Alors que le président de la République poursuit ses consultations avec des acteurs politiques et sociaux sur les mesures qu’il a prises dans le cadre de la lutte contre la propagation du Coronavirus au Sénégal, l’enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Dr Maurice Soudieck Dione, nous livre la portée politique de cette démarche de Macky Sall.
Interpellé par Sud quotidien hier, mercredi 25 mars, le Docteur en Science politique a également fait remarquer au sujet de la polémique qui a suivi la première journée du couvre-feu marquée par une répression policière contre certains citoyens qu’«aucun contrevenant ne peut dire qu’il n’est pas au courant».
«Le Président Sall a besoin d’une large coalition nationale autour de lui pour lutter contre la pandémie»
C’est une initiative pertinente prise par le chef de l’État et qui est à saluer. Car c’est un moyen de dégager un large consensus dans la lutte contre ce fléau qu’est le Coronavirus. En pareilles circonstances, le Président Sall a besoin d’une large coalition nationale autour de lui pour lutter contre la pandémie. C’est aussi un moyen de donner une image de rassembleur et d’unificateur, à travers la théâtralisation des audiences avec les leaders politiques, notamment de l’opposition, et de certains chefs religieux. Dans la continuité du lancement du dialogue national, le Président Sall cherche encore à corriger les perceptions attachées à son image, liées à la perpétuation de pratiques autoritaires dans sa volonté de conservation d’un pouvoir personnel. À cela s’ajoute le fait que l’existence d’un péril contre toute la nation est souvent de nature à faciliter le dépassement des contradictions internes. En 1989 par exemple, la crise sénégalo-mauritanienne a favorisé le rapprochement de la classe politique. Cela est allé jusqu’à l’instauration d’un Gouvernement de majorité présidentielle élargie en avril 1991, après une longue crise politique dont l’origine était le contentieux électoral de 1988 sur fond de crise économique et sociale, en rapport avec l’application des mesures drastiques imposées par les Institutions de Bretton Woods, à travers l’ajustement structurel, après la faillite économique de l’État liée à la prédation et à la corruption politiques. Mais la différence avec la crise actuelle, c’est qu’elle ne porte pas sur des contradictions et conflits relatifs à la compétition au pouvoir, et donc sous cet angle, elle n’est pas politique à proprement parler ; son origine est sanitaire. Elle ne semble donc pas impliquer une solution politique comme la cogestion du pouvoir initiée en 1991 qui résultait donc de la crise de 1988 et après les événements tragiques du conflit sénégalo-mauritanien. Il faut encore préciser que dans ces conditions de crise, le refus ou la radicalisation des opposants envers le président de la République peuvent se retourner contre eux, car ils peuvent être stigmatisés comme n’étant pas de vrais patriotes, et comme étant incapables de s’élever à un niveau républicain qui transcende les clivages partisans.
« La finalité de ces rencontres pour le Président, c’est d’éviter des notes politiques discordantes»
«Je crois que le but de ces rencontres autour du président de la République est avant tout politique et qu’il faut dissocier cela avec la campagne de sensibilisation, d’information et de vulgarisation des mesures sanitaires et sociales à observer face à l’épidémie. La finalité de ces rencontres pour le Président, c’est d’éviter des notes politiques discordantes, car c’est dans la force de l’union que le mal du Coronavirus peut être vaincu efficacement et effectivement. En plus de cela, la crise sanitaire relative à l’épidémie du Coronavirus va avoir des répercussions néfastes sur le plan économique et social, et donc le Président Sall a besoin d’une certaine anticipation pour éviter une politisation des effets pernicieux de la crise susceptibles d’être attribués à son régime. Sur l’observation de l’état d’urgence, le vrai problème qui se pose est de l’ordre de la discipline sociale et citoyenne, mais vu l’urgence et la gravité de la situation, après avoir mené toute la sensibilisation nécessaire, il faut maintenant que la loi s’applique. Car, le danger encouru par la nation peut être d’une gravité exceptionnelle si le personnel de santé venait à être débordé face à des contaminations communautaires massives, c’est-à-dire une généralisation de la maladie, sans qu’on ne puisse retracer la chaîne de transmission et tenter de circonscrire son expansion, surtout en l’absence de remède, ni préventif ni curatif.
«Aucun contrevenant ne peut dire qu’il n’est pas au courant»
«Le Président a dit et fait ce qui relevait de son devoir, de sa responsabilité. Il appartient maintenant aux Forces de défense et de sécurité d’appliquer la loi dans toute sa rigueur. « Nul n’est censé ignorer la loi »; et cela d’autant plus qu’avec la surmédiatisation de la crise sanitaire du Coronavirus, qui est planétaire, avec la campagne d’information et de sensibilisation permanente des instances gouvernementales, le ministère de la Santé et de l’action sociale, le ministère de l’Intérieur, le ministère des Infrastructures, des transports terrestres et du désenclavement, en français et en langues nationales, aucun contrevenant ne peut dire qu’il n’est pas au courant. En France, le Président Macron a eu des mots très forts en disant que le pays était en état de guerre contre le Coronavirus. En Italie, les chiffres annoncés sont montés jusqu’à 800 morts par jour. Une véritable hécatombe, pour un pays développé.
Donc pour un pays démuni comme le Sénégal avec le manque de moyens, la faiblesse du plateau médical, l’insuffisance des personnels de santé, la vie en forte proximité, si la situation n’est pas gérée avec rigueur et intransigeance, elle peut devenir incontrôlée, pour ne pas dire incontrôlable. Il faut donc une fermeté sans faille des Forces de défense et de sécurité dans le respect de la loi pour faire observer scrupuleusement les mesures édictées».