Des rapports brûlants encore non publiés : Que cache la Cour des comptes ?

par admin

 Au Sénégal, la Cour des comptes n’a pas publié de rapport public général depuis 2014. Ce, en violation flagrante de la loi qui l’oblige à établir un rapport public tous les ans. Cette situation, qui suscite déjà des bruits de couloir au sein de la Cour, est jugée scandaleuse. Car, l’on nous informe que pas moins de trois rapports « incendiaires » sont jalousement gardés dans les lieux.

Dans son dernier rapport sur l’indice de perception de la corruption, Transparency international a classé le Sénégal parmi les pays les plus corrompus d’Afrique avec une note de 45/100. Pourtant, dès son accession à la magistrature suprême, en 2012, le chef de l’État Macky Sall n’avait cessé d’exprimer sa volonté de lutter farouchement contre la mal-gouvernance et la corruption sous toutes ses formes. Et, parmi les mécanismes sur lesquels il comptait pour y arriver, il y a la Cour des comptes dont l’un des aspects de la reddition des comptes est la publication de rapports généraux annuels, parce qu’exerçant ses attributions sur la base d’une délégation de pouvoir émanant du peuple.

Ce que ladite Cour ne respecte pas en violation flagrante de la loi organique n° 2012-23 du 27 décembre 2012 abrogeant et remplaçant la loi organique n°99-70 du 17 février 1999 l’instituant. En effet, ce texte prévoit en son article 3 que « la Cour des comptes établit un rapport public général annuel qui reprend les principales observations qu’elle a faites dans l’année et les mesures préconisées pour remédier aux manquements, anomalies et dysfonctionnements relevés ».

Elle peut aussi, dans le cadre de ses contrôles, établir des rapports publics sur des entités, des thèmes particuliers ou des secteurs déterminés, d’après toujours les mêmes dispositions.

« Trois rapports incendiaires déjà bouclés »

Pourtant, de nos investigations, il ressort que la chambre des affaires budgétaires et financières de la Cour organise « régulièrement » ses audiences sur la base de son propre calendrier. Seulement, la particularité des audiences de cette institution, c’est qu’elles ne sont pas publiques.

Mieux, nous souffle-t-on, les 28 magistrats actuellement en service à la Cour ont déjà produit au minimum trois rapports qui dorment encore dans les tiroirs du bureau du premier président, Mamadou Faye, officiellement installé depuis mars 2018.

C’est le résultat du travail de contrôle juridictionnel (jugement des comptes des comptables publics) et non juridictionnel (audits des ministères, des agences, des établissements publics, des entreprises publiques, des collectivités territoriales » des vérificateurs de cette haute juridiction.

Qu’est-ce qui pourrait donc expliquer une telle situation assimilable à une « rétention »? Un magistrat de la Cour, qui requiert l’anonymat, estime qu’à ce jour, « aucune raison objective ne saurait expliquer cette situation ». Il révèle d’ailleurs qu' »aujourd’hui, trois rapports sont prêts, mais ils ne sont toujours pas rendus publics ».

Une autre source de Seneweb va plus loin et soutient que les rapports en question ne sont pas « tendres » avec certains gros bonnets de la République qui sont encore épinglés. Seulement, l’on nous informe qu’il est brandi dans la haute juridiction la thèse selon laquelle, ces rapports ne peuvent pas être publiés tant qu’ils « ne seront pas au préalable remis au président de la République ».

Mais, il est à rappeler que la remise des rapports aux autorités, n’est pas une obligation. En effet, le neuvième alinéa de l’article 8 de la loi organique sur la Cour des comptes s’est limité à indiquer que le premier président « remet le rapport public général annuel au président de la République et au président de l’Assemblée nationale ». Donc, il ressort de cette disposition que même si, sur le plan protocolaire, cette remise est un évènement majeur dans le calendrier républicain, il n’en demeure pas moins qu’elle soit une condition sine qua none à la publication du rapport.

Pis, la Cour ne respecte pas les dispositions de la loi n° 2012-22 du 27 décembre 2012 portant code de transparence des finances publiques. Celles-ci posent en effet une obligation de publication en vertu de son article 6.7 : « La Cour des comptes rend publics tous les rapports qu’elle transmet au président de la République, à l’Assemblée nationale et au gouvernement. Elle publie également ses décisions particulières sur son site web s’il existe ou dans au moins deux grands journaux nationaux de grande diffusion. Un suivi de ses recommandations est organisé et les résultats de ce suivi sont régulièrement portés à la connaissance du public ».

C’est pourquoi, résume Mody Niang, ancien membre de l’Ofnac, s’il y a « retard dans la publication de ces rapports, c’est parce qu’ils sont compromettants et il y a la main du Président derrière ».

« Discrédit sur l’activité des magistrats »

En tout cas, cette situation préoccupe à bien des égards au sein de la Cour. Et pour cause, Seneweb, dans ses investigations, est tombé sur une lettre datée du 23 décembre 2019 qu’Aliou Niane, magistrat à la Cour des comptes, avait adressée au premier président, Mamadou Faye.

Il estime que cela « risque de discréditer toute l’activité des magistrats et autres personnels de la Cour et écorcher durablement la belle image de celle-ci ».

Niane, dans sa lettre, a également précisé que « le rapport public général annuel ne saurait être considéré comme un épiphénomène ou un phénomène accessoire, il fait partie des fondamentaux de la Cour ».

Il est par ailleurs à rappeler que comme l’exposé des motifs de la loi organique de 2012 instituant l’institution, qu’à l’instar de la Cour suprême, la Cour des Comptes bénéficie désormais d’une autonomie financière.

Mais, il revient à Seneweb que le rapport public ne concerne les comptables publics que dans une portion très minime. Il renferme tous les contrôles effectués par la Cour dans l’année. Les rapports définitifs concernés sont déjà bouclés et envoyés à tous les destinataires.

Une source rappelle que « s’il y a des poursuites judiciaires, le ministre de la Justice est déjà à cet effet. Le rapport public intervient bien après. Son objectif est d’informer l’opinion publique sur le travail que la Cour a bouclée et sur l’utilisation des derniers publics ». S’il y a donc des poursuites, celles-ci sont engagées bien avant la remise du rapport au président de la République.

Macky Sall : « Je ne protégerai personne »

Aujourd’hui, même si les « véritables raisons » de cette rétention ne sont toujours pas dévoilées, il est constant que ces rapports vont susciter une vive polémique pour avoir mis à nu les dysfonctionnements et les malversations dans les entreprises et agences publiques. Ce qui pousse certains observateurs à redouter une volonté manifeste de protéger de hauts responsables.

Au-delà du « refus » de la Cour des comptes de publier ses rapports de contrôle sur la gestion des ressources publiques, il y a aussi l’inertie du président de la République face à cette situation. Ce, malgré sa déclaration, à la suite du rapport de 2015 de la Cour des comptes, promettant de « tirer toutes les conséquences qui s’imposent ».

Toutefois, il pourrait paraître saugrenu de penser que le Président Macky Sall pourrait être amené, pour quelque raison que ce soit, à revenir sur ses engagements d’hier et laisser proliférer des actes de mauvaise gestion ou encore de prévarication des deniers publics. S’exprimant, à la veille de la fête de l’indépendance en 2012, il martelait déjà : « Je mets à ma charge l’obligation de dresser les comptes de la nation. L’assainissement de l’environnement des affaires et la lutte contre la corruption me tiennent particulièrement à cœur et je tiens à préciser que je ne protégerai personne ».

En tout état de cause, la voie présidentielle n’est pas la seule qui mène au procureur de République. Ce dernier peut bien s’autosaisir, en cas de fautes de gestion. « Quand un rapport est fait par un corps de contrôle, bien entendu, le procureur peut s’autosaisir pour ouvrir une information judiciaire. C’est le rôle du procureur, c’est lui le maître des poursuites », insiste un juriste. Mieux, les vérificateurs de la Cour avaient plaidé l' »application stricte » de la loi aux mauvais gestionnaires : « Ce n’est pas seulement le travail de la Cour des comptes. Le gouvernement doit tout faire pour que notre travail ait une finalité dans la société et cela doit être l’engagement de tout un chacun ».

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