Malgré les saisies record de drogue dure dans les frontières, celle-ci est bien consommée dans l’intimité des milieux huppés de la capitale sénégalaise où le trafic se fait dans la plus grande discrétion. Conséquence : La liste des cas de morts par overdose s’allonge.
La mort d’Hiba Thiam, ancienne Directrice administrative et financière de l' »Act Afrique », par overdose au cours d’une soirée privée aux Almadies, a remis dans la plaie la circulation de la drogue dure dans les milieux huppés de la capitale sénégalaise. Dans cette affaire, six « fils à papa » ont déjà été inculpés après l’enquête préliminaire et envoyés à Rebeuss en attendant la suite de l’instruction. Une affaire bouleversante qui rappelle le triste « cas » Maty Mbodj, ancien mannequin sénégalais décédé, il y a 5 ans (23 juillet 2015), dans des circonstances pareilles, dans l’intimité d’un appartement au centre-ville.
Mais à en croire certaines informations sensibles, ces genres de « house party » infernales ne sont pas chose nouvelle. Pour un interlocuteur de Seneweb, très connu du milieu du showbiz, ce n’est plus un secret de polichinelle, la drogue circule à flot.
Seulement, glisse-t-il, « si certaines starlettes meurent par overdose, c’est parce que d’autres stars en sont déjà mortes. C’est une véritable mafia qui entoure ce business. Les cas Maty Mbodj et Hiba Thiam sont peut-être les seuls qui sont médiatisés. Mais, il y en a d’autres ignorés du grand public ». Il souligne que certains « grands drogués » peuvent décéder par overdose, mais les gens ne diront jamais que c’est à cause de la drogue.
« Je consommais une valeur d’1 million 200 mille FCFA en 4 jours »
Ce que semble confirmer Tange Tandian, journaliste et spécialiste des questions people, qui dit avoir tiré la sonnette d’alarme, depuis longtemps. « La drogue est bien présente à Dakar, plus particulièrement dans le milieu de la jet-set. Ce n’est pas accessible à tout le monde, c’est très cher, c’est pourquoi ce sont, le plus souvent, les « fils à papa » qui s’y adonnent », dit-il, révélant qu' »il y a de grandes personnalités de la place qui la consomment, de célèbres hommes d’affaires du pays ».
Il est toutefois à signaler qu’avant cette récente affaire Hiba Thiam, dans laquelle un trafiquant de drogue est cité, une autre continue de défrayer la chronique dans ce quartier de Dakar. En effet, un autre serveur, du nom d’Ibrahima Ndiaye, en service au Nirvana, a été discrètement cueilli pour trafic de drogue et placé sous mandat de dépôt depuis lors. Tout a commencé lorsque l’Ocrtis a reçu une information faisant état d’un trafic intense de drogue dure au niveau de certaines boites et restaurants huppés des Almadies, d’après Libération.
À la suite de plusieurs mois d’investigations, les enquêteurs découvrent que Ndiaye n’était que la face visible de l’iceberg. Il avait deux « patrons », des ressortissants anglais, connus au restaurant J’Go.
L’enquête a révélé que ces derniers, devenus subitement introuvables, lui avaient remis, dans un premier temps, un acompte de 19 millions de F Cfa pour acheter de la « marchandise de qualité » destinée à la clientèle des Almadies. Le dossier est en instruction devant le juge du premier cabinet, Samba Sall. Et lors de sa récente audition dans le fond, Ibrahima Ndiaye a dévoilé, dans les détails, le « système » mis en place aux Almadies par de puissants trafiquants dont les deux ressortissants anglais visés par un mandat d’arrêt international.
En tout cas, pour les jeunes toxicomanes dakarois, aucune dose n’est de trop pour satisfaire leur fort désir d’être aux anges. Cocaïne, héroïne, haschisch, ou encore des injections de drogue, rien n’est en réalité laissé en rade.
« Moi, c’est le fils d’un célèbre milliardaire de la place qui m’avait incitée dans le milieu. Je sortais avec lui, mais tout ce qu’il voulait, c’est de me voir à moitié nue, en train de fumer devant lui. En contrepartie, il m’offrait des chèques de 250 mille à 300 mille. On le faisait presque tous les jours et finalement je suis devenue accro, je prenais tout, je faisais même des injections », a révélé dans Grand-Angle » sur la 7tv, une ancienne droguée. À l’en croire, la « poudre blanche » coûte excessivement cher et que même un riche drogué accro pourrait devenir pauvre en seulement quelques semaines.
« Il m’arrivait de consommer une valeur d’1 million 200 mille en moins de 4 jours. C’est de l’argent que je récoltais auprès de mon copain blanc. La nuit, je consommais en moyenne 100 mille francs CFA en cocaïne », témoigne l’ancienne droguée. Qui ajoute, pour le regretter: « Une nuit, j’avais 350 mille en poche, mais le lendemain, je n’avais même de quoi acheter à manger pour le petit déjeuner. Ce jour-là, je voulais me suicider ».
Les ravages des opioïdes
Au-delà de ces types de drogue dure, beaucoup de jeunes opiomanes font également recours aux opioïdes pour être « défoncés ».
D’ailleurs, selon les estimations de l’Office des nations unies contre la drogue et le crime (Onudc), le cannabis était la drogue la plus prisée des jeunes et la plus consommée au Sénégal, en 2016. Mais, depuis quelques années, d’autres substances font leur apparition. Ainsi, dans son rapport 2018, l’organisation onusienne pointe la consommation grandissante des opiacés. Beaucoup de médicaments sont ainsi détournés de leur usage initial pour être pris comme drogue. Le dernier produit qui inquiète : Le trama dol, un opioïde utilisé pour traiter les douleurs modérées à sévères.
« Ces médicaments se trouvent sur le marché noir, on parle de médicaments de la rue. On peut aussi les obtenir en pharmacie même sans ordonnance », souligne Babacar Diouf, chargé de la réduction de la demande de drogue au sein de l’Onudc. Peu chers (moins de 1 000 FCFA la boite), la dépendance est rapide.
Par ailleurs, l’enquête de l’Onudc a révélé que lorsque les troubles liés à l’usage de drogues sont la cause des décès, ce sont les opioïdes qui causent le plus de dommages et représentent 76% de ceux-ci.
Cette organisation de l’Onu ajoute qu’aujourd’hui, les consommations d’héroïne et de cocaïne augmentent également d’année en année.
La fabrication mondiale de cocaïne a atteint le niveau le plus élevé jamais enregistré, avec une production estimée à 1.410 tonnes. La plus grande partie de la cocaïne provient de Colombie, alors que le rapport désigne également l’Afrique et l’Asie émergent comme centres de trafic et de consommation de cocaïne. D’ailleurs, une étude menée sur l’agglomération de Dakar par l’Onucd avait permis de recenser 1 324 usagers de drogues injectables (Udi).
Le Sénégal, plaque tournante de la drogue ?
Mais, si le nombre d’usagers connait une hausse fulgurante dans notre pays, c’est ce que, d’une part, les narcotrafiquants internationaux ont semblé avoir comme cible le Sénégal. En témoignent les nombreuses saisies de drogue dure effectuées au courant de l’année 2019 par les éléments de la douane sénégalaise.
En effet, entre novembre et décembre passé, au moins, 2,417 tonnes de cocaïne ont été saisies au Sénégal dont 90% au Port autonome de Dakar et en haute mer. Des quantités de « marchandises » dont la valeur est estimée à des centaines de milliards de francs CFA. Il ressort de nos investigations que la cocaïne, produite principalement en Colombie, en Bolivie et au Pérou, voyage de plus en plus par la mer avec des escales régulières dans les Caraïbes, au Maghreb et en Afrique de l’Ouest, zones de transit importantes, selon les experts.
Mais malgré ces nombreuses prises, le Sénégal n’est pas une plaque tournante de la drogue. C’est du moins ce qu’a fait savoir le ministre des Finances et du Budget, Abdoulaye Daouda Diallo.
« On ne peut pas être un pays de transit. Ce n’est pas possible. On connaît l’origine de cette drogue et sa destination. Le port de Dakar pouvait constituer à la limite un port d’éclatement. Mais nous pensons que le travail qui vient d’être mené à ce niveau (montre que) c’est un mal que nous arriverons à vaincre s’il plaît à Dieu », avait-il tranché lors d’une cérémonie d’incinération de 1 107 kg de cocaïne, le 27 juillet 2019, près de Mbour.
L’antidote « méthadone »
Un avis que ne partage pas le commissaire Cheikhna Keïta, ancien directeur de l’Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (Ocrtis). Dans une interview avec le journal « L’Obs », dans sa livraison du 18 novembre dernier, cet officier supérieur de la police, aujourd’hui hors rang, déclarait ceci: « A l’état actuel des choses, toutes les dénominations de zone de consommation, de plaque tournante, ou encore de zone de transit correspondent au Sénégal. Une plaque tournante est une zone à partir de laquelle le trafic international s’organise. A l’état actuel des choses, ceux qui affirment que le Sénégal est devenu une plaque tournante de la drogue, ne peuvent pas être démentis. Parce que les faits sont là et têtus ».
Quoi qu’il en soit, les effets de l’usage de drogue dure sont bien perceptibles dans la société. En effet, le Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar (Cpiad), inauguré en décembre 2014, a traité pas moins de 260 patients drogués à la méthadone, un médicament qui les aide à se passer de l’héroïne. Cette dose médicale enregistre des succès thérapeutique, d’après des experts.
« Pour le programme méthadone, qui concerne ceux qui consomment de l’héroïne, on a enregistré 260 personnes. Sur ce nombre, il y a 80 qui ont arrêté le traitement pour différentes raisons. Certains ont été incarcérés, d’autres ont abandonné le traitement. Mais 10 parmi eux ont été suivis et, aujourd’hui, ils ont arrêté l’utilisation de la drogue. Ils ont retrouvé une vie normale », révèle le docteur Idrissa Ba, addictologue, dans « Grand-Angle ».
Toutefois, le coordonnateur technique du Cpiad soutient que le traitement médical ne suffit pas pour ces drogués qui, d’après lui, ont également besoin d’un suivi psycho-social et de l’accompagnement moral de leurs familles.