Conscient de la gravité de la situation due à l’épidémie du COVID-19, le Sénégal a pris des mesures de prévention comme l’interdiction de rassemblements, et le discours est de contenir la panique. Toutefois, si le nombre de cas répertorié reste, à ce jour, assez faible, en cas d’expansion du nombre de malades, le matériel pourrait manquer. Entretien avec le Professeur Moussa Seydi, chef du service des maladies infectieuses et tropicales, et coordonnateur de la prise charge médicale dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 au Sénégal, par Caroline Roussy, chercheuse à l’IRIS, responsables du programme Afrique/s.
L’OMS a appelé l’Afrique à « se réveiller » face à la pandémie, et précise « qu’il faut se préparer au pire ». Tandis que vous êtes au cœur du dispositif, pensez-vous que les chefs d’État africains n’ont pas pris la mesure du danger ?
Le président de la République du Sénégal, Macky Sall, connaît réellement les risques que nous encourrons. La preuve en est que lorsque le CNGE (Comité national de gestion des épidémies), dont je fais partie, a proposé l’interdiction des grands rassemblements, non seulement, il a accepté, mais il a également pris des mesures supplémentaires telles que la fermeture des écoles, des universités, etc.
Toutes les institutions qui drainent du monde ont été fermées, comme, par exemple les stades, les marchés ou les mosquées, et les manifestations sportives ont été annulées. Le Président a également demandé aux fonctionnaires de voyager le moins possible et d’éviter de sortir du territoire national, dans un premier temps, avant de fermer les frontières.
Le Président a donc pris toutes les mesures qui permettent de limiter les mouvements de population, et a invité les chefs religieux à arrêter les rassemblements. Au Sénégal, même la prière du vendredi ainsi que les cinq prières quotidiennes à la mosquée ont été suspendues. M. Sall est totalement conscient de la gravité du danger et suit personnellement la situation avec un grand intérêt. Il se fait représenter personnellement aux réunions du CNGE et organise des conseils présidentiels pour écouter directement les avis des experts. Il tient compte sans hésitation de l’avis des experts et ses ministres acceptent que les recommandations de ces derniers priment sur tout autre avis.
Il est certain que nous n’avons pas agi très rapidement, mais je ne dirais pas, pour autant, qu’il y a un grand retard. Des mesures fortes ont été prises, et ce, avant qu’on atteigne la vingtaine de cas confirmés. Mais peut-être qu’en Afrique, nous aurions dû prendre des décisions dès la notification du premier cas, car nous n’avons pas les mêmes moyens que les autres pays du Nord.
Face à cette pandémie, vous sentez-vous prêts sur le plan médical ? Médicaments et lits vous font-ils défaut ? Face à une solidarité internationale qui semble se dessiner, avez-vous également des requêtes à formuler ?
Cela ne sert à rien de créer la panique. On guérit plus qu’on ne meurt de cette maladie, ce n’est pas comme le virus Ebola. La létalité peut atteindre 2 à 3 %, cela signifie que s’il y a beaucoup de cas, il y aura beaucoup de morts. Et s’il y a beaucoup de cas, nous ne pourrons même pas les prendre en charge correctement, et la létalité ne sera pas entre 2 et 3 %, mais pourra atteindre 17 %, comme ce fut le cas, à un certain moment, en Italie. Il ne faut pas paniquer ni angoisser exagérément les gens par rapport à la gravité de la maladie, il faut leur montrer que la négligence et le manque de prévention peuvent entraîner une situation extrêmement grave. Avec un nombre de cas élevé, le dénominateur augmente et le nombre de cas pourrait atteindre des dizaines de milliers, car 3 % de décès sur 1 000 000 cas correspondent à 30 000 décès.
Le service que je dirige est actuellement en capacité de prendre en charge les malades. Nous avons même quelques respirateurs.
Je ne suis pas sûr que toutes les structures aient les mêmes moyens que nous dans d’autres régions. Le centre de prise en charge de Diamnadio [extension du Grand Dakar] que nous supervisons a plus de lits disponibles que le service de Référence de Dakar et possède quelques respirateurs, mais dans le Centre de Touba [Touba est la ville sainte des musulmans mourides] qui comptabilise plus de personnes infectées par le COVID-19, les respirateurs ne sont pas encore arrivés au moment où je vous parle. Alors oui, nous sommes prêts, nous prenons correctement en charge les malades et dans de bonnes conditions, mais seulement parce que nous n’avons pas non plus, aujourd’hui, de milliers de cas à traiter. En revanche, nous ne pourrons pas gérer le nombre de cas qu’il y a, par exemple, en France. C’est pour cette raison que nous avons insisté sur la prévention. La situation est susceptible d’évoluer et si nous devons faire face à une épidémie massive, il nous faudra nous réorganiser.
Des médecins privés ont mis à notre disposition leurs cliniques en totalité, l’aéroport, les hangars des pèlerins et de l’État, ainsi que la cité universitaire, pourront être réquisitionnés. On pourra s’adapter, mais on aura des difficultés énormes si le nombre de cas nécessitant une ventilation assistée est élevé.
Beaucoup de fake news circulent : le virus ne survivrait pas au-delà de 20 degrés, etc. Quelles sont, selon vous, les mesures urgentes à prendre ?
Il y a deux types de fake news : celles qui nécessitent juste des rectifications, comme celle, par exemple, qui dit que le virus ne peut pas survivre en Afrique ou qu’il n’atteint pas les Noirs, et celles qui nécessitent des réponses judiciaires. Je pense qu’il faut porter plainte, poursuivre et juger les personnes qui font croire aux gens que la maladie n’existe pas, et qui les encouragent à se réunir et donc à mettre leur vie et ceux de leurs proches ou amis en danger. Il faut prendre en compte le fait que nous sommes dans un pays où beaucoup de personnes n’ont jamais étudié, et si elles ont étudié, elles n’ont pas atteint un niveau d’éducation suffisant. De ce fait ils sont facilement influençables par les fake news. On ne saurait tolérer des propos qui torpillent tous nos efforts dans la lutte contre le COVID-19.
Dans les pays occidentaux, les décisions sont au confinement, à respecter des distances d’un mètre dans la rue, dans les transports. Mais est-ce que c’est possible dans des pays où les populations les plus pauvres et les plus nombreuses n’ont souvent d’autres choix que de s’entasser dans des cars rapides, ou simplement de travailler dans des situations où les conditions d’hygiène ne sont pas réunies ?
Le confinement est une bonne solution. Il ne pourra pas être respecté de manière intégrale, et il n’est d’ailleurs respecté intégralement dans aucun pays du monde. Il est certain que le confinement en France ne sera pas aussi rigoureux que celui qui eut cours en Chine, et notre confinement au Sénégal sera encore moins rigoureux que celui mis en place en France. Mais, même si 50 % de la population applique les mesures de confinement, cela réduit le risque de propagation du virus. Le but premier est de réduire le risque de propagation de la maladie par l’homme, et en réduisant ce risque, le COVID-19 pourrait être fortement endigué. Notre combat est la prévention. En mettant tous les moyens du côté de la prévention et en contenant la maladie à un niveau très bas, nous pouvons nous en sortir. Dans le cas où nous aurions à faire face à des milliers de personnes contaminées, nous serions complètement dépassés, et nous aurions une létalité peut-être cent fois plus importante que celle observée dans les pays européens. Le maître-mot est donc “prévention”.
En zone urbaine, le risque d’expansion est sans doute plus rapide, mais comment traiter les personnes en zones rurales ? Existent-ils des moyens de soigner les patients ?
Les individus vivant en zones rurales sont obligés de venir en zones urbaines pour faire le test. S’ils sont infectés, ils sont hospitalisés et soignés en ville. Nous avons tous les moyens pour soigner les patients, si le nombre de patients ayant besoin de ventilation assistée n’est pas élevé. Il y a un centre traitement à Touba où on note le plus de cas. Ce nombre élevé de cas est dû au fait que la transmission locale de la maladie y a débuté. Le virus n’est plus importé, mais circule dans la ville qui est très peuplée. Pour l’instant, nous arrivons à gérer la situation, car nous n’avons pas des milliers de cas comme en Europe.
Enfin plus généralement comme la prise en charge des patients reste souvent du ressort des individus (la couverture sociale demeurant minime ou inexistante) est-ce que des mesures exceptionnelles ont été prises pour les soigner indépendamment de leurs bourses ?
La prise en charge est totalement gratuite : l’hospitalisation, les médicaments, les repas. Il n’y a absolument rien à payer, aussi bien pour les nationaux que pour les étrangers – il y a notamment, parmi les étrangers, des Européens – qui sont hospitalisés. Tout a déjà été pris en charge par la présidence de la République qui a dégagé un budget pour cela.
Comme face à l’épidémie d’Ebola la fermeture des frontières vous semble-t-elle, aujourd’hui, pertinente ?
Une fermeture de frontière pour une durée limitée est pertinente aussi bien ici qu’en France, aux USA et dans d’autres pays où ces mesures ont été prises.
Pour Ebola, c’est parce que le pays devait se préparer à l’épidémie avant de permettre la circulation des personnes, mais dans le cas présent il s’agit de limiter la circulation du virus.