Prologue: Je dédie ce texte au journaliste Pape Allé NIANG pour sa générosité intellectuelle.
Par Adama Gaye*
L’image plus parlante et violente que tout a détruit celle d’une longue et patiente diplomatie chinoise douce en direction de l’Afrique. Elle montre, armés de gros bâtons, des chinois cassant du nègre, déchaînés sur des africains, pointés du doigt comme les boucs émissaires du virus mortel, bref réduits en symbole, voire la cause, du malheur sanitaire qui s’abat sur leur pays. La scène, projetée sur la toile de l’Internet aux quatre coins de la terre, s’est passée dans l’industrieuse et commerçante cité de Guangzhou dans le Sud de la Chine mais on peut s’imaginer qu’elle aurait pu avoir lieu n’importe où ailleurs sur la vaste étendue de ce pays d’1 milliard 400 millions d’habitants.
Soudain, sous l’effet corrosif de la pandémie du coronavirus, c’est ainsi tout un narratif, socle des relations sino-africaines, qui a depuis volé en mille morceaux.
Amie de l’Afrique
De tout temps, la Chine s’est présentée comme l’amie de l’Afrique et, plus généralement, à partir de la conférence de Bandoeng (Indonésie), d’avril 1955, d’où date son re-engagement avec elle, en alter-ego au nom d’un tiers-mondisme né à cette occasion et dont elle continue de se faire le porte drapeau. Elle s’assume comme le plus grand pays en développement et donc aligné sur les priorités qui sont celles de l’Afrique.
Ce discours doux, soyeux, participait déjà d’une volonté de la Chine communiste née six ans plus tôt, en octobre 1949, de se faire une place dans un monde bipolarisé entre camps rivaux communiste sous la bannière de l’union soviétique, son principal compétiteur, et celui, capitaliste sous la direction des États-Unis d’Amérique, suivant les lignes de la guerre froide idéologique qui les opposait.
Son positionnement à équidistance renforcé six ans plus tard, en 1961, à Belgrade à la conférence de lancement du mouvement des non-alignés devint si attractif que Pekin n’eut aucun mal à s’imposer rapidement sur le continent. Son message y plaisait. Il y fut porté, en 1963-1964, par son emblématique premier ministre d’alors, Chou Enlai, le bras droit de son grand leader, Mao Tsetoung, à travers une tournée, inédite, qui permit d’en jeter les bases. Grosso modo, huit principes de coopération furent proposés, en particulier l’elimination de toute condition à son aide.
Meme si on retrouve sa patte derrière des mouvements indépendantistes violents sur divers territoires africains, la Chine n’a par la suite cessé de se poser en force du bien au point d’ériger en dogme, au moins théoriquement, le principe de la non-ingérence** dans les affaires intérieures en ce qui concerne sa relation avec les pays africains.
Après ses propres tourments internes, notamment sa révolution agricole ratée en 1961, ayant entraîné des dizaines de millions de morts, et celle culturelle, cinq ans plus tard, aussi violente, en plus d’être le prétexte à une grande purge au sein du Parti communiste au pouvoir, la Chine qui s’était coupée de l’Afrique (et du reste du monde) y revint progressivement à la suite du lancement en 1978 de sa stratégie d’ouverture et de modernisation économique.
C’est son premier ministre d’alors, Zhao Ziyang qui vint en 1982 en poser les jalons. Le pragmatisme économique, la coopération dite gagnant-gagnant en fut le fil conducteur.
Autour de ses succès économiques, alors que le continent africain n’était plus le champs clos des rivalités idéologiques éteintes entre l’Est et l’Ouest, Pékin put faire une percée fulgurante sur le continent. Cela tombait bien: marginalisée par le monde occidental qui tenait le leadership conceptuel du monde avec le triomphe de son idéologie libérale, la Chine était particulièrement ostracisée du fait de sa sanglante répression du mouvement étudiant prodemocratique sur la place Tienanmen en Juin 1989.
Isolement diplomatique
C’est en Afrique qu’elle trouva la clé pour briser son isolement diplomatique. En plus, dans un contexte où, boostée par les belles retombées économiques de ses réformes en la matière, mais confrontée à ses déficits en ressources naturelles, surtout énergétiques pour maintenir à flots son économie rugissante, elle avait un intérêt évident à faire son marché en Afrique où elles étaient en surabondance sans oublier d’y vendre ses produits manufacturés à bas prix…
Enrobé d’un discours doux par opposition à celui directif et dur des pays occidentaux qui en ces premières années post-guerre froide insistaient sur le respect des normes de bonne gouvernance démocratique et économique, le narratif de la coopération sino-africaine était devenu si impressionnant que les pays occidentaux eurent le sentiment d’avoir été bernés et évincés par le dragon chinois.
La montée en flèche des échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique, de moins de 10 millions de dollars en 1990, devint assourdissante: par centaines de milliards de dollars ces dernières années. Les rencontres officielles, structurées autour du Forum de coopération Chine-Afrique (Focac), dont le prochain est prévu l’an prochain au Sénégal, ajoutèrent au bluff. La Chine en profite non seulement pour annoncer des annulations de dettes symboliques, déployer des prêts bonifiés, offrir des formations à de jeunes africains mais surtout rappeler que sa coopération n’a jamais été violente. Le narratif rapporte comment Pekin, avant les occidentaux, a pénétré l’Afrique sans la coloniser et pourquoi elle en est le partenaire idéal, complémentaire.
Ce discours de séduction a fait que malgré les remontrances plus chuchotées qu’hurlées, la question chinoise n’a pas été un sujet de grand débat sur le continent. Rien à voir avec les États-Unis où elle s’est longtemps posée avec une grande acuité, en particulier depuis 1950, au moment de la guerre de Corée, et le refus du président Truman de reconnaître l’appartenance de l’île de Taïwan à la Chine continentale. “Qui a perdu la Chine”, se demandèrent les analystes américains conscients qu’en mettant le leadership chinois sous un prisme communiste par opposition à leurs adversaires nationalistes réfugiés à Taïwan, les dirigeants américains s’étaient trompés.
Chasse gardée
La question chinoise se pose aussi à une vieillissante Europe qui a ressenti comme une gifle en plein visage la prééminence de Pékin sur un continent qu’elle croyait être sa chasse gardée du fait d’un passé colonial partagé.
Autant dire que les scènes de chasse à l’homme africain dans les rues de Guangzhou, réminiscences de celles des étudiants africains traqués dans les campus chinois au milieu des années 1980 en étant présentés comme des démons, créent les conditions pour situer la question chinoise au cœur de l’agenda Africain.
Les sujets qui fâchent, longtemps mis sous le boisseau du fait d’un discours enjôleur, remontent en surface. C’est le Kenya qui interdit tout nouvel emprunt fait auprès de Pékin qui, découvre t’il, contrôle près de 80 pour cent de sa dette souveraine. “Les chinois doivent partir”, s’étrangle le Président Kenyan, Uhuru Kenyatta.
Ce sont les observateurs de l’union africaine qui se demande comment l’Afrique a t’elle pu laisser la Chine financer et construire pour la minable somme de 200 millions de dollars le siège de l’organisation panafricaine devenue ainsi un poste avancé de l’espionnage chinois sur le continent. On jase partout des méthodes des entreprises chinoises qui ne respectent pas les termes de leurs engagements contractuels avec leurs partenaires africains sans oublier leur democraticide corruption massive des élites politiques au pouvoir.
Quid du non-respect de certaines promesses faites aux pays africains ulcérés de constater une reproduction du lien d’asservissement colonial entre une Chine qui ramasse pour des bouchées de pain les ressources naturelles africaines, rafle les marchés sur place, mais tarde à traduire en actes concrets l’inclusion de l’Afrique dans les segments lucratifs de la chaîne de valeur par une délocalisation de ses industries non-compétitives en Asie ou par un authentique transfert de technologie.
Alors que son économie souffre de l’essoufflement de sa stratégie de l’exportation et que ses devises étrangères ont fondu comme beurre au soleil, confrontée de surcroît à un taux de croissance à un chiffre non soutenable pour un pays qui doit toiser les deux chiffres pour faire face à ses défis, la Chine risque de ne plus être le pays attractif qu’elle a longtemps été pour l’Afrique.
On notera, en outre, que la crise du Covid19, renverse la théorie des oies volantes, puisqu’elle force les grands pays, comme les Usa, mais aussi ceux d’Afrique à se re-industrialiser. Trump avait vu juste: comment demain laisser à la Chine la prerogative de fabriquer des…masques?
Prurit raciste
Un ordre nouveau est en gestation. Il est, sous ce rapport, fort à parier qu’en laissant le prurit raciste qui traverse ses peuples, déconnectés du narratif officiel tout en douceur et rondeur, se déverser sur d’innocents africains, c’est toute une légende qui s’effondre.
C’est qu’à l’heure de la techtonique des plaques numériques, il suffit d’une image, repoussante ou attrayante, pour changer la donne fut-elle celle sournoisement et stratégiquement bâtie par l’Empire du Milieu pour s’imposer dans la conscience des africains en pays frère.
Les bastonnades des africains, leur stigmatisation pour un virus qu’il n’ont pas créé, resteront un marqueur de cette pandémie du coronavirus. Autant que les rues désertes, le port quasi-universel de masques, les morts entassés et l’impuissance humaine face à une invisible, minuscule, bestiole…
La relation Afrique-Chine, et non Chine-Afrique comme y tiennent les Chinois dans leur psyché confucéen de volonté de domination même par les symboles, ne pourra donc pas se passer d’un aggiornamento une fois le Covid19 surmonté.
Ce devra être être un moment de vérité pour fracasser les mensonges et la duplicité qui ont hélas été au cœur d’une relation marquée au coin d’une inégalité désormais indéfendable. Les peuples africains qui ont vu les leurs se faire humilier par les Chinois ne laisseront plus des dirigeants africains corrompus à travers le continent se faire mener en bateau par ceux de la Chine, peu importe le discours qu’ils leur tiendront…
Ca passera ou ça cassera mais ce moment de vérité sera candide. On peut le jurer: le temps de l’Afrique, son rapport au reste du monde, sera véridique ou ne sera pas.
Adama Gaye*, Le Caire, 16 Avril 2020
*Auteur de Chine-Afrique: Le Dragon et l’autruche, Éditions l’harmattan 2005
** Le principe de la non-ingérence édicté par la Chine dans ses rapports avec les pays africains a toutefois un prerequis: l’adhésion à une seule chine incluant Taïwan.
Ps: Un libanais m’insulte inbox parce que j’ai dénoncé les comportements toxiques de certains libanais comme ce vendeur de chawarma à qui un marché criminel de 17 milliards a été attribué illégalement. On ne fera pas taire la voix populaire…