Les différents gouvernements s’endettent, se succèdent et ne finissent pas forcément d’éponger. ‘’EnQuête’’ revient sur certains programmes de développement économique et social dont le remboursement des emprunts grève toujours le budget du Sénégal
Abdou Diouf n’était pas encore président de la République. Abdoulaye Wade venait de fêter le 6e anniversaire de son Parti démocratique sénégalais. Le président Macky Sall était perdu quelque part entre ses études d’ingénieur géologue et le militantisme à l’université. Ils ont tous contribué, pourtant, de manière différente, à contracter, alourdir et effacer une ardoise de la dette sénégalaise dont le remboursement, pour certains programmes, se terminera en 2029, 2033 ou 2037.
Au Sénégal, le stock de la dette publique totale est arrêté ‘‘à 7 339 milliards F CFA, au 31 décembre 2019 et est projeté à 8 076,6 milliards F CFA en 2020. Le ratio d’endettement public se situe à 54,9 %, au terme de la gestion 2019, et est prévu à hauteur de 54,5 %, à fin 2020 ; un taux qui reste contenu bien en deçà de la norme communautaire de 70 %’’, d’après un document du ministère du Budget consulté par ‘’EnQuête’’. Les près de 2 000 milliards de dette extérieure méritent une surveillance. A l’analyse de sa composition, on se rend compte que le Sénégal doit toujours rembourser des emprunts dont l’essentiel s’est constitué entre 1980 et 2000. Bien sûr que l’Etat, c’est la continuité et bien sûr que la deuxième alternance, sous Macky Sall, s’endette et un autre régime remboursera les emprunts.
Le Sénégal n’a pas encore fini de payer pour Manantali (2026) ; le PDIS a encore 17 ans pour un remboursement complet
L’exemple le plus connu de l’opinion sénégalaise reste sans doute les barrages de Diama et Manantali signés en 1982 avec le Fonds koweïtien pour le développement économique arabe. Le Sénégal devrait finir de payer dans six ans (2026) pour ce prêt contracté dès les premières années de gestion du président Abdou Diouf. La finalité laissera à désirer, puisque les remarques concernant l’utilité de ce barrage sont absolument critiques.
‘‘Voiture de luxe sans moteur’’, estime le journaliste suisse Roger de Diesbach en 1988 ; ‘‘un non-sens économique et environnemental’’, estimera, pour sa part, le ministre allemand de l’Assistance au développement, Carl-Dieter Spranger, en 1993. D’ailleurs, explique Peter Bosshard de l’ONG International Rivers, la Banque mondiale a refusé de soutenir le barrage de Manantali, qu’elle ne considérait pas comme un investissement raisonnable et a cessé tout financement à l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) en 1979. L’USAID a également refusé de soutenir la construction du barrage, quoiqu’ayant fourni une assistance financière et technique pour les évaluations environnementales.
La construction de ce barrage de Manantali a coûté environ 500 millions de dollars. Le financement a été fourni par plusieurs gouvernements arabes, les Banques islamique et africaine de développement (BID – BAD) l’Italie, la CFD française, la KfW allemande, l’ACDI canadienne et l’Union européenne (UE). Les contrats de travaux de génie civil ont été attribués à Ed. Zublin (Allemagne) et Losinger (Suisse). En 1972, les gouvernements du Mali, de la Mauritanie et du Sénégal ont créé l’OMVS afin de promouvoir l’irrigation, la production d’électricité et la navigation dans la vallée du Sénégal.
Sous les auspices de l’OMVS, la construction du barrage de Manantali a débuté en 1981. Le but était d’irriguer une superficie de 3 750 km², de générer de l’hydroélectricité et de permettre la navigation entre les villes de Saint-Louis et Kayes. Dans le même temps, le barrage de Diama a été construit sur le delta du fleuve, pour empêcher l’intrusion d’eau salée dans la basse vallée. Le barrage de Diama a été achevé en 1986 et Manantali en 1987. Bien que tous les financements aient été consommés à ce moment-là, la centrale n’avait pas été construite et le fleuve n’était pas apte à la navigation commerciale. De graves tensions politiques et militaires entre la Mauritanie et le Sénégal, qui avaient été alimentées notamment par les impacts du barrage de Manantali, ont paralysé l’OMVS et arrêté toute planification de projet à partir de 1989.
Le document des services du Budget fait savoir également que le développement rural Mbour-Kaolack, financé par le Fonds international de développement agricole (Fida) en 1980, fait encore de ‘‘la résistance de dette’’. Son dernier paiement sera complété dans dix ans, en 2029. Des prêts qui se seront réalisés sous le magistère des deux prédécesseurs au président Macky Sall. La coopération entre le Fida et le Sénégal s’est fortement développée au cours des années 1990. Alors qu’il n’y avait qu’un seul projet pendant les années 1980, quatre autres ont démarré dans la décennie de 1990 et six projets étaient en cours en 2004.
‘‘L’engagement financier total pour les 11 projets approuvés à ce jour s’élève à 235 millions de dollars US (environ 150 milliards de F Cfa) dont 114 millions de dollars US de prêts du Fida. Pour les cinq projets clôturés, la durée moyenne de mise en œuvre a été de neuf ans et le taux de décaissement final des prêts Fida a été de 77 %. Le taux de décaissement moyen des cinq projets en vigueur au moment de l’évaluation est de 21 % pour une durée d’exécution moyenne actuelle de trois ans’’, d’après un document du Fida. Les chiffres actualisés de février 2015 montrent que le Fida a investi au Sénégal plus de 248 milliards de F CFA pour le financement de 16 projets en 36 ans de partenariat.
Le Projet de développement sanitaire intégré (PDIS) signé en 1998-2007 avec le Fonds nordique de développement, est la première phase de mise en œuvre du Programme national de développement sanitaire (PNDS). C’est également l’un des projets les plus ‘‘durables’’, puisque la dette sera apurée en 2037.
Décennie 2000:recapit alisation Senelec, dernier paiement en 2033, autoroute de l’Avenir jusqu’en 2039 et hôpital Dalal Jam
Si le document accable la tenue de Diouf et des emprunts mal calculés, l’alternance de 2000 ne sera pas non plus un modèle en matière d’endettement responsable. Au total, ‘‘le Sénégal devra s’acquitter exactement de 1 887,8 milliards de F CFA, pour des prêts contractés entre 2000 et mars 2012’’, lit-on dans ce document du ministère du Budget. L’atteinte du plafond de la dette, dans les dernières années de la première alternance, étonnera, révolte même notre source qui ne comprend pas le Sénégal qui a profité, en 2006, d’un effacement total de sa dette, en compagnie de treize autres pays, contractée auprès du FMI, de l’Association internationale de développement (AID) – la filiale de la Banque qui accorde des crédits concessionnels aux pays à faible revenu – et de la Banque africaine de développement (Bad). L’encours de la dette, qui égalait 78 % du PIB en 2000 (huit points de plus que la norme communautaire) baisse alors jusqu’à 21 % avec cette mesure. Mais le taux d’endettement remontera jusqu’à 40 %, cinq années plus tard, en 2011.
La recapitalisation de la Senelec, financé par l’Agence française de développement (AFD) en 2008, a également été l’une des décisions du président Wade dont la tenue, sous son magistère de 12 ans, fait toujours ressentir des contrecoups d’une gestion bancale. Le Sénégal épongera l’ardoise de cet appui financier concessionnel de 33 milliards de F Cfa en 2033. A la signature de cette convention par le ministre Abdoulaye Diop, le but était de procéder à la recapitalisation de la Senelec sur la période 2007-2009, afin de lui permettre de retrouver l’équilibre financier et les ratios de gestion standard, d’ici à 2009.
Mais les résultats seront plus que décevants. Cette même année, le projet autoroute à péage Dakar – Diamniadio est signé avec la même agence pour un partenariat public-privé de 30 ans. Après la prise en charge, par l’État, de la construction de la première partie de l’autoroute reliant Dakar à Pikine, l’AFD, la Banque mondiale, la Bad et la BOAD ont financé la construction de la fin de l’autoroute entre Pikine – Diamniadio. L’AFD a, par la suite, financé le prolongement de l’autoroutière à péage depuis Diamniadio jusqu’au nouvel aéroport international Blaise Diagne (17 km).
Sous le magistère de Wade, le projet de construction et d’équipement d’un établissement public de santé hospitalier de troisième niveau, Hôpital Dalal Diam, a également été signé en 2006 avec la Banque islamique de développement dont le paiement va s’échelonner sur 25 ans (2031).
Depuis près d’une décennie, Macky Sall est également dans la logique d’un endettement qu’il assume et qualifie de ‘‘responsable et prudent’’, pour assurer l’équilibre des finances publiques et financer le développement économique. Le Sénégal a été présent sur le marché financier international en 2014, 2017 et 2018, pour lever des ressources nécessaires à la mise en œuvre de projets et programmes d’investissements structurants.
En attendant de voir le jugement de la postérité sur sa méthode d’endettement, il devra bien éponger celle de ses prédécesseurs.
Ousmane Laye Diop
Les véritables raisons de notre sous développement
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