Le Secrétaire général du Cadre de concertation des producteurs d’arachide (CCpA), et porte-parole du Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux (CNCR) analyse, dans cet entretien, les impacts du coronavirus dans le monde agricole. Joint au téléphone, Sidy Ba a accepté de s’ouvrir à «L’AS», depuis Gandiaye où il se trouvait, hier. Selon lui, la crise liée au Covid-19 n’a fait qu’aggraver la situation déjà très compliquée dans le monde rural.
«L’AS» : Le Sénégal n’est pas épargné par le nouveau coronavirus qui fait des ravages dans le monde. Comment les paysans vivent-ils cette situation aujourd’hui ?
SIDY BA : Le monde paysan n’est pas épargné. Il est d’ailleurs plus atteint que tous les autres secteurs. Plus rien ne bouge. Tout est au plat. Les lieux d’échanges sont fermés. Il n’est plus possible d’aller nulle part depuis que l’état d’urgence a été décrété. (…) Au niveau du bassin arachidier, nos crédits sont en souffrance parce que nous avons emprunté de l’argent auprès de certaines Institutions financières. En plus de préparer la campagne à venir en achetant des semences et de l’engrais, nous peinons à rembourser nos crédits de campagne et d’embouche bovine. Et d’habitude, nous parvenions à résoudre tous ces problèmes avec les bétails qu’on revendait ou le travail saisonnier dans les grandes villes et les grands centres comme Dakar, Mbour et Kaolack. Et aujourd’hui, tout ça n’est pas possible avec les restrictions liées au Covid-19. Donc le monde rural est beaucoup plus impacté que tous les autres secteurs par le coronavirus. D’autant plus que l’hivernage passé n’est pas des meilleurs. Ni l’arachide, ni le maïs, ni le mil n’ont été au rendez-vous malgré le tonnage important annoncé par les pouvoirs publics. Ces tonnages importants en arachide annoncés, en tout cas, nous paysans, nous ne le vivons pas ; nous ne le consommons pas. Je ne sais pas sur quelle base ils se sont fondés pour avancer ces chiffres. On leur laisse la latitude de le dire. Mais nous ne le constatons pas sur le terrain. Nos récoltes d’arachide n’ont pas été des meilleurs ; et nos greniers étaient déjà vides avant l’arrivée du coronavirus. Donc, le coronavirus est venu aggraver le problème que le monde rural vivait. C’était prévisible et nous avions annoncé que nous risquions de connaître la plus longue saison de soudure. Au mois mars déjà, il n’y avait plus rien dans les greniers. Le coronavirus n’a fait qu’aggraver les choses. Sans le Covid-19, nous aurions pu vendre nos moutons, nos chèvres pour acheter du riz, du mil, etc. Et tout cela n’est plus possible parce qu’on les vendait au niveau des marchés forains aujourd’hui interdits. Le Covid-19 a eu un impact fort négatif en milieu rural. Et même les cultures de contresaison qu’on pratiquait dans les bas-fonds ne trouvent plus preneur. On ne peut plus les vendre à Kaolack, à Fatick ou Kaffrine. A Dakar, n’en parlons plus, les hôtels, idem. C’est comme si on disait : « Paysans, ne bougez pas, restez chez vous et attendez sans rien en retour ! » C’est vraiment révoltant.
Est-il possible d’évaluer le niveau des dégâts actuels ou en vue au niveau du monde agricole ?
A mon niveau, je ne peux pas évaluer. Mas les dégâts sont énormes. Les impacts financiers peuvent être donnés avec précision par les experts en économie rurale. Mais je sais que c’est à coût de milliards de francs CFA. Les cultures de contre-saison sont autant affectées, notamment les oignons cultivés dans la vallée à milliers de tonnes et les fruits et légumes au niveau des Niayes. Les milliers d’animaux en stabilisation ne trouvent pas preneur. A la limite, on pouvait fermer les marchés à dimension sous régionale comme celui de Diaobé et laisser fonctionner les marchés locaux tout en promouvant le lavage des mains, la distanciation sociale et sensibiliser davantage les gens. Il est indécent de priver les paysans des marchés quotidiens sachant qu’à pareil moment, les champs ne sont pas exploitables. A Kaolack, les marchés s’ouvrent de 7 heures à 14 heures. Dans le monde rural, les marchés forains sont fermés depuis bientôt deux mois. Pourtant, à Dakar, les marchés ne sont pas fermés.
L’Etat a commencé à distribuer des denrées aux ménages les plus démunis, notamment ceux du monde rural, pour faire face aux effets du Covid-19. Pensez-vous que c’est ce dont les populations rurales ont le plus besoin aujourd’hui?
(…) Il est évident que c’est une infime minorité des populations rurales qui va en bénéficier. Alors qu’aujourd’hui, les greniers sont déjà vides. Je pense que de manière démocratique, si on voulait aider les gens, il fallait tout simplement subventionner les denrées de haute consommation. Autre chose, si on regarde bien les kits, on y voit des pâtes qu’on ne consomme pratiquement que lors des fêtes. Ils n’ont pas aussi mis d’oignons qu’on retrouve dans tous les plats pratiquement ; alors qu’il y en a qui pourrissent au niveau de la vallée. (…) Il fallait penser et repenser tout ça avant de poser le moindre acte. J’en veux présentement au président de la République qui a consulté tout le monde sans nous, les organisations paysannes. Aucune plateforme du secteur n’a été reçue par le chef de l’Etat comme cela a été fait avec les hôteliers, les rappeurs, les partis politiques, etc. Ils disent avoir démarré la distribution aujourd’hui (Ndlr : hier) ; mais ici à Gandiaye, je n’ai vu aucune graine de riz distribuée. A moins que cela soit fait à mon insu.
A vous entendre parler, la situation est très grave dans le milieu rural. Quels risques courent nos pays du point de vue de la sécurité alimentaire ?
La sécurité alimentaire ; il faut la concevoir en y impliquant les acteurs du monde agricole. On ne peut rien faire sans nous. Tout ce qui est fait pour nous, sans nous, est contre nous. Le Covid-19 devrait servir de leçon à nos Etats. Et le président de la République a dit que nous devons produire pour nourrir le Sénégal. Ma conviction, c’est que les Sénégalais doivent nourrir les Sénégalais. Je pense qu’il nous faut une politique agricole bien réfléchie et bien pensée. Il ne faut pas que les technocrates se retrouvent dans les ministères et réfléchissent à notre place. Ils doivent nous associer à cette réflexion. Il faut qu’elle soit inclusive et que tous les segments, toutes les plateformes paysannes puissent donner leur point de vue. Le Président a parlé d’un PSE-Vert. Pourquoi ne pas inscrire la réflexion dans le cadre du PSE-Vert tout en sauvegardant l’environnement pour les générations futures et tout en restaurant ce que nous avons de plus cher. Il s’agit de la base productive qui est la fertilité des sols avec les moyens qu’on a pour booster les productions à savoir : favoriser l’utilisation de la chaîne organique, les composts, et encourager les bonnes pratiques politiques pour produire plus et mieux. Il ne faudrait pas privilégier une agriculture productiviste et utilisatrice d’engrais et de produits pouvant détruire notre environnement et notre écosystème. La preuve, l’utilisation abusive et intensive d’engrais au niveau de la vallée rend les terres de plus en plus infertiles. Au niveau du bassin arachidier ; c’est idem. Ce qui fait que les gens aujourd’hui ont tendance à aller vers le sud là où les terres sont plus ou moins bonnes. (…) Il faut qu’on ait les pieds sur terre et qu’on se fixe des idées réalistes et réalisables : produire des quantités d’arachides, d’oignons, etc. à notre portée pour l’année et voir comment combler le gap l’année suivante. C’est mieux que de se fixer des objectifs mirobolants tout en sachant qu’on ne peut pas les atteindre et qu’on ne les atteindra jamais. Sinon, cela ressemblera à du sabotage.
Comment le monde paysan prépare la prochaine campagne agricole dans ce contexte de pandémie liée au Covid-19 ?
Nous préparons la campagne dans un contexte de confinement et de restriction de tous les déplacements. A ce jour, aucune commission n’est encore mise sur pied ; aucune graine d’arachide n’est mise à la disposition des points de vente. Aussi, les mêmes niveaux de prix pratiqués il y a deux ou trois ans ont été maintenus alors que les paysans n’ont pas d’argent. Abdoulaye Wade nous vendait les graines d’arachide à 100 voire 125 francs CFA ; on demande à Macky Sall de faire comme lui dans un contexte de Covid-19. Le chef de l’Etat peut subventionner les engrais et les semences qu’il mettra à notre disposition à hauteur de 70 voire 75%. Aujourd’hui, le kilogramme d’arachide R3 est à 165 francs CFA alors que du temps d’Abdoulaye Wade ; c’était à 100 voire 125 francs CFA. Le Président peut faire pareil. Il doit savoir que les paysans doivent aussi bénéficier des 1 000 milliards collectés pour faire face aux effets du Covid-19. Il le faut pour relancer l’agriculture. Le gouvernement doit sauter sur l’occasion pour doter les agriculteurs de moyens et subventionner fortement les produits à mettre à leur disposition pour produire plus et mieux. Il faut aussi aider les paysans à restaurer la base productive tout seul et veiller à la maitrise de l’eau. En effet, nous vivons les changements climatiques au quotidien. L’année dernière, nous avons enregistré les premières pluies au mois de juillet ; et nous sommes restés deux mois et demi sans pluies. Nous devons penser à maîtriser l’eau. (…)
Le député Moustapha Cissé Lo a fait état dernièrement d’une nébuleuse autour du système de commercialisation et de distribution des produits agricoles, intrants et autres matériels. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Vous m’excusez. Je ne peux pas tellement me prononcer sur les affaires des politiciens. Nous avons eu à produire un mémorandum qu’on a remis au président de la République. Nous y avons mentionné clairement ce que nous pensons de tout ça et comment nous voulons que les subventions se déroulent. (…) Pour le moment je ne peux en parler en détails pour laisser au chef de l’Etat le temps de très bien regarder le document et de prendre les mesures idoines.