L’État sénégalais joue les Pères Noël pour ses ressortissants à l’étranger pris au piège du coronavirus. Avec une enveloppe de près de 19 millions d’euros et des catégories identifiées, il reste à trouver la méthode juste et transparente pour éviter la Bérézina.
Présents par dizaines de milliers dans des pays confrontés au coronavirus, des ressortissants sénégalais doivent faire face à des stratégies de survie. Pour leur venir en aide, le ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur Amadou Bâ a annoncé, le 9 avril, la mise à leur disposition d’une enveloppe de 12,5 milliards de francs CFA (environ 19 millions d’euros). Devant la presse, il a livré la liste des bénéficiaires, tous «précaires et vulnérables» dans le contexte de la crise sanitaire, allant du secteur informel aux personnes retraitées en passant par les étudiants non allocataires.
Cette dotation exceptionnelle provient des 1.000 milliards de francs CFA (1,5 milliard d’euros) du Fonds de riposte et de solidarité contre les effets du Covid-19 (Force Covid-19) mis en place par le gouvernement. Sa répartition sera co-exécutée par une cellule du ministère des Affaires étrangères à Dakar et un comité qui sera opérationnel sur le terrain.
«Ce comité est placé sous la présidence de l’ambassade et constitué du Consul général ou du consul, du responsable des affaires consulaires ou sociales, d’un député de la diaspora, de toute autre personne membre d’une association ou pas, désignée par le comité et dont la présence est utile à la réussite de la mission», a souligné Amadou Bâ.
Cependant, l’opération ne s’annonce pas facile. Le nombre d’immigrés concernés, leur localisation, les rigueurs et incertitudes sur le confinement en Afrique de l’Ouest et Centrale, en Europe, en Amérique du Nord, au Maghreb y compris Mauritanie –des zones de forte concentration de communautés sénégalaises– sont autant de facteurs qui compliquent la répartition de cette enveloppe. À l’élection présidentielle de février 2019, la diaspora comptait environ 310.000 électeurs inscrits sur les listes électorales. D’une certaine manière, le ciblage du secteur informel comme bénéficiaire principal du fonds d’aide semble pertinent.
«La plupart de nos compatriotes vivant à l’étranger sont des « Modou-Modou » [terme désignant ceux qui sont dans le secteur informel, ndlr], des vendeurs ambulants. Très peu parmi eux sont des travailleurs du secteur formel pouvant bénéficier de stabilisateurs sociaux comme l’assurance-maladie ou l’assurance-chômage. Donc, même avec le confinement, ceux qui sont établis en Europe n’ont plus de quoi manger ou payer le loyer, les factures d’électricité et autres charges vitales du quotidien», explique à Sputnik l’économiste et consultant senior Mbaye Sylla Khouma.
Les défis d’une opération complexe
L’opération sera sans doute redoutable de complexité car la population d’immigrés sénégalais «inconnue» à travers le monde semble largement supérieure à celle déjà répertoriée par les services consulaires du Sénégal. Dans ce cas, l’identification des bénéficiaires dans les limites définies par le ministère des Affaires étrangères pourrait se révéler un véritable casse-tête, mais le jeu en vaut la chandelle.
Selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) du Sénégal, qui s’appuie sur des études de la Banque mondiale, les flux financiers officiels en provenance des ressortissants résidant à l’étranger représentent en moyenne 930 milliards de francs CFA (1,4 milliard d’euros) par an sur la période 2008-2017. Soit une part de 12,1% du produit intérieur brut (PIB) sénégalais. Pour Mbaye Sylla Khouma, il y a une piste que les autorités sénégalaises peuvent explorer, entre autres solutions.
«Nous avons proposé une analyse croisée entre les services consulaires sénégalais et les sociétés de transfert d’argent. En partant du principe que celles-ci, avec leurs bases de données, peuvent retracer la régularité et les montants moyens envoyés par mois par les immigrés sénégalais dans chacun des pays concernés par les opérations du fonds d’aide. Si le secret des transactions était levé, ce serait une bonne base de travail.»
L’autre grand challenge dans cette initiative de l’État, c’est la transparence dans les opérations. L’argent ira-t-il vraiment à ses vrais bénéficiaires ou finira-t-il dans l’escarcelle de réseaux occultes sans liens pertinents avec les ressortissants dans le besoin ?
«Si les connotations politiques et partisanes ne sont pas éliminées du processus dès le début, ce sera l’échec. Les autorités consulaires peuvent superviser les opérations mais si elles en assurent la direction exécutive, une bonne partie des fonds sera finalement captée par des politiciens, des leaders d’opinion et autres dirigeants de mouvements associatifs peu recommandables», prévient Dial Diop, opérateur économique sollicité par Sputnik.
Réduire le rôle des politiciens à la supervision
Selon cet ex-médiateur social entre les pouvoirs publics italiens et des associations d’immigrés, une identification correcte des bénéficiaires du fonds Force Covid-19 est capitale car les ressortissants sénégalais ne sont pas sur un pied d’égalité face à la crise sanitaire sévère qui frappe l’Italie.
«L’État italien alloue une moyenne de 1.000 euros aux étrangers qui disposaient d’un contrat de travail en bonne et due forme avant le début de la pandémie. Les autres, en situation régulière et exerçant une profession libérale, perçoivent grosso modo une aide de 600 euros par mois. Les Sénégalais qui sont dans ces deux catégories doivent donc être, à mon avis, exclus du fonds», indique Dial Diop.
Les associations d’immigrés déjà actives dans l’aide aux Sénégalais en détresse sont un canal efficace pour cette opération qui devrait surtout cibler les immigrés «qui ne font rien» sur place, mais aussi les «ambulants».
«Tous les gadgets que les marchands ambulants vendent dans les rues en Europe viennent de Chine. Donc ils n’ont plus rien à vendre maintenant et leurs acheteurs potentiels sont confinés chez eux. Les touristes sont leur principale clientèle. Pas de touristes, pas de business: ils sont sur le carreau et sans source d’approvisionnement», analyse Mbaye Sylla Khouma.
Pour les immigrés sénégalais comme africains d’ailleurs, si la violence de la crise engendrée par le coronavirus est source d’inquiétude quant à leur situation immédiate, elle pose aussi toute la problématique du retour au pays. Une autre histoire.