Que devient Mamadou Ndoye après avoir quitté le secrétariat général de la LD ?
Un citoyen ordinaire et un militant de base. Voila ce que je suis devenu et je suis de la LD debout. Vous avez constaté que notre parti a connu une scission. Vous savez que dans la vie des mouvements politiques en général, on s’engage et on construit une organisation sur la base d’une plateforme politique avec des valeurs et des principes. Mais il y a un moment où ces valeurs et ces principes ne sont plus partagés. En ce moment là, la séparation est devenue presque évidente et c’est ce qui s’est passé au niveau de la LD.
Est-ce que cette scission est imputable à Macky Sall ?
Je ne voudrais pas laisser la responsabilité à d’autres que nous-mêmes. Lorsqu’on bâtit une organisation et ensuite on se sépare, il faut chercher les responsabilités à l’interne. Il ne faut pas les chercher à l’externe. De ce point de vue, je crois que nous avons eu des divergences politiques. Il y en a qui pense que le moment était venu de se séparer de la coalition Benno Bokk Yakaar parce que ça ne répondait plus ni à l’identité de notre parti, ni aux valeurs et aux principes sur lesquels nous avons construit notre organisation, ni aux objectifs et finalités politiques que nous poursuivions. Et d’autres qui ont estimé qu’il fallait continuer avec la mouvance présidentielle. A partir de ce moment, nous ne pouvions plus suivre le même chemin.
Comment appréciez-vous l’évolution du syndicalisme au Sénégal ?
Vous avez bien fait de faire la comparaison entre les mouvements politiques et les mouvements syndicaux parce que ce qui les traversent, disons qu’il y a un fond commun. Le fond commun, c’est ce que les jeunes appellent l’entrepreneuriat. Aujourd’hui, tant du côté syndical que du côté politique, il y a aujourd’hui des personnes qui pensent que ce sont des escaliers pour accéder à des privilèges. Et par conséquent, à l’intérieur des organisations, ces intérêts personnels dominent les intérêts collectifs. De ce point de vue, ce qui se passe évidemment c’est généralement qu’on est obligé de se casser dans la mesure où les intérêts personnels priment sur les intérêts collectifs. Ça traverse aussi bien les organisations syndicales que les organisations politiques. Et ce n’est pas seulement l’avenir du syndicalisme, mais c’est l’avenir du pays qui est en jeu. Dans un pays où chacun s’occupe de l’intérêt personnel et personne ne s’occupe de l’intérêt général, on ne peut pas voir quel avenir peut avoir ce pays là. Aujourd’hui, c’est effectivement ce qui nous manque dans ce pays. Ce qu’on appelle de véritables citoyens, c’est à dire des gens capables de penser à la cité. Non pas seulement pour le respect des règles et des lois de la cité, mais des gens qui sont capables de penser à l’autre. Et ceci commence par ce qu’on appelle la civilité. Si vous observez simplement ce qui se passe dans la rue, quand quelqu’un jette quelque chose dans la rue, il ne se soucie pas des autres, il ne se soucie que de lui-même. Et ce comportement n’est pas un comportement citoyen. Quand quelqu’un dans son quartier ne s’occupe ni des voisins ni de personne, mais de lui-même et fonctionne avec ses propres intérêts, il ne peut pas être un citoyen. Un citoyen, c’est quelqu’un qui pense aux autres et à la collectivité. Et, c’est cela qui nous manque aujourd’hui au Sénégal. Des gens qui pensent à la collectivité.
« 2.000 jeunes arrivent chaque année dans le marché de l’emploi »
Comment voyez-vous les incompréhensions entre les acteurs du dialogue national politique ?
Vous m’amenez sur un terrain qui est très difficile pour moi, parce que lorsqu’on me parle de dialogue politique, ma première attitude c’est que ce n’est pas crédible de manière générale au Sénégal. Oui, nous sommes à la 3e tentative en ce qui concerne le régime de Macky Sall. Il y a eu une première tentative qui s’est mal terminée avec le code électoral et le fichier électoral. Il y a eu une 2e tentative où on avait demandé à Seydou de diriger le dialogue politique. Les gens ont travaillé pendant longtemps. Ils ont donné au Président les résultats mais il a fait ce qu’il a l’habitude de faire. C’est à dire choisir ce qui lui paraît de son propre intérêt. On est maintenant à la 3etentative. Dans cette tentative, il y a des partis qui sont essentiels et qui ne sont pas dans ce dialogue politique. Ce qui diminue déjà l’intérêt de ce dialogue politique. Quand même, quoi qu’on puisse dire d’Idrissa Seck, il a été le second des élections. Quoi qu’on puisse dire du Pds, chacun sait aujourd’hui c’est au moins le 2e parti du Sénégal. Donc, si ces gens-là ne viennent pas au dialogue politique (…) Par ailleurs, les assurances du Président Macky Sall ne me rassurent pas. Il a toujours donné des assurances qu’il ne respecte pas. En plus, je m’excuse de le dire, sa parole n’est plus crédible. Les gens avaient confiance en lui et chacun sait, depuis qu’il s’est lui-même renié avec les 5 ans 7 ans, les gens considèrent que sa parole n’est plus crédible. C’est ce que les Sénégalais considèrent. Maintenant, le problème que vous soulevez est un problème d’organisation interne. Je ne suis pas censé connaître ça parce que je ne m’intéressais à l’organisation interne. Mais ce que je constate, c’est que d’une part, on peut avoir une position de principe, disant on est comité de pilotage et on pilote l’ensemble des commissions. Ce qui semble être un peu la position de Famara Ibrahima Sagna. La commission politique dit non, moi j’ai été installé avant même le comité de pilotage et j’ai déjà mon agenda alors que vous n’avez pas encore d’agenda et on ne peut pas me soumettre à votre ag enda.
Pensez-vous que le dialogue peut régler toutes les questions sociales, culturelles, etc?
Nous avons eu un dialogue national exemplaire dans ce pays avec les assises nationales. Ce dialogue était exemplaire parce que ce n’était pas un dialogue basé sur des positions partisanes. C’était un dialogue qui était en train de construire un consensus social fort et à long terme. Et, chacun pensait que celui qui gagnerait les élections de 2012 allait s’insérer dans ce consensus fort qui a été construit. Et le premier geste de Macky Sall, lorsqu’il a été élu, a été de se démarquer de ce consensus en disant j’ai émis des réserves que personne n’a connues. Donc, ce qu’il faut retenir à ce niveau, c’est que quand il appelle au dialogue, il est très difficile de considérer que ce dialogue a un intérêt quelconque. J’allais dire que c’est un problème congénital au régime. Je avais accordé un minimum de crédit à ce consensus fort qui a créé les conditions de son accès au pouvoir, aujourd’hui on en serait pas là.
« 46% de la population vit dans la pauvreté »
Des jeunes sont arrêtés pour avoir manifesté. Ne pensez-vous pas qu’ils sont dans leur rôle ?
C’est un recul démocratique. Nous nous sommes battus pour que le droit de manifestation figure dans le texte fondamental du pays. C’est un droit fondamental et la première agression contre ce droit fondamental a été d’édicter un arrêté (arrêté Ousmane Ngom) qui suspend ce droit ou qui le limite de manière permanente. Parce que chacun peut comprendre, dans une circonstance déterminée, qu’on puisse réglementer une marche disant ceci ou cela. Mais que de manière permanente on limite l’exercice d’un droit fondamental, c’est totalement antidémocratique et anticonstitutionnel (…). Concernant les arrestations et les emprisonnements, je dois vous dire que leurs arguments sur la sécurité ne valent rien. Le problème qui se pose au Sénégal est un problème plus grave que cela. Le régime a tellement peur du peuple que tout mouvement populaire, le plus petit qu’il soit, l’effraie. Ça, il le montre à travers ses priorités en matière de sécurité. Regardez les vols de bétail, les agressions à main armée qui se passent dans ce pays. Qui est-ce qui a été fait par rapport à cela? Pour les manifestations, il y a combien de chars anti-émeutes dans les camps GMI ? On équipe les troupes anti-émeutes mais les autres qui sont en train de surveiller les citoyens, il y a rien.
Pourquoi cette peur de l’État ?
Parce qu’il y a le risque d’explosion. Quand vous avez 46% de votre population qui vit dans la pauvreté, quand vous avez chaque année 2.000 jeunes qui arrivent sur le marché du travail où il n’y a plus d’emploi, vous savez que vous êtes assis sur une bombe sociale. Et ça, le régime le sait. Cette bombe sociale, n’importe quelle étincelle peut l’allumer et c’est ce qui justifie leur peur.
Cheikh Moussa Sarr