Souleymane Faye dit Diégo est un artiste unique dans son genre au Sénégal. Révélé au grand jour après son passage réussi au Xalam, il a su se faire une place au soleil à son retour au pays. Parolier très prolixe, il ne cesse de surprendre par la profondeur de ses textes. Nous l’avons rencontré samedi dernier au cours d’un Master Class et il a bien voulu échanger sur son parcours et l’actualité avec sa truculence habituelle. Entretien avec un sage très généreux de partager son Savoir en attendant de disposer de l’Avoir…
Vous venez d’animer un master class quel est le sentiment qui vous anime ?
C’était une séance empreinte d’émotion. Il y avait beaucoup d’émotion, car de toute ma vie, je n’ai jamais donné de cours de chant à personne. C’est la première fois que l’on me sollicite. C’est une chose qui m’a toujours intéressé. Je m’étais toujours dit qu’un jour, j’aimerais bien avoir une école pour dispenser des cours de techniques vocales. Il faut savoir que l’on peut exprimer beaucoup d’émotion par la voix. L’homme est rempli d’émotions et seule la voix peut faire ressortir cette facette. Souvent, on cache bien ce que l’on ressent. Mais à travers les chansons, on peut dire beaucoup de choses. Ce que l’on n’ose pas dire directement aux personnes, on peut facilement le dire à travers une chanson. C’était vraiment intéressant et c’est une très belle expérience.
« Beaucoup de chanteurs ont des problèmes, parce qu’ils chantent tous de la même façon et de la même manière. Ils ont des problèmes pour trouver de nouvelles mélodie et des sources d’inspiration »
J’aimerais vraiment que cela puisse continuer. Afin que je puisse donner des cours de chant, ne serait- ce qu’une fois par semaine. Je suis prêt à donner des cours à des jeunes chanteurs et même à des chanteurs connus qui chantent déjà et qui ont des problèmes et trainent des lacunes. Beaucoup de chanteurs ont des problèmes, parce qu’ils chantent tous de la même façon. Pour ne pas dire de la même manière. Ils ont des problèmes pour trouver de nouvelles mélodies, trouver des sources d’inspiration etc. Donc, il faut savoir que c’est un métier très difficile. Chanter procure du plaisir, mais quand tu chantes, tu souffres. Il m’arrive de pleurer en chantant. Effectivement, il y a des morceaux pour lesquels il faut pleurer pour les chanter. Si tu ne pleures pas, tu ne parviendras pas à écouter certaines chansons. En revanche, il y a des titres que tu ne peux chanter que quand tu es vraiment heureux et rempli de joie. Tout cela pour dire qu’il n’est pas facile de chanter. Donc, c’est intéressant de donner des cours de chant à des élèves et même à des chanteurs connus qui ont souvent besoin de leçons de techniques vocales, mais qui ne trouvent pas d’endroit pour prendre des cours. En réalité, il y a certains qui veulent prendre des cours discrètement sans que personne ne puisse savoir qu’ils prennent des cours. Cela peut arriver aussi, mais nous, on gère tout cela sans aucun problème. Je suis très disponible. Il faut savoir que l’on ne chante pas avec la voix, mais avec le ventre. Si on chante avec la voix en étant enrhumé, on ne peut plus le faire. Si tu es grippé, tu ne vas pas aussi chanter. Il vaut mieux chanter avec le ventre, car c’est la meilleure technique pour un chanteur.
Est-ce que vous nourrissez toujours ce rêve de créer une école ?
Oui parce que je viens de créer une société du nom de CAM (Complexe Arts et Musique). Comme je suis menuisier ébéniste de profession, je veux apprendre ce métier-là à d’autres gens et aussi la musique. Donc, il y aura une combinaison des deux activités, la menuiserie et la musique. Il y aura des cours de chant, de guitare, de piano, de batterie. Mais également, le maniement du bois.
Après cinquante ans de musique vous dites souvent que vous n’avez pas encore fait tout ce que vous vouliez. Que vous reste –il à faire?
Oui, parce que je n’ai encore rien fait en réalité. Je suis certes connu, mais je suis convaincu que je n’ai encore rien fait. Je commence maintenant à avoir le temps pour moi. De toute ma vie, je me suis consacré à la musique et à la famille. Ce qui fait que par ricochet, je n’ai jamais pensé à moi. Avec mon âge actuel, à soixante- neuf ans, il faut que je pense à moi. Sur le plan professionnel, j’ai réussi mais sur le plan financier, je n’ai encore rien du tout. Pour résumer, actuellement j’ai acquis le Savoir, il me reste l’Avoir.
Ce qui signifie que vous n’êtes pas riche…
Je ne suis pas du tout riche, je ne suis pas pauvre non plus. Je ne suis ni riche ni pauvre. Je rends grâce à Dieu car c’est l’idéal.
Pour votre projet d’école d’un cout de70 millions, vous en aviez déjà parlé aux présidents Diouf et Wade, en avez-vous fait autant pour votre ami Macky ?
Il me manque un fonds de roulement. C’est à dire de quoi faire fonctionner l’école. Je veux dire créer une salle de répétition, un atelier de menuiserie, un lieu où l’on donne des cours etc. Donc, il faut un budget assez conséquent. On économise, mais ce n’est pas facile. Je l’avais estimé à 70 millions et j’étais allé voir le président Abdou Diouf. Il m’avait demandé de me rapprocher du FPE. Une fois sur place, ils m’ont réclamé une caution de 15% ou une garantie. Je n’avais pas d’argent pour cela. J’ai encore écrit à Abdou Diouf pour l’en informer, mais je n’ai jamais eu de réponse. Certainement, il n’avait pas reçu la lettre. Quant au président Abdoulaye Wade, il m’avait donné un rendez-vous pour en parler. Le jour de l’audience, j’étais bloqué à Mbour et je n’avais pas de quoi me payer le billet pour Dakar. J’ai tapé à toutes les portes et rien n’a été possible. Je ne trouvais personne pour me prêter de l’argent. C’est comme s‘il y avait quelque chose qui bloquait tout. C’est comme cela que j’ai raté ce rendez-vous. Mais je pense bien qu’il m’aurait bien aidé car il était prêt à me soutenir.
Et votre ami Macky ?
C’est mon ami. Très sincèrement, il m’a beaucoup aidé. Mais depuis qu’il a été élu président, on ne s’est vu en audience qu’une seule fois. Il y a aussi le fait que je ne me suis pas battu pour le voir. Au cours de cette seule et unique audience, je lui avais fait comprendre que je voulais qu’il m’aide à construire la maison de ma mère à Thiaroye. C’était une bicoque en baraque. Je lui ai fait savoir que même si je disposais d’un immeuble, les gens ne manqueront jamais de remarquer que la maman de Souleymane Faye habite dans une baraque. Donc mon vœu le plus cher était de lui construire sa maison. Il m’a soutenu et j’ai construit une maison pour ma mère grâce à son appui. La maison a été construite et bien réceptionnée. Ce qui signifie qu’il ne me doit plus grand chose. Il y a aussi le fait que de temps en temps, je reçois des enveloppes venant de sa part et aussi de la Première Dame sans que je ne les voie. Ce qui veut dire qu’ils ont du respect et de la considération pour ma modeste personne. Je n’aime pas tendre la main, je préfère contracter des dettes. A chaque fois que l’on se rencontre, cela se fait d’une manière tellement simple sans audience ni protocole. Et il faut aussi savoir que lui, il reçoit deux mille lettres de demande d’audience par jour. Il faut filtrer et procéder à un sérieux tri. Mais je suis convaincu qu’il est toujours prêt à me recevoir. J’aimerais bien le voir pour lui parler de mon projet et de la société que je viens de créer. Il me faut juste un fonds pour démarrer et « Yala Baxna ». Je n’ai jamais été subventionné. Aucun président ne m’a subventionné. Je n’ai jamais rien demandé aussi.
Il y a beaucoup d’émotion dans ce que vous faites. Que pensez- vous de la situation actuelle du pays qui est assez tendue ?
Il faut se calmer car comme j’ai eu à le chanter dans « Teyluleen », il faut que l’on se calme. En général, les pays pourvus en richesses ont toujours eu des problèmes. Il y a beaucoup de morts et du sang qui coule. Pour s’en convaincre, il faut voir ce qui se passe dans les pays voisins comme la Côte d’Ivoire, le Mali, la Guinée, le Burkina etc. C’est bizarre ! Je croyais que le terrorisme était une histoire entre l’Arabe et le Blanc. Quand je vois que des Africains s’en mêlent et que des Noirs viennent tuer des Blacks, franchement cela me dépasse. Il y a aussi le fait que les Sénégalais aiment trop la facilité. Ils veulent tout avoir sans travailler et ce n’est pas possible. Actuellement, il n’est plus admis que tu peux aller manger dans n’importe quelle maison. Nos jeunes sont trop regardants sur certains métiers. Ils ont le complexe de s’adonner à certains métiers. Ce qui n’est pas le cas des étrangers qui n’hésitent pas à faire de petits boulots. J’ai eu à laver de toilettes en Europe. Au final, je me suis retrouvé à un poste supérieur car ils ont trouvé que j’étais sérieux. Il faut que les Sénégalais soient patients. Nous en sommes à notre quatrième président et les USA sont à leur 45ème. Il nous reste du temps à parcourir. Tout est parti de l’Afrique et tout va revenir en Afrique. Les choses vont inévitablement s’améliorer.
Vous portez une croix et vous êtes Baye Fall…
Je suis Baye Fall, mais je crois en Jésus aussi. Il s’agit d’Insa Ibn Mariama. J’ai même été béni par le Pape Jean Paul II à Rome. Mais je suis issu d’une famille de Mourides et de Baye Fall.
Vous êtes donc Baye Fall- chrétien.
Non, je suis Baye Fall. C’est juste que j’aime beaucoup notre Prophète Insa. Dans ma jeunesse, j‘ai beaucoup lu la Bible. Tout cela pour vous faire comprendre qu’il n’y a qu’un seul Dieu. Moi je crois en Jésus et en Mohamed. Je crois aux deux Envoyés de Dieu. J’ai un ami athée qui est plus honnête et droit que moi. Il ne ment pas et tel n’est pas le cas de certains assidus de la mosquée. Il y a trop de « mulsulmenteurs » au Sénégal.
Qu’est ce qui fait courir Souleymane Faye ?
C’est la foi ! Car je suis convaincu qu’un jour ou l’autre, ça va venir. Mieux vaut tard que jamais. A y voir de plus près, il est plus sûr d’avoir de l’argent en étant âgé. Un jeune qui dispose de moyens ne pense qu’à s’amuser. En revanche, une personne âgée est plus sensée et il gère mieux sa fortune. Je crois que si j’étais devenu riche très jeune, je serais mort depuis longtemps.
Mais là, vous êtes très connu depuis le fameux titre « Dooley » et cela fait plus de trente ans…
Cela fait effectivement trente-cinq ans.
Quel souvenir gardez- vous de ce titre qui vous a fait connaitre?
C’est grâce à « Dooley » que je suis effectivement connu du public sénégalais.
Racontez-nous votre intégration au Xalam et l’histoire de ce fameux titre.
J’ai connu le Xalam en 1982 lorsque je vivais en Italie. Je les ai écoutés pour la première fois à cette époque, car j’avais un ami italien qui aimait beaucoup la musique africaine. Il avait dans ses disques des artistes comme Fêla Kuti, Osibisa, Manu Dibango, Hugues Massékéla et aussi le Xalam. Alors, un jour, il m’a dit écoute ça, ils sont du Sénégal. C’est comme cela que j’ai découvert le Xalam et cela m’a beaucoup plu. Je me suis aussitôt dit que j’aimerais bien travailler avec ce groupe- là. Mon intégration découle de la volonté divine. C’est en 1982 que je suis revenu au Sénégal et j’ai rencontré Prosper en 1985. C’est son grand frère, Magaye, qui lui a dit que j’ai vu un chanteur et vraiment ce gars -là, il faut le connaitre. Il peut vous apporter quelque chose. Prosper ne voulait pas au début, mais finalement, il est venu me voir. Et quand il m’a vu chanter, il m’a dit il faut que l’on travaille ensemble. Je crois qu’il est venu un lundi, et le jeudi on est parti ensemble à Paris. Moi je m’attendais à cela car je voulais vraiment jouer avec ce groupe-là. C’est une requête que j’avais faite à Serigne Touba. Par la suite, un an plus tard, Dieu a fait que j’ai rencontré ce groupe et on a fait deux belles années ensemble. On a fait d’autres albums comme « Ndigeul » et « Xarit ». Mais après, il fallait que je retourne chez moi car j’avais laissé au Sénégal mes enfants et ma femme. Je suis parti deux ans et cela me pesait énormément. Il y a certains qui partent pendant dix ans, mais moi, je ne peux pas car avec mon âge, je ne peux pas rester longtemps à l’étranger. Donc je suis revenu pour gérer ma famille. Je ne pouvais pas les amener là-bas car la vie est très chère en France. Leur éducation, leur installation et la nourriture coutent chers en Occident et c’était très compliqué. J’ai préféré rentrer plutôt que d’amener toute la famille. J’ai perdu mon père à l’âge de deux ans et je ne voulais pas infliger ce manque d’affection paternelle à mes enfants. Ça n’a pas du tout été facile, car je suis resté en chômage pendant deux ans. Il a fallu du temps pour se réadapter, former un orchestre et réintégrer le circuit musical. Avant de revenir au Sénégal, il a fallu vraiment galérer. Mais je suis très content car je n’ai pas regretté de rentrer au pays
Comment trouvez-vous l’évolution de la musique sénégalaise ?
Il n y a plus de recherche. Les gens ne cherchent que l’argent. Ce n’est plus comme avant où les gens s’enfermaient durant des mois et des mois pour faire des recherches. Il n y a plus de recherche. Il suffit juste d’avoir une belle voix et on t’enregistre alors que tu ne connais pas la musique. Et c’est vraiment un problème. Il suffit juste de sortir un CD pour se faire connaitre et cela s’arrête là. Il n’y a pas de bagage et de savoir derrière. Nous, on faisait des recherches pendant des années. On nous prenait pour des fous parce qu’on n’avait pas de quoi manger. On dormait par terre. On se nourrissait de pain et d’arachide grillé. On s’isolait pour faire des recherches. C’est cela qui a donné naissance au Xalam et à Touré Kunda. Ce sont des gens qui ont énormément galéré. Ils ont vraiment rampé pour atteindre ce niveau. Ils se sont retirés et se sont isolés du monde pour pouvoir sortir quelque chose d’indémodable. En revanche, aujourd’hui, les jeunes aiment trop l’argent et les belles femmes. On ne peut pas vouloir bien étudier et aimer autant l’argent et la femme. Ce n’est pas possible. Ils sont trop pressés de se marier et de gagner de l’argent. Maintenant, une fois marié, on a des responsabilités et il faut assurer la dépense quotidienne. On pense plus à la survie qu’à la musique. Même en allant aux répétitions, on ne peut pas se concentrer sur ses notes et partitions car on a rien laissé à la maison. Dans ces conditions-là, on ne peut pas être à l’aise. Les musiciens de notre époque se mariaient un peu tard. Ils prenaient le temps et ils se concentraient plus sur leur carrière. Maintenant, les artistes se marient à 22 ans. Et après, il y a des problèmes de survie à gérer au détriment forcément de la musique et cela se ressent car c’est une vaste chaine. Les jeunes ont de la peine à composer et trouver de belles mélodies. C’est parce qu’ils n’ont pas d’expérience. Il faut avoir un vécu pour pouvoir créer. Moi, je ne chante que ce que je vis. Il ne faut pas bruler les étapes. Les choses ne sont pas faciles. Il faut aussi disposer de soutien et de belles opportunités. Sur 100 chanteurs, il n’y en a que dix qui réussissent. Tout le monde fait la même chose et c’est très difficile. II faut cultiver les bonnes relations. Il faut éviter de rester à la maison et de ne rien faire.
Souleymane est toujours un incompris au Sénégal ?
Incompris comment cela ?
On dit que Jules est un artiste très aérien, très profond à la limite marginal. Il vit dans un autre monde.
Ah, oui ! Je ne sais pas trop ! Je suis comme je suis. J’ai toujours été comme je suis aujourd’hui .Je suis un Sénégalais d’hier. Pour le Sénégal d’aujourd’hui vraiment, je vous laisse volontiers ma part. Bale naléne Ko
Qu’est-ce qui vous dérange aujourd’hui ?
Il y a beaucoup de valeurs qui disparaissent. Il y a en réalité beaucoup de valeurs qui n’ont plus de valeur. La dignité est partie. L’honnêteté a foutu le camp. Maintenant, il faut être malhonnête pour réussir. Il faut être faux pour percer. Et moi, cette fausseté-là, et cette hypocrisie me dérangent. Je préfère gagner dignement mon pain et aller où je veux. Je suis libre et je peux marcher pieds nus et aller où je veux. Je n’ai pas le complexe de marcher et que les gens me croisent dans la rue. Je ne me cache pas ici. Je suis chez moi parce qu’en Europe, même si tu as des papiers, en voyant un policier, il peut te demander des papiers et tu as peur. Ceci bien que tu sois en règle. Quand tu vois un policier tu as peur. Alors, quand tu n’es pas libre chez toi, cela devient difficile. Cette liberté que j’ai, étonne les gens. Tu peux me trouver dans un endroit où tu vas forcément te dire mais qu’est-ce qu’il fout là? Qu’est-il devenu ? Pourquoi fait-il cela ? Moi je n’aspire qu’à vivre tranquillement. L’essentiel est de ne pas causer du tort et faire du mal à autrui. Il ne faut pas se mêler de ce qui ne te regarde pas mais il faut vivre librement. Il faut toujours respecter l’autre. Tu peux dire tout ce que tu veux mais dans le plus grand respect. Il faut toujours privilégier la politesse et le respect. On peut même injurier dans la politesse et le respect. Il faut toujours y mettre la forme. Il ne faut pas être pressé, car c’est Dieu qui décide de notre sort. L’homme veut mais c’est Dieu qui décide.