Depuis quelque temps, travailleurs de Senelec, syndicats représentatifs de la boîte et autres patriotes dénoncent le contrat «offert» par l’ancienne Direction générale de la Senelec à Akilee. Un contrat léonin, de loin plus scandaleux que la location par Karim Wade des barges en son temps et surtout l’affaire du fuel frelaté dans laquelle Samuel Sarr avait été cité. Mouhamadou Makhtar Cissé, alors Directeur général de la Senelec, avait signé avec Akilee un contrat qui consiste à fournir à Senelec un «système informatisé de comptage dit système de comptage avancé».
Ce, disent-ils, afin d’inscrire la société dans la dynamique des sociétés de référence à travers le monde. Mais c’est là où git le mal. Parce que dans la gestion du système informatisé, ils ont inclus le compteur qu’il présente comme un… «accessoire». Extraordinaire. Ce contrat signé en pleine campagne électorale pour une durée de… 10 ans, devrait coûter plus de 186 milliards de francs Cfa. Pire, un bon de commande a été émis sur la période de 10 ans avec un prix unitaire déjà fixé, sans tenir compte de la variation des prix au fil des années. Les syndicalistes ont bien raison de demander les véritables actionnaires (au-delà de Senelec qui a 34%) de Akilee et l’ouverture d’une information judiciaire.
Le plus grand scandale énergétique de toute l’histoire du pays. Pire que Karim Wade avec ses délestages à n’en plus finir et les barges qu’il avait louées à la société américaine APR. Pire que le scandale du fuel frelaté dans lequel Samuel Sarr et un ancien Directeur général de la Société africaine de raffinage, aujourd’hui décédé, avaient été cités. Ce contrat Akilee-Senelec dépasse, et de loin, tout entendement. Tout le monde avait applaudi, le Conseil d’administration y compris, quand la Société nationale d’électricité du Sénégal (Senelec) a signé un contrat avec la société technologique de services énergétiques, Akilee SA.
En effet, lors du lancement officiel des activités de la société, en août 2017, Akilee avait été présentée par son Directeur général Amadou Ly comme une startup dont la mission de base était de «contribuer à la facilitation de la gestion de la relation entre la Senelec et ses clients». Ce qui se fait dans le monde entier où les grandes sociétés d’électricité signent avec des sociétés spécialisées pour conseiller les clients sur l’économie d’énergie.
Ainsi, quand elle a commencé à se déployer, Akilee travaillait avec de grandes sociétés et des multinationales de la place.
Mais les choses vont évoluer. Le contrat va glisser vers d’autres missions, avec la signature d’un contrat gigantesque qui défie toute logique et tout bon sens.
Parmi les griefs de ce contrat hors du commun : le timing, la durée, le mode et le montant de la transaction. En effet, c’est le 11 février 2019, en pleine campagne électorale, au moment où personne ne savait qui allait être chef de l’Etat et surtout qui allait être Directeur général de Senelec, qu’un nouveau contrat a été signé incluant la fourniture de compteurs électriques sur une période de… 10 ans.
Makhtar Cissé signe un bon de commande sur… 10 ans à Akilee le 20 mars 2019 pour 186 milliards
Et comme si cela ne suffisait pas, le 20 mars 2019, soit juste 40 jours plus tard, l’ex-Directeur général de la Senelec devenu ministre du Pétrole et de l’Énergie, signe un bon de commande de 186 milliards pour la livraison de 2 millions 700 compteurs électriques sur 10 ans. Et le plus grave dans cette affaire, c’est que Akilee SA commande une partie de ses compteurs électriques auprès de la Société chinoise HEIXING, la même société auprès de qui la Senelec s’est toujours, elle-même, approvisionnée en compteurs électriques. C’est à y perdre son latin. Ce bon de commande a été signé en ne tenant même pas compte de la variation des prix des compteurs au fil des années. Encore moins de renégociations possibles en cas de manquements. Ce qui fait dire aux syndicalistes qu’ils ont l’impression que Senelec était devenue une fabrique de milliardaires. En effet, avec un bon de commande qui s’étale sur 10 ans, Akilee était certain d’avoir un contrat «blindé» et irrévocable et qu’il pouvait dérouler à sa guise.
Malheureusement, un grain de sable est venu gripper la machine. Makhtar Cissé est bombardé ministre du Pétrole et de l’Énergie et un nouveau Directeur général est nommé.
Le contrat top secret
On ne sait trop comment le contrat, qui n’était connu que de quelques personnes, tombe entre les mains de la nouvelle Direction générale qui a failli tomber des nues en voyant les clauses. Une opération de «correction» est alors entamée. Selon des syndicalistes, avec qui «Les Échos» s’est entretenu, pour le moment, il ne s’agit pas de rompre le contrat, mais d’en rediscuter les termes. Et déjà, le Directeur général pourra compter sur le soutien de son Conseil d’administration. En effet, le Conseil d’administration de la Société nationale d’Électricité du Sénégal (Senelec) a fait bloc derrière lui pour la renégociation du contrat.
Une nouvelle rencontre est prévue, ce jeudi 23 avril 2020. Mais déjà, une chose est sûre, si Akilee est aussi «intelligente» que le laisse croire son nom, elle devra accepter l’offre. Parce que sinon, au-delà de Pape Demba Bitèye, c’est à l’ensemble des patriotes de ce pays qu’elle devra faire face.
Un camouflet pour Makhtar Cissé, va-t-il démissionner ?
Présenté comme l’un des plus grands managers de sa génération, cette affaire Akilee prouve qu’une grosse légende a été construite autour de Makhtar Cissé. Si, en tant qu’ancien Directeur général de Senelec, et titulaire du ministère qui gère la tutelle technique de la boîte, les contrats qu’il avait signés sont dénoncés, c’est que le scandale est hors norme.
Parce que sinon, personne n’oserait dénoncer un contrat signé par son prédécesseur, qui, plus est, est actuellement son supérieur hiérarchique. Dans tout pays sérieux, le titulaire au poste devrait rendre sa démission parce que c’est son honorabilité qui est en jeu. Si le contrat est renégocié ou annulé, c’est sa crédibilité de gestionnaire qui est en cause parce que cela signifie qu’il aura brader les intérêts de la boîte qu’il dirigeait. En «Walo-Walo» digne et fier, peut-être qu’il va suivre les traces de ses valeureux aïeuls.
Sidy Djimby NDAO