Dans la longue marche de la presse sénégalaise, Sud propose à ses lecteurs de revisiter une étape marquante des luttes citoyennes en faveur du pluralisme médiatique, ainsi que la problématique d’un environnement économique plus favorable. En 2006, comme en 2020, les mêmes pratiques dolosives dans l’octroi de l’aide à la presse dénoncées aujourd’hui, donnent le sentiment que plus le temps passe, plus on recule. Du moins dans ce domaine précis
L’institution d’une aide à la presse, est née à la fin des années 80, de revendications d’un Collectif des Editeurs, composé de Babacar Touré, Sidy Lamine Niasse, Mamadou Oumar Ndiaye et Abdoulaye Bamba Diallo, qu’on appelait, les « quatre mousquetaires ». Ils éditaient respectivement, Sud Hebdo, Wal Fadjri, Le Témoin et le Cafard Libéré, qui étaient à l’époque, des hebdomadaires.
Les revendications portaient essentiellement sur des mesures structurelles, telles que la détaxe du papier-journal, (ce qui a été obtenu), un abattement fiscal pour tous les détenteurs de la carte de presse, la réduction de 50% des tarifs aériens et ferroviaires pour les journalistes en mission (Air Sénégal et Régie des Chemins de fer, sociétés d’Etat à l’époque.
Air Sénégal applique encore aujourd’hui, cette mesure), des tarifs préférentiels pour le téléphone et postaux pour les abonnements (Sonatel et Ptt), l’exonération des équipements et produits entrant dans la fabrication des journaux (ordinateurs, logiciels, consommables, équipements pré-presse, matériel de tirage…), et une répartition équitable de la publicité des sociétés parapubliques et mixtes, dont la destination exclusive aux médias d’Etat constituait une discrimination flagrante.
Une subvention d’équilibre était alors demandée, sous forme d’aide à la presse privée, sachant que l’Etat et les contribuables, subventionnaient à coups de milliards, les organes du service public. Une distinction était ainsi apportée entre les médias publics et privés. Ces derniers, pour des raisons évidentes, avaient de faibles recettes publicitaires et de faibles taux d’abonnement. Ils étaient victimes de « coulage », quand ils n’étaient pas tout simplement « piratés », parce que photocopiés, loués ou prêtés par les vendeurs notamment.
Pour faire aboutir leurs revendications, nos quatre mousquetaires avaient programmé deux actions majeures. La première était une conférence de presse tenue à l’hôtel Indépendance et à laquelle avait participé des représentants de partis politiques et de syndicats et un public venu nombreux qui avait pris d’assaut la Place de l’Indépendance.
La deuxième action consistait en une marche de protestation qui devait partir de la Place de l’Indépendance pour arriver au Palais de la République et dont l’objectif était de remettre la plateforme revendicative entre les mains du président de la République Abdou Diouf, ou de son mandataire ou des représentants de la police fortement mobilisée. Les échos de la manifestation en faveur des véritables conditions d’existence d’entreprises de presse privée et du pluralisme médiatique avaient fait forte impression.
Le gouvernement de Abdou Diouf préféra éviter la confrontation et désigna Famara Ibrahima Sagna, alors ministre de l’Intérieur, comme médiateur et interlocuteur privilégié des membres du Collectif. Des rencontres impliquant les différents responsables des secteurs concernés eurent lieu dans les locaux du ministère de l’Information. La bombe fut ainsi désamorcée par l’établissement d’un dialogue qui rompait avec la tradition de harcèlement et de répression du régime, à l’encontre de la presse privée.
De toute cette plateforme revendicative, seules la détaxe sur le papier-journal et l’aide à la presse ont retenu l’attention du gouvernement de l’époque et du législateur. En réalité, l’aide sous forme d’argent n’était pas la priorité des éditeurs qui étaient en mouvement. Ce qui était vital, c’était l’aide structurelle, les facilités qui auraient permis à une entreprise de presse, de performer, de se mouvoir dans un environnement favorable à son essor, pour mieux servir le public, être à l’abri des pouvoirs et des groupes de pression public ou privé et enfin éviter d’être à la merci des humeurs des gouvernants dans la distribution d’une obole. Des critères objectifs ont été alors définis, pour pouvoir bénéficier de l’aide en question. Ces critères étaient liés à la constitution en entreprise, à l’effectivité de l’activité, au nombre de personnels employés, au tirage et à la diffusion (pour les journaux), à la régularité de la parution, au chiffre d’affaires réalisé et le cas échéant, à l’effectivité des investissements consentis.
On se serait attendu que l’Alternance allât dans ce sens, plutôt que de tripler, voire quadrupler les montants affectés, après avoir crée par dizaine, des organes à la dévotion de ses animateurs, et qui allaient capter l’essentiel de l’aide originellement destinée à des structures qui remplissent les conditions précitées. Non seulement tous les critères ont été bafoués, mais l’aide à la presse qui avait été budgétisée en 2005, n’a pas été encore à ce jour distribuée. Pourquoi ?
La transparence voudrait qu’on nous dise ce qu’elle est devenue. A-t-elle retournée au Trésor public ? Par quelles procédures ? L’aide, au titre de 2006, d’un montant de trois cent millions (Maître avait déclaré urbi et orbi une enveloppe de 400 millions, vient de faire l’objet d’une distribution de Monsieur Bacar Dia, ministre de l’Information.
La stratégie « bacaresque » s’est jouée en deux mouvements. Dans un premier temps, une commission composée de membres du Synpics, de représentants des éditeurs, de la Primature et du ministère des Finances a été convoquée et s’est réunie pour discuter de la répartition des trois cents millions de l’aide. Dans un deuxième temps, après que tout le monde soit parti, Monsieur Dia passe par-dessus de la volonté du législateur et enjambe les décisions prises.
Il procède lui-même au partage, croyant faire preuve de « sagesse » et de magnanimité, en mettant dans le lot, des « entreprises de presse » religieuses ou politiquement correctes et partisanes proches du régime, des « feuilles » qui ne paraissent même plus (même à l’improviste ou par accident), des radios ayant moins d’une année d’existence… Monsieur Dia, « génie » ostentatoire des manifestations publiques de kung-fu a une compréhension bien originale de sa mission.
En agissant de la sorte, il pense sûrement mettre les bâtons dans les roues, de ceux qui malgré tout, réussissent, vaille que vaille, tant bien que mal, à exprimer la talentueuse diversité de leurs rédactions, souvent exemplaires et résistantes. Sa façon de penser et d’agir ne fait que conforter les vrais journalistes, reporters, investigateurs, correspondants, envoyés spéciaux des honorables organes qu’il combat, submergent de leurs vivifiantes et irréductibles qualités, la médiocrité crasse de la classe dirigeante qui, heureusement ! Ne parvient pas à les « normaliser ».
Sous le grand chapiteau du cirque gouvernemental, alors que s’ébrouent les chœurs, Monsieur Dia, ministre de l’information, -de la propagande plutôt-chef de parti, dans une infusion en attendant la fusion et à qui même la commedia dell’arte aurait reproché ses outrances, instrumentalise l’aide à la presse, sûrement pour mieux « assurer » une omniprésence espérée auprès de Maître.
Pendant qu’il est encore confit dans son propre conservatisme, croyant encore que l’information doit être unilatérale, monocolore, nous rabâchant toujours les mêmes brèves de comptoir, ancré pour l’éternité aux mêmes révérences et références wadiennes, il donne l’impression que faute de ne pouvoir comprendre la loi 96-04 du 22 février 1996, il ne l’a pas lue. La presse sénégalaise n’a jamais été aussi inventive, créative et pluraliste. Et Monsieur Dia, ignorant certainement les batailles épiques des pionniers, et l’histoire de la presse sénégalaise, lui qui est arrivé au moment de « tout est prêt, venez aux noces », ne pourra pas couper les troncs qui continuent de s’enraciner et les jeunes pousses qui sont en train d’éclore et de s’affirmer, et qu’il considère comme des « mal-pensants ».