Annulation ou moratoire ? L’Afrique peine à accorder ses violons sur sa dette afin de faire face à la pandémie du coronavirus. Alors que Dakar plaide pour son annulation, Cotonou par la plume de son ministre de l’Economie et des finances, Romuald Wadagni, démontre dans une tribune publiée par le site jeuneafrique.com, «pourquoi l’allégement de la dette africaine n’est pas une solution». Au niveau sous-régional, alors que Macky Sall a réussi à faire adopter l’appel de Dakar hier, jeudi 23 avril, par treize pays de la CEDEAO, la Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), navigue à contre-courant. Dans une interview accordée à Rfi et à France24, la Rwandaise, Louise Mushikiwabo, soutient que «l’Afrique ne veut pas de traitement spécial». «Nous demandons plutôt un moratoire (…) qui va jusqu’en fin 2020 (…) Nous aimerions beaucoup que cette période s’étend jusqu’à la fin de 2021 », a plaidé Mme Mushikiwabo.
ROMUALD WADAGNI, MINISTRE BENINOIS DE L’ÉCONOMIE ET DES FINANCES : «L’allégement de la dette africaine n’est pas une solution»
«Les dépenses des États sont appelées à croître rapidement pour contrer la propagation de la pandémie alors même qu’il faut continuer à faire face aux défis du développement. À ce constat, s’ajoute la chute importante des recettes qui vient réduire davantage les marges budgétaires. L’allègement de la dette ou un moratoire constitue dans ce contexte, un appel à l’indulgence des créanciers et n’apporte pas de solutions structurelles aux difficultés des États». C’est l’avis ministre béninois de l’Économie et des Finances, Romuald Wadagni qui s’exprimait dans une Tribune publiée par le site de Jeune Afrique.
Contrairement au Président de la République Macky Sall, il estime qu’un allègement de la dette ou un moratoire pour le paiement des échéances ternira davantage l’image des États et compromettra leur accès aux financements futurs. «Nos pays subiront un effet induit sur la perception de leur qualité de crédit ; ce qui les exposerait à des sanctions ultérieures inévitables de la part du marché. Un moratoire pourrait même être considéré dans certaines documentations de prêt comme un événement de défaut par les créanciers privés, qu’il soit voulu ou subi et quand bien même il ne concernerait que les créanciers publics bilatéraux», a-t-il laissé entendre.
Selon lui, au-delà des agences de notation qui pourraient sanctionner le non-respect d’une échéance de prêt, tous les efforts fournis par nos pays pour améliorer le climat des affaires et la perception de risque présentée dans les classifications de l’OCDE notamment et utilisée pour définir le taux d’emprunt de nombreux prêts, ne seront qu’anéantis.
Par ailleurs, le Ministre des finances béninois a rappelé que les annulations de dettes opérées dans la décennie passée n’ont pas manqué de laisser de mauvais souvenirs. «C’est le lieu de rappeler que les annulations de dettes opérées dans la décennie passée à la suite de l’initiative PPTE, n’ont pas manqué de laisser de mauvais souvenirs tant au niveau des créanciers privés que des prêteurs bilatéraux publics dont certains ne sont d’ailleurs plus jamais revenus financer nos États, si ce n’est par l’octroi de dons», indique-t-il.
Or, au regard de la faiblesse de l’épargne intérieure et du secteur privé, la dette, la bonne, aux meilleures conditions de coût et de durée, est essentielle pour mettre nos économies sur un sentier de croissance soutenue et durable.
Soulignant que les besoins urgents exprimés par l’Afrique se chiffrent à 100 milliards de dollars (dont 44 milliards pour le service de la dette), il pense qu’une nouvelle allocation en Droits de tirages spéciaux du FMI tant débattue devrait être envisagée. Selon lui, elle permettrait d’apporter une réponse rapide et efficace aux besoins des pays les plus vulnérables tout en préservant la soutenabilité de leur dette.
«Cette solution n’est pas nouvelle et fut mise en œuvre avec succès lors de la précédente crise financière mondiale de 2008 où 250 milliards de dollars furent débloqués rapidement. Par ailleurs les importantes liquidités mises en œuvre dans plusieurs grands espaces économiques ces derniers jours sont édifiantes», soutient-il.
LOUISE MUSHIKIWABO, LA SECRETAIRE GENERALE DE L’ORGANISATION INTERNATIONALE DE LA FRANCOPHONIE : «L’Afrique ne veut pas de traitement spécial»
«Concernant l’annulation de la dette, moi-même et cette équipe d’Africains internationalistes, beaucoup d’entre nous, des sommités dans le domaine de la finance et de l’économie internationale, nous demandons plutôt un moratoire, un gel sur le paiement de la dette puisque l’Afrique, comme le reste du monde, doit trouver l’espace et le temps de s’adresser à cette question très épineuse de la maladie et puis ensuite remettre ses économies sur les rails.
En réalité, l’Afrique ne veut pas de traitement spécial, l’Afrique veut comme tous les autres grands pays en Europe et ailleurs qui ont pris des mesures économiques importantes, ont même changé des lois pour pouvoir gérer cette crise et ensuite se préparer à remonter leurs économies après la crise. Donc pour nous ce qui est important c’est ce gel si vous voulez. Il y a encore à faire effectivement, c’est ce qu’on a publié dans cette tribune parce que d’abord il faudrait considérer tous les pays africains. Aujourd’hui, ce ne sont pas tous les pays, c’est un bon nombre, c’est un bon début mais cette maladie ne discrimine pas les grands ou les petits, ça se voit même à travers le monde.
Ensuite le moratoire qui va jusqu’en 2020, ce n’est même pas jusqu’à fin 2020, c’est moins d’un an. Nous aimerions beaucoup que cette période s’étende jusqu’à la fin de 2021, ensuite, un échange franc et productif sur le secteur privé africain. Beaucoup de pays ont pris des mesures pour accompagner et faire en sorte que les entrepreneurs et les grandes sociétés à travers le monde puissent ne pas être emportés par cette crise et l’Afrique en a vraiment besoin. Il en va aussi de la nécessité d’emploi.
Beaucoup d’Africains aujourd’hui, surtout dans le secteur informel, se retrouvent sans emploi donc cela aussi une discussion que l’on aimerait voir entre les dirigeants africains et leurs créanciers», a déclaré la Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), dans une interview accordée à Rfi et à France24. Louise Mushikiwabo prend ainsi le contrepied du président de la République française, Emmanuel Macron et de son homologue du Sénégal, Macky Sall qui demandent carrément l’annulation de la dette africaine.
LA CEDEAO ADOPTE L’APPEL DE DAKAR
Treize pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont appelé hier, jeudi 23 avril à Abuja à l’annulation de la dette pour faire face à la pandémie de coronavirus. Le sommet extraordinaire par téléconférence des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO a passé en revue les effets du Coronavirus sur leurs économies.
Le président de l’organisation sous-régionale et président de la République du Niger, Alhaji Mahamadou Issoufou, a souligné les effets dévastateurs du virus sur les populations et les économies des Etats membres. Une déclaration du Secrétariat de la CEDEAO hier, jeudi à Abuja, a indiqué que M. Issoufou a appelé à des efforts de collaboration entre les États membres pour lutter contre la pandémie, qui, selon lui, a déjà fait de nombreuses victimes dans la région et au-delà. Le président en exercice a plaidé pour une annulation totale de la dette des pays africains afin de permettre au continent de survivre à l’ère post-coronavirus.
Le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (RSSG), M. Mohamed Ibn Chambas a également appelé à l’annulation de la dette des pays africains dans le cadre palliatif visant à amoindrir les effets du virus sur leurs différentes économies.