Le secteur informel à la peine

par admin

C’est le crépuscule à Ngor, une commune du district ouest de la capitale sénégalaise. Dans les rues, les passants se dépêchent pour regagner leurs maisons avant 20 heures : le début du couvre-feu.

Le président de la République Macky Sall, pour tuer dans l’œuf un début d’épidémie due au Covid-19, a récemment décrété l’état d’urgence assorti d’un couvre-feu sur toute l’étendue du territoire national.

Désormais, de 20 heures à 6 heures du matin, il est strictement interdit de circuler sauf dérogation. Les forces de défense et de sécurité se chargent tous les soirs de faire respecter cette mesure. Souvent à coups de matraque.

A Ngor, la vie nocturne s’arrête. Dans cette petite localité léboue (l’une des ethnies du pays), un silence de cathédrale remplace le vacarme habituel. Dans les ruelles étroites et parfois sombres, seuls les miaulements des chats violent le calme plat dans le 18ème arrondissement de Dakar.

Une situation qui plonge dans le désarroi de nombreuses personnes qui subvenaient à leurs besoins grâce aux activités nocturnes. Alpha Diallo est propriétaire d’une gargote installée non loin du terminus des bus Tata. Les pieds croisés, ce quinquagénaire est à bout.

« D’habitude, je vendais au minimum 180 sandwichs. Mais aujourd’hui, plus rien. Contrairement à d’autres, nous sommes très exposés ici. Et si l’on s’aventure à violer la loi, nous risquons gros », explique-t-il avec une mine déconfite. 

Reconnaissant la nécessité du couvre-feu pour endiguer la propagation de la maladie, ce polygame et père d’une dizaine d’enfants estime néanmoins que son application sur une longue durée serait lourde de conséquences.

« Prions tous pour que cette maladie disparaisse au plus vite. Autrement, beaucoup risquent de sombrer dans une pauvreté chronique », redoute Alpha.

Comme lui, Alsséni Diallo s’est confiné durant trois jours avant d’être obligé de reprendre le travail. Pour ce vendeur de brochettes à la plage, c’est une question de survie. « Si les grands commerçants et autres patrons se plaignent déjà des effets du coronavirus, qu’en sera-t-il pour nous qui peinons à gagner 5000 F CFA par jour ? », s’interroge-t-il. Son épouse, assise à côté, lui reproche immédiatement de ne pas avoir appliqué ses conseils : « Je t’avais dit de chercher un local. Tu m’as répondu que tu resteras à la plage jusqu’au jour où on t’y chassera. Et voilà où cela nous a conduit ».

S’adapter pour survivre

A ce jour, 142 cas de Covid-19 ont été déclarés positifs au Sénégal. S’inspirant de la Chine voire de l’Occident, le gouvernement pourrait durcir les restrictions si le bilan s’alourdit. Prenant les devants, certains restaurateurs ajustent leurs horaires pour s’en sortir. C’est le cas notamment d’Idrissa. Son restaurant, niché à quelques encablures de la deuxième mosquée du village, ne désemplit pas.

Il est bientôt 20h et tous les clients n’ont qu’une seule envie : récupérer leurs sandwichs pour rentrer à temps. Fortement recommandées par les autorités sanitaires, les mesures de distanciation sociales ne sont plus une priorité.

« Je n’ai même pas encore effectué la prière du crépuscule à cause des clients qui m’ont envahi », lance-t-il, tout en regardant le poêle servant à faire des omelettes. Submergé, Idy comme le surnomme les acheteurs, a bousculé ses habitudes : « Maintenant, je travaille à partir de 15 heures. Toute personne qui veut acheter peut venir. Et c’est le mieux que je puisse faire pour mes clients ».

Aux premières nuits du couvre-feu, de jeunes Ngorois ont montré de la défiance à l’égard des forces de l’ordre. Finalement, aucune âme qui vit n’ose plus sortir dès le déclenchement du couvre-feu.

« C’est bien. Cela nous permet d’écouler tôt nos mets et de partir nous reposer. Comme ça, on se réveille plus facilement pour honorer la prière de l’aube », fait savoir Abdourahmane, un autre gérant de gargote dans le village.

A Dakar, où de nombreuses famil les joignent difficilement les deux bouts, la restauration rapide nocturne s’est développée de façon exponentielle. A moindre coût, des citoyens mangent à leurs faims en espérant des jours meilleurs.

Mais ce secteur n’est pas le seul à être affecté par le couvre-feu en vigueur depuis lundi dernier. Debout devant sa voiture clando, Babou Guèye, vêtu d’un grand boubou bleu assorti à un couvre-chef noir, attend d’éventuels passagers désirant se rendre dans la commune voisine de Ouakam.

Comme nombre de ses collègues, il s’est résolu à effectuer le trajet de jour. « Nous avions l’habitude de travailler le soir. Il m’arrivait de rouler parfois jusqu’à 1 heure voire 2 heure du matin. Mais tout cela est révolu. Nous sommes obligés de venir concurrencer les autres transporteurs en commun. Et ce n’est pas facile vu qu’ils ont une tarification moins chère », regrette le jeune homme.

Dans les boutiques de quartier, certains vendeurs développent des stratagèmes pour continuer leurs activités durant le couvre-feu. « Je ferme à 19h 45, mais je n’éteins pas les lampes de la boutique. Tout client qui veut acheter un produit frappe à la porte. Je lui vends et referme immédiatement. Ça nous permet d’éviter des nuits blanches sans remplir le tiroir d’argent », révèle, sous le couvert de l’anonymat, un jeune.

Pour atténuer les effets de la crise sanitaire sur l’économie nationale, le chef de l’Etat Macky Sall a mis en place le fonds Force Covid-19 qui sera doté d’une enveloppe de 1000 milliards F CFA. Si les ressources de ce fonds serviront, entre autres, à soutenir les entreprises, les ménages et la diaspora, il n’en demeure pas moins que le secteur informel aura besoin d’appui pour se remettre de cette grippe.

 

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