plumes et voix, sur le continent et au delà , se démultiplient pour tenter de tracer les frontières du monde de demain. Théoriquement, il n’y a pas encore de Yalta, Téhéran, Bretton-Woods qui définirent le partage et la gouvernance du monde post-deuxième guerre mondiale, ni de Charte de l’Atlantique, celle qui, en 1941, amena Roosevelt et Churchill, leaders du monde dit libre, à exiger la libération des peuples colonisés, et on n’assiste pas non plus à d’autres formes de grandes conférences antérieures comme celle de Berlin en 1884-1885 pour le partage de l’Afrique et les accords Sykes-Picot du 16 mai 1916, sur le dépeçage de l’empire Ottoman suivi de l’établissement de sphères d’influences européennes sur des terres gorgées d’or noir au Moyen-Orient.
Manœuvres
Peut-on et doit-on penser que des manœuvres sont en cours, en sourdine? Ne soyons pas des enfants de chœur. L’évidence est là : les grands pays, mis à genoux par la pandémie du Covid19, tenteront de se redéployer et de récupérer de leurs pertes en allant chercher les marges là où elles se trouvent, c’est-à -dire nulle part ailleurs qu’en Afrique.
Au 19eme siècle, c’est ce qui se fit par la baïonnette et la bible quand, par la force, en se projetant sur ses ports et ses forts, les puissances impérialistes européennes prirent le contrôle de l’Afrique.
On oublie souvent de rappeler combien elles furent aidées dans leur projet colonisateur par les cinquièmes colonnes internes, des collaborateurs actifs africains, les mêmes qui avaient été au service des négriers esclavagistes, deux siècles plus tôt…
Au contrôle physique d’antan semble désormais se substituer ce que j’appelle la colonisation consentie dans mon livre: Demain, la nouvelle Afrique (Éditions l’Harmattan).
Et il y a de quoi la craindre. Parce que d’une part, au milieu des pénuries et contraintes ailleurs, l’Afrique reste la seule région du monde marquée par des abondances en tout: dividende démographique, disponibilité de terres arables, découvertes de nouvelles ressources naturelles s’ajoutant à celles déjà , illimitées, à jour, et besoins d’infrastructures et de services inexistants nulle part ailleurs au monde.
Ce continent fait saliver. Investisseurs, industriels, impérialistes, de partout, la regardent avec les mêmes yeux de Chimene, prêts à la conquérir de gré ou de force. On se battra pour son cœur: les rivalités s’aiguisent autour d’elle. Il est temps, pour éviter de n’être qu’un objet de son histoire qui pourrait s’écrire sans son mot qu’elle mesure donc la gravité, l’importance décisive du moment présent.
Le hic, c’est que ses forces les plus vitales et ses voix les plus officielles somnolent au volant alors qu’elle entre dans un col particulièrement lourd de risques.
Qu’il y ait eu, ces trente dernières années surtout, sous l’effet d’une démocratisation dévoyée, des acteurs antipatriotiques, traîtres à la cause africaine, à la tête de maints États africains, prêts à les vendanger moyennant quelques menus avantages matériels en retour et leur maintien au pouvoir avec l’aide de parrains de l’ombre, est en effet une autre raison de craindre pour la souveraineté de l’Afrique.
Sa fragilité vient donc de l’intérieur. Ceux qui veulent la mettre sous leur coupe, dans une recolonisation d’un nouveau genre, ne s’y trompent pas. Ils s’appuient sur les bourgeois compradore, ces failles internes, sous des traits humains, et les encouragent à l’insérer sur les sentiers de sa déperdition, de sa servilité future: annulation de sa dette pour mieux s’installer à ses commandes et lui dicter leurs vues; maintien de son éclatement par le maintien des barrières tarifaires et non-tarifaires à son intégration économique, monétaire, politique ou sociale; infiltration de ses centres de décision par des forces spéciales qui peuvent procéder à l’élimination physique des voix libres et à l’orientation des choix nationaux ou continentaux, dans les gouvernements et structures d’intégration afin de les inféoder aux intérêts extérieurs; et, qui sait, déploiement de solutions médicales, notamment par la vaccination, pour imposer un malthusianisme moderne au plus dynamique, prometteur, des continents.
Enjeu des enjeux
Le temps presse. En d’autres termes, devenu l’enjeu des enjeux d’une compétition planétaire qui sera féroce, déjà en route, l’Afrique, qui a largement prêté le flanc, est sommée de retrouver ses esprits et de s’inventer un autre avenir, de jouer les premiers rôles.
Elle part hélas dans cette mission avec une multitude de handicaps dont les moindres, outre l’échec de ses leaders plus portés sur leurs gains matériels et leur enracinement pouvoiriste, portent sur l’inanité de ses élites, frappées de fatuité et de goût du luxe; l’inutilité de ses organisations de coopération, de l’union africaine aux organisations régionales, capturées par d’égocentriques officiels; ou encore l’affaissement de ses forces sociales.
Ce que permet cependant la pandémie du Covid19, en mettant à égalité toutes les géographies de la terre, soudain solidaires et mutuellement respectueuses les unes les autres face à leur impuissance générale, c’est qu’elle donne une improbable égalité de parole à tous les continents et pays du monde. L’exemple de Madagascar, par sa solution face au Coronavirus, boxant dans la cour des grands sans complexe est là pour l’attester…
C’est le moment où jamais, que les talents et compétences africains, les énergies du continent, de sa Diaspora à ses jeunes, de ses femmes, cœur de sa mémoire et socle de sa résilience, de ses terroirs profonds, ruraux, à ses savoirs religieux et traditionnels, bref toutes les forces tapies dans cette Afrique immémoriale, ont l’occasion de se mettre en ordre derrière une vision claire: faire de notre continent une terre de paix, de prospérité et de progrès au service de ses fils, et centre du monde au 21eme siècle.
Les missions pour y parvenir sont connues et toutes doivent s’orienter vers des objectifs simples, notamment pour que les enfants africains ne dorment plus le ventre creux, que leurs mamans ne soient plus angoissées par l’insécurité et la maladie, que les jeunes puissent travailler et fonder des foyers, que les peuples africains où qu’ils se trouvent cessent d’être regardés en parias de la terre…
Le 25 mai, dans 18 jours, l’Afrique célèbre sa journée. Elle célèbre la date anniversaire de la création en 1963 de sa première organisation continentale politique, l’organisation de l’unité africaine, l’ancêtre de l’Union africaine.
C’est le moment de s’élever à la hauteur des circonstances actuelles et des perspectives qui s’offrent à elle. Pour prendre date: au moment où la mort rôde, il s’agit de lui définir le futur que tous savent peut être le sien pour peu qu’elle se prenne au sérieux.
Elle a rendez-vous avec l’histoire. Une vision nous appelle à l’action. Pour en finir avec une médiocrité qui n’a que trop durée…L’heure d’être sérieux et conscient de notre puissance est venue. Refusons le destin de damnés de la terre que d’autres, inversant les rôles, veulent nous faire croire est le notre. C’est le moment de remettre les pendules à l’heure…africaine!
Adama Gaye, Le Caire 7 Mai 2020
*Auteur de Demain, la nouvelle Afrique (Éditions l’Harmattan, Paris).