Ministre porte-parole de la Présidence de la République, Abdou Latif Coulibaly est d’avis que ceux qui prétendent qu’il y a un recul démocratique, en mettant en avant les interdictions de manifestations, ont tort. Dans cet entretien exclusif accordé à «l’As», le journaliste et ancien ministre de la Culture d’annoncer qu’il a bel et bien une opinion personnelle au sujet du débat sur un troisième mandat présidentiel, mais qu’il l’exprimera au moment qu’il aura choisi. Par ailleurs, Abdou Latif Coulibaly s’est également prononcé sur les querelles dans l’Apr, la hausse du prix de l’électricité non sans dévoiler ses ambitions politiques.
L’As : Pour d’aucuns, le simple fait de se prononcer sur l’éventualité d’un troisième mandat pour le Président Macky Sall est synonyme de péché dans l’Apr. Qu’en dites-vous ?
Abdou Latif Coulibaly : Pour moi, en démocratie chacun est libre de se prononcer et dire son opinion. Ceux qui pensent ainsi ont le droit de le faire. Ce n’est nullement mon opinion.
Quelle est la vôtre ?
Pour le troisième mandat tantôt évoqué, j’ai naturellement mon opinion personnelle. Je vais la livrer le moment que j’aurai moi-même choisi pour l’exprimer. Et croyez bien que je la dirai cette opinion quand j’en déciderai.
Le débat autour de la succession du Président Macky Sall, soulevé par plusieurs parmi vos camarades de parti, n’est-il pas légitime ?
Si nous n’étions pas en démocratie et si nous vivions dans un régime monarchique, je vous aurais donné une réponse tranchée, en donnant mon point de vue sur le dauphin choisi ou sur ceux qui sont potentiellement éligibles à la succession du monarque. Ici, au Sénégal, la démocratie a tranché : ainsi succédera à Macky Sall le candidat qui, au soir de l’élection présidentielle de février 2024, sera élu à la faveur du suffrage universel.
Selon vous, que peuvent entraîner toutes ces querelles qui sont en train de miner votre parti, l’Apr ?
Je voudrais avant de répondre à votre question faire un certain nombre d’observations qui pourront aider à mieux éclairer vos lecteurs. Partons d’une simple hypothèse d’école : à la dernière élection présidentielle de février 2014, un total de 2 555 426 citoyens ont voté pour le candidat Macky. Supposons que 5%de ces électeurs, soit un total 128 000 électeurs, qui ont donné leurs voix à Macky, sont des militants de l’Apr. En partant de cette hypothèse d’école et en considérant par ailleurs le nombre de militants du parti qui ont animé dans les médias ces querelles auxquelles vous faites allusion, on se rend vite compte qu’ils sont une infime minorité. C’est moins d’une dizaine de personnes qui ont ainsi atteint par leurs querelles l’image du parti et lui ont, de ce point de vue, incontestablement causé des torts certains. J’admets que parmi ces militants, il y en a, sinon eux tous, qui occupent des postures et des rangs distingués au sein de l’Apr. C’est le devoir de chacun d’entre nous d’afficher des comportements, d’avoir la retenue et le mesure qui nous permettent d’éviter de provoquer de telles situations qui, au demeurant, ont été déplorées par la quasi-totalité des camarades. C’est toutefois difficile de faire observer une telle discipline de masse qui nous évite de tels problèmes.
Pourquoi c’est difficile, selon vous, d’y arriver ?
Je rappelle que l’Apr est un parti de masse. Et à l’image de tous les partis de masse, comme le prouve l’histoire, la discipline est toujours plus difficile à y faire observer que ce n’est le cas dans un parti d’avant-garde pour lequel les dirigeants, à la lumière de ce que disait par exemple Lénine, « prônent l’« unité de la volonté », soit l’adoption, par l’avant-garde révolutionnaire que constitue le parti, d’une volonté unique, qui doit devenir la « volonté de la classe » : l’efficacité, qui doit être la raison d’être de l’organisation ».Et cela a pour « condition la disparition des volontés individuelles », pour ne pas dire la disparition des intérêts personnels, « au profit de la volonté unique du parti ».
La hausse sur le prix de l’électricité, qui a entraîné une vague de protestations à travers le pays, n’est visiblement pas approuvée par une bonne partie des Sénégalais. Ne pensez-vous pas que l’Etat devrait reculer sur cette mesure ?
Je comprends bien cette colère exprimée dans la rue. Je ne conteste pas sa légitimité. Mon devoir est d’expliquer aux populations qui expriment cette colère pourquoi la hausse et comment on en est arrivé là. Le gouvernement avait jusqu’ici donné à chaque Sénégalais qui paie une facture envoyée par la Senelec une somme d’argent équivalente à 26% de ce qu’il doit à la Société nationale, sous forme de subvention allouée chaque année. Autrement dit, moi ministre de la République, vous journaliste, lui député, avocat, si nous devons tous les bimestres la somme de 150 000 FCFA à la Se nelec, celle-ci nous facture non pas la somme due : 150.000 FCFA, mais moins, un montant situé aux environs de 121 000. Et l’Etat prend en charge le différentiel : un peu plus de 35 000. C’est cela qui va changer, selon les différentes catégories sociales d’abonnés au réseau. Ceux qui paient entre 15 et 25 000, rien ne change pour eux, ils sont au nombre de 612 mille abonnés. Beaucoup de personnes qui ont manifesté dans la rue ne sont pas impactés par la hausse de 10% du prix de l’électricité. Voilà brièvement expliqué le sens de cette mesure. L’Etat verse chaque année une subvention de l’ordre de 120 milliards de subventions. C’est une mesure de rationalisation tenant compte de plusieurs facteurs, pour mettre les économies réalisées dans d’autres priorités tout aussi vitales pour les Sénégalais que l’électricité.
Que répondriez-vous à ceux qui pensent que les interdictions de manifestations constituent un recul démocratique au Sénégal ?
Je leur oppose des faits. Les statistiques publiées par le Ministère de l’Intérieur indiquent que, durant l’année 2019, sur 1 230 déclarations de manifestations déposées dans les différentes préfectures du pays, une dizaine n’a pas été autorisée, soit moins de 1%des déclarations. Face à de telles statistiques vérifiables, je réponds que ceux qui prétendent qu’il y a un recul démocratique au Sénégal, en mettant en avant les interdictions de manifestations, ont tort.
Quelles sont vos ambitions politiques ?
Chaque fois qu’il m’a été donné d’engager un combat, je vise la réussite. Mes ambitions ont toujours été la réussite. Je suis entré en politique en mai 2012. Moins de six mois après, je suis entré dans le gouvernement, j’y suis resté sept ans. J’ai été ensuite nommé pour faire partie du cabinet du Chef de l’Etat, en juin 2019, après avoir quitté le Ministère de la Culture. Je peux modestement dire que j’ai réussi ; mes ambitions ont été largement comblées. Vous ne faites pas allusion par hasard à l’année 2014. Cette année-là, j’ai en effet tenté de me faire élire maire de ma ville natale, Sokone. J’en étais sorti, en faisant mienne la pensée de Nelson Mandela, quand il dit : « quand je vais au combat, je gagne ou j’apprends ». Mon adversaire de l’époque avait mieux travaillé que moi, était mieux préparé et avait gagné. J’ai beaucoup appris et compris. C’est ce qui m’a permis de gagner à Sokone tous les scrutins qui sont ensuite intervenus. Chacun est ainsi averti. Avec l’aide de Dieu et le travail de nos camarades et alliés, la prochaine tentative sera sûrement la bonne. Mes ambitions après 2014 ? Gagner la mairie de Sokone !